Le Commerce galant/Lettre 1

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chez Antoine Perisse (p. 14-19).

TIMANDRE
À LA JEUNE IRIS.

Lettre premiere.

Vous ſouvient-il que vous me prîtes hier au mot ? Que vous m’avez accepté pour Maître, & que vous eſtes mon Ecoliere ? Et enfin, vous ſouvient-il que vous me devez mettre le plus aimable cœur du monde entre les mains, pour l’inſtruire de la plus agreable paſſion qu’il puiſſe jamais reſſentir ? Pour moy, il ne me ſouvient que trop de vous avoir veuë, de la promeſſe que je vous ay faite ; & de plus, je ſens une ſorte diſpoſition à m’en acquiter. Il y aura bien du plaiſir ſans doute à inſtruire une auſſi aimable ignorante que vous ; mais je prevois que ce ne ſera pas ſans peine. Vous ayez la mine d’avoir le cœur plus dur que la teſte i n’importe, il ſaut toujours vous donner une leçon de tendreſſe.

Pour commencer à vous apprendre
Ce que je ne sçais que trop bien,
Si voſtre cœur veut eſtre tendre,
Il n’aura qu’à marcher ſur les traces du mien ;
Il leur faut à tous deux une heureuſe foibleſſe,
Meſme penchant, meſme langueur
Et j’iray dans vos yeux puiſer cette tendreſſe,
Que je veux à mon tour répandre en noſtre cœur.
Enfin pour devenir en peu de temps babile.
Prenez ſouvent de mes leçons,
Et pour écouter mes raiſons,

Ayez le cœur tendre & docile.

En voilà aſſez pour la premiere fois, belle Ignorante, & ſi vous profitiez bien de ces trois leçons, vous ſeriez bien-toſt auſſi ſçavante que voſtre Maître

Mais quoy ? Vous avez bien la mine
D’eſtre Ecoliere libertine,
Et je vois à vos yeux que voſtre cœur fripon,
Fera ſouvent l’école buiſſonniere,
Et qu’il ſe donnera carriere
Malgré l’Amour, le Maître & ſa leçon.

Cependant, ſi vous avez envie de parvenir, faites en ſorte que voſtre Eſprit ne ſe meſle point des affaires de voſtre Cœur, car il eſt trop fin & trop penétrant pour entrer en commerce avec vous.

Ouy, quoy que cét Eſprit ait pour moy mille appas,
Qu’il ne ſe meſle point de vouloir rien comprendre
Aux affaires du Cœur qu’il ne ſçauroit entendre,
Puis qu’en amour, on ne raiſonne pas.

Ie ne doute point que ſi vous ſuiviez ces maximes, vous ne fuſſiez dans peu tres-ſçavante en tendreſſe. Sondez voſtre cœur, jeune Iris, & voyez s’il veut preferer ſon ignorance, qui eſt une veritable lethargie, à une ſcience qui luy donneroit mille plaiſirs. Ie ſuis ſeur que s’il connoiſſoit la douceur d’aimer quelque choſe, & le plaiſir d’un veritable attachement, il ne voudroit plus vivre dans cette erreur, & que vous diriez quelque jour le refrain de la chanſon de Galathée que je vous chantois hier.

Il eſt bon de ſçavoir tout,

Trop heureux ſi je pouvais
   vous dire ſur le mê-
      me air,

Un jour le cœur d’une Belle,
Dont l’esprit ſçait tout charmer
Choiſit un Maître fidele
Pour s’inſtruire en l’art d’aimer,
Ce Maître par ſa tendreſſe
Qu’il oſa luy declarer,
Luy fit repeter ſans ceſſe
Qu’il eſt doux de ſoûpirer,
Qu’il est doux, &c.

Voilà, Madame, le premier Billet que je luy écrivis, elle ne vouloit pas y répondre ; la ſeule propoſition d’êtablir un commerce galant effraye une jeune perſonne, je tâche de luy lever ces legeres difficultez. Je luy fis connoître que cela pouvoit beaucoup ſervir à façonner ſon eſprit, à luy donner un tour agreable, & que ce n'étoit qu'un amuſement innocent qui n'avoit aucune ſuite. Enfin, aprés pluſieurs inſtances, elle ſe réſolut à me faire la réponſe, que voicy ; Elle commence par le Rondeau que vous avez trouvé ſi bien tourné.