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Le Commandant de cavalerie (Trad. Talbot)/5

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Le Commandant de cavalerie (Trad. Talbot)
Traduction par Eugène Talbot.
Le Commandant de cavalerieHachetteTome 1 (p. 360-362).


CHAPITRE V.


Des divers moyens de tromper l’ennemi.


Un cavalier doit savoir, en outre, à quelle distance il faut que le cheval soit du fantassin, et quelle avance un cheval lourd peut prendre sur un cheval vite. Mais c’est au commandant à connaître les points sur lesquels l’infanterie est supérieure à la cavalerie et la cavalerie à l’infanterie. Il faut encore avoir l’adresse de faire paraître nombreux un petit corps de cavalerie, ou petite une troupe nombreuse ; d’avoir l’air présent quand on est absent, et absent quand on est présent ; de savoir, non-seulement surprendre les secrets de l’ennemi[1], mais surprendre ses cavaliers mêmes pour leur faire charger l’ennemi à l’improviste. C’est encore un excellent stratagème que de pouvoir, étant faible soi-même, inspirer de la terreur aux ennemis, de telle sorte qu’ils ne vous attaquent point ; et, si l’on est en force, de leur donner confiance pour en être attaqué. Par là, sans avoir rien à craindre de fâcheux, on a la part belle pour surprendre l’ennemi en faute. Mais, afin de ne point paraître commander l’impossible, je vais expliquer par écrit ce qui semblerait être le plus difficile.

Il faut donc, pour ne pas broncher, soit dans les charges, soit dans les fuites, s’être assuré de la force des chevaux. Or, comment faire cette épreuve ? En observant ce qui arrive dans les manœuvres de petite guerre, poursuites ou retraites. Si tu veux que tes cavaliers paraissent nombreux, aie d’abord pour principe, autant que faire se peut, de ne point essayer à tromper l’ennemi de près. On risque moins de loin, et la ruse est plus facile. Ensuite, il faut savoir que les chevaux, quoique serrés, semblent plus nombreux, en raison de la taille de l’animal, tandis que, dispersés, on les compte sans peine. Il est encore un autre moyen de faire paraître ta cavalerie plus nombreuse qu’elle n’est réellement : c’est de placer les valets entre les cavaliers, en leur mettant entre les mains des lances, ou, à défaut de lances, quelque chose d’analogue, et cela, soit que tu tiennes ta troupe arrêtée, soit que tu la déploies en ligne : nécessairement ainsi la masse du corps de bataille paraîtra plus grande et plus épaisse. D’un autre côté, s’il s’agit de paraître plus nombreux, il est évident qu’avec un terrain qui s’y prête on dissimulera les cavaliers en en laissant une partie à découvert et en cachant le reste : si le terrain est plat, il faut ranger les décades par pelotons, et faire avancer chaque section en observant les distances ; en même temps les cavaliers de chaque décade, placés en face de l’ennemi, tiendront leur lance droite, tandis que les autres la tiendront baissée et la pointe peu apparente. Cependant on peut intimider l’ennemi par de fausses embûches, de faux secours ou de fausses nouvelles, et il prend beaucoup de confiance quand il croit à son adversaire des embarras et des occupations.

Ces explications données, j’ajouterai qu’un commandant doit savoir ruser, pour donner immédiatement le change. Rien en guerre de si utile que la ruse. Les enfants eux-mêmes, quand ils jouent à pair ou non[2] (24), parviennent à tromper en faisant croire qu’ils ont plus, quand ils ont moins, et moins, quand ils ont plus. Comment des hommes faits, avec de la réflexion, ne pourraient-ils pas inventer semblables ruses ? Qu’on se rappelle les succès remportés à la guerre ; on verra que les plus nombreux et les plus brillants sont dus à la ruse. En conséquence, ou bien il ne faut pas se mêler de commander, ou bien, indépendamment des autres dispositions, il faut demander aux dieux le savoir-faire, et inventer à votre tour. Pour ceux qui sont près de la mer, une bonne ruse, c’est d’avoir l’air d’armer une flotte, et puis d’attaquer parterre, ou bien de feindre une attaque par terre et d’entreprendre par mer. Il est aussi d’un commandant de représenter à l’État combien est faible une cavalerie sans infanterie légère, afin qu’on lui en donne pour la mêler à ses cavaliers. C’est également son devoir de savoir en user. Or, il ne doit pas seulement cacher son infanterie parmi les cavaliers, mais derrière les chevaux, un cavalier étant beaucoup plus grand qu’un homme de pied.

Tous ces moyens d’ailleurs, et d’autres encore, dont peut s’ingénier quiconque veut vaincre l’ennemi, soit de ruse, soit de force, je te conseille de les employer avec l’aide des dieux, afin que la fortune te sourie, si les dieux te sont favorables. Un autre stratagème excellent, c’est de feindre une extrême réserve et le dessein de ne rien risquer : c’est parfois un bon moyen d’amener les ennemis à se négliger et à commettre plus de fautes. Mais quand une fois on s’est montré ami du danger, on peut ensuite, sans se mouvoir et en ayant l’air d’agir, inquiéter beaucoup l’ennemi.



  1. Cf. Cyropédie, I, vi, et Mém., III, i.
  2. Les mot ποσὶ δὲ ἅ, ποσιδεὰ, ou mieux ποσίδνα, qui sont dans le texte, ont désespéré les commentateurs. Je m’en suis référé au Dictionnaire de Passow, qui lit ποσίδνα, et qui traduit par les mots allemands Paar und Unpaar. — Cf. Aristote, Rhétoriq., III, v, trad. de M. Bonafous, p. 313, ainsi que la note p. 441.