Le Commandant de cavalerie (Trad. Talbot)/8

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Le Commandant de cavalerie (Trad. Talbot)
Traduction par Eugène Talbot.
Le Commandant de cavalerieHachetteTome 1 (p. 365-368).


CHAPITRE VIII.


Suite du précédent. — Digression sur les avantages de l’équitation. Retour aux recommandations de détail.


Toutefois, pour parvenir en toute sûreté à faire du mal à une armée beaucoup plus nombreuse, il faut évidemment avoir sur elle une supériorité qui vous fasse paraître forts en équitation militaire, et les ennemis des novices. Or, c’est ce qui aura lieu, si d’abord ceux qui sortent pour marauder, sont tellement rompus au maniement du cheval, qu’ils puissent supporter les travaux de la guerre. Car ceux qui n’y sont point faits, hommes ou chevaux, ne seront que des femmes combattant contre des hommes. Au contraire, ceux qui ont appris et qui se sont habitués à franchir les fossés, à escalader les murs, à galoper par les montées et à descendre hardiment les hauteurs, à se précipiter du haut d’une pente, ceux-là ont sur les hommes qu’on n’a pas formés à ces exercices, l’avantage de l’oiseau[1] sur les animaux terrestres. Enfin, les gens qui, dans les attaques ou dan » les retraites, connaissent les localités, l’emportent autant sur ceux qui les ignorent qu’un clairvoyant sur un aveugle. Il en est de même des chevaux : ceux qui ont le pied durci par les exercices sont aussi supérieurs à ceux qui ne sont pas rompus aux aspérités du sol que des chevaux nets à des boiteux. Il faut encore savoir que des chevaux non-seulement bien nourris, mais exercés de manière à ne pas être rendus par les fatigues, sont vraiment bien dressés. Les selles et les brides s’attachant avec des courroies, jamais le commandant n’en doit manquer : à peu de frais, il mettra ceux qui en manquent en mesure de le servir.

Si l’on trouve de grandes difficultés à exercer ainsi la cavalerie, qu’on réfléchisse que ceux qui s’exercent aux combats gymniques ont bien plus de peines et d’obstacles que les gens qui se donnent de tout cœur à l’équitation. Dans les exercices gymniques, il faut se donner un mal qui vous met en sueur, tandis que l’équitation est presque toute un plaisir. On souhaite quelquefois d’avoir des ailes : il n’est rien qui s’en rapproche davantage chez les hommes. D’ailleurs il est beaucoup plus honorable de vaincre à la guerre qu’à la lutte. L’État partage la gloire du vainqueur, et souvent, à la suite de la victoire, les dieux couronnent une ville de prospérité. Aussi, pour ma part, je ne connais pas d’exercice plus noble que celui de la guerre.

Considérons aussi que les pirates mêmes, en raison de leurs habitudes de labeur, vivent aux dépens d’hommes qui leur sont supérieurs en force. Et sur terre, ce n’est pas à ceux qui vivent du fruit de leur travail, mais à ceux qui manquent de nourriture, qu’il appartient de piller : car il faut ou travailler, ou se nourrir du travail des autres ; sinon, il n’est pas facile de vivre, ni d’avoir la paix. On doit également se souvenir de ne jamais pousser la cavalerie contre un ennemi supérieur, si l’on n’a derrière soi que des chemins difficiles ; car ce n’est pas le même de broncher dans la fuite que dans la poursuite.

