Le Commerce galant/Lettre 3

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chez Antoine Perisse (p. 25-29).


RÉPONSE
DE
TIMANDRE
À LA JEUNE IRIS.

Lettre troiſiéme.

Vous avez tant d’eſprit, que vous m’allez faire perdre le peu qui m’en reſte ; je ſuis tellement ſurpris de ce feu, de ce brillant que j’ay trouvé dans voſtre Billet, que je ne ſçais plus où j’en ſuis ; quelle impreſſion avez vous faite ſur mon cœur ? J’en enrage contre vous & contre moy ; contre vous, de vous trouver tant de merite, & contre moy, de m’y trouver trop ſenſible. Je vois bien qu’une Ecoliere comme vous, en ſçait plus qu’un Maître comme moy, & cela m’a ſurpris à voſtre âge. Mais pour répondre à vôtre Billet ; Si vous ne goûtez le plaiſir de ce charmant embaras qui a la reputation d’eſtre le plus agreable, vous ſerez embaraſſée toute voſtre vie d’une indifference qui vous peſera quelque jour, il ne faut riſquer ſon cœur que pour le perdre ; & ſi vous vous en tiriez avec honneur,

Helas ! charmante Iris, que pretendez-vous faire,
Si voſtre cœur entre en affaire,
Il faut le deſ-armer d’une injuſte rigueur ;
Il n'eſt point de peril qu’en amour en n’affronte,
Et c’eſt en ſortir à ſa honte

Que d’en ſortir avec honneur.

Ne vantez donc plus ſa dureté, ny le peu d’uſage de ſoûpirs que Meſſieurs ſes Anceſtres en ont fait ; Car je vais vous convaincre en deux mots du contraire :

Vos Anceſtres ſans doute auroient degenéré
Dans leur Famille en Beauter ſi ſeconde ;
Et ſi tous ces Meſſieurs n’avoient pas ſoupiré,
La jeune Iris ne ſeroit pas au monde.

Faites leur reparation d’honneur au plus viſte, ou pluſtoſt ſuivez leurs glorieuſes traces, & laiſſez toujours entrer un petit Amour dans votre cœur en attendant mieux ; il le chatoüillera ſi agreablement, que vous en ſerez contente.

Souffrez donc la badinerie
De ce charmant petit Fripon,
Laiſſez-vous prendre tout de bon
Si