Le Commerce galant/Lettre 2

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chez Antoine Perisse (p. 20-24).

RÉPONSE
DE LA JEUNE IRIS
À
TIMANDRE.

Lettre ſeconde.


Rondeau.

C’Eſt beaucoup s’expoſer qu’écouter un Amant,
Et ſoit dit entre nous, c’eſt inſenſiblement
Faire le joly plan d’une intrigue aſſez tendre,
Si je le permettois, de bonne foy, Timandre,

Que pourriez-vous penſer d’un tel conſentement ?
L’affaire eſt delicate à parler franchement,
C’eſt s’engager un peu qu’écouter doucement,
Et s’engager un peu ſans doute à la bien prendre,
    C’eſt beaucoup.
Je vois tout ce peril, j’en crains l’évenement.
Mais cependant icy j’avouë ingenuëment
Que je ne puis ſonger à ne pas l’entreprendre,
Je dis à ma raison que c’eſt pour me défendre,
Mais ſi mon cœur la dupe en ce commencement.
    C’est beaucoup.

Tout de bon, je ne ſçais ſi je me trompe moy-même, mais il me ſemble que c’eſt pour avoir le plaisir de deffendre mon cœur. que je conſens que vous l’attaquiez. Je ne ſçaurois répondre de luy ſur la foy de ſon indolence paſſée. Comme on n’a jamais attenté ſur ſon repos, ce n’eſt pas merveille s’il a conſervé juſques icy ſa tranquilité, il eſt fort à propos que je le mette à l’épreuve pour en connoiſtre du moins le caractere. La curioſité eſt un peu hardie, & je pourrois m’en trouver mal : Mais enfin, je crois qu’il vaudroit autant l’avoir perdu que de craindre toûjours de le perdre & de n’oſer s’en ſervir à rien. L’incertitude où je ſerois de n’en connoître pas le fort & le foible, m’embarraſſeroit eternellement ; c’eſt tout ce que la tendreſſe pourroit faire ; & embarras pour embarras, je prefere celuy qui a la reputation d’eſtre le plus agreable. Aprés tout, il n’eſt pas perdu pour eſtre riſqué, je pourray m’en tirer avec honneur. Mon cœur, Dieu-mercy, eſt d’une race où l’on connoiſt peu l’uſage des ſoûpirs, & j’eſpere qu’il ne degenerera pas de l’ancienne indifference de ſes Anceſtres. Je le pris l’autre jour en particulier, & je luy fis une grande leçon ; je luy défendis de ſe joüer auec l’Amour :

Car malgré la badinerie
De l’Amour ce petit fripon,
Quand un cœur est pris tout de bon
Cela paſſe la raillerie.

Il me promit bien de ſuivre mes ordres, & de profiter mieux de mes leçons que des voſtres. Il me ſemble qu’aprés cela on eſt aſſez en eſtat de vous faire un défy ; je mets toutes vos tendreſſes & tous vos ſoins au pis faire, voyez ſi vous les voulez continuer, la gloire eſt égale entre nous ; vous, de faire ma conqueſte ; & moy, de faire la vôtre ſans m’interreſſer ; parions à qui en aura l’honneur afin que du moins l’Ecoliere demeure toûjours la Maîtreſſe de ſon Maître.