Voici encore un point sur lequel il est bon de se tenir en garde. Il en est qui, se portant sur un ennemi auxquels ils se croient supérieurs, s’avancent avec des forces peu considérables, et qui par là ont souffert maintes fois le mal qu’ils espéraient faire ; puis, contre un ennemi auxquels ils se savent réellement inférieurs, ils conduisent toutes les forces dont ils peuvent disposer. Moi, je prétends qu’il faut faire absolument le contraire. Quand on marche avec l’espoir de vaincre, on doit déployer tout ce qu’on a de forces. On ne s’est jamais repenti d’une victoire complète. Mais si l’on attaque un ennemi bien supérieur, et que l’on prévoie que, quoi qu’on fasse, il faudra battre en retraite, je dis qu’alors il faut faire marcher plutôt peu que beaucoup de monde, mais surtout des chevaux et des hommes d’élite. Avec de pareilles troupes, on pourra faire quelque chose, et battre sûrement en retraite. Si, au contraire, on mène tous ses gens contre un ennemi supérieur, et qu’on veuille ensuite se retirer, ceux qui ont des chevaux trop lourds seront pris infailliblement, la maladresse eu fera tomber d’autres, et d’autres seront arrêtés par les mauvais chemins, vu qu’il n’est pas facile de trouver toujours un terrain aussi découvert qu’on pourrait le souhaiter. Aussi peut-il arriver que le nombre fasse renverser les hommes les uns sur les autres et qu’il naisse mille obstacles, source de maux réciproques. Au contraire, de bons soldats et de bons chevaux sont en état de se tirer eux-mêmes d’affaire, surtout si l’on occupe le reste de sa cavalerie à tenir en respect l’ennemi qui poursuit[2]. C’est alors que les fausses embûches ont leur utilité. Il ne sera pas mauvais non plus de chercher de quel lieu les troupes amies peuvent se montrer sans risque pour ralentir la poursuite de l’ennemi. Il est encore évident que, pour ce qui est de la fatigue et de la vitesse, un petit nombre est plutôt capable de l’emporter sur un grand, qu’un grand sur un petit.

Non pas que je veuille dire qu’il est plus facile, parce qu’on est peu, de supporter la fatigue et de gagner de vitesse ; mais je dis qu’il est plus facile de trouver moins que beaucoup de cavaliers qui soignent leurs chevaux comme il faut, et qui soient expérimentés dans l’équitation.

S’il arrive qu’on ait à combattre une cavalerie égale en nombre, je pense qu’il n’est pas mal de partager l’escadron en deux corps, l’un commandé par le phylarque, l’autre par l’officier qui paraît le plus capable. Celui-ci se placera à la queue de la division du phylarque ; puis, arrivés devant l’ennemi, à un signal donné, il chargera. Je crois que c’est là un excellent moyen d’épouvanter l’ennemi et d’être soi-même plus difficile à combattre. Si ces deux divisions sont renforcées de fantassins qui, cachés derrière les cavaliers, se découvrent tout à coup et marchent en bon ordre, il me semble qu’ils contribueront singulièrement à la victoire. Je vois en effet que, si un bonheur inattendu cause plus de joie chez les hommes, un revers inopiné cause plus d’épouvante. On s’en convaincra en songeant à la terreur de ceux qui se voient pris au piége, fussent-ils supérieurs en nombre, et à la crainte excessive que s’inspirent deux armées, durant les premiers jours qu’elles sont en présence. Il n’est pas difficile de prendre cette disposition ; mais trouver des hommes prudents, sûrs, vifs et braves pour attaquer l’ennemi, voilà ce qui distingue un bon commandant. Il doit avoir, en effet, le talent de la parole, et se comporter de manière que les soldats, reconnaissant qu’il est bon de lui obéir, de le suivre, de charger avec lui les ennemis, désirent faire de glorieux exploits et persévèrent dans leur résolution.

Supposons maintenant que, deux phalanges se trouvant en présence ou séparées par des terrains, il y ait lieu d’exécuter des voltes, des charges, des mouvements de retraite, l’usage alors de part et d’autre est de s’avancer lentement après les voltes, et de ne partir au galop que vers le milieu. Mais si, après avoir commencé suivant l’ordinaire, on part de vitesse aussitôt après la volte, et qu’on se retire ensuite aussi vite, on pourra faire beaucoup de mal à l’ennemi, sans grand risque pour soi-même, en chargeant vivement quand on sera prés du gros de sa troupe, et en revenant vivement sur ses pas pour échapper au gros des ennemis. Alors, si l’on peut laisser secrètement derrière chaque escadron quatre ou cinq des meilleurs chevaux et des meilleurs hommes, ils auront un immense avantage pour tomber sur l’ennemi qui revient fondre sur eux.



  1. Voy. la même idée, Cyropédie, IV, iii, discours de Chrysanias.
  2. Cf. Tite Live, V, xxxviii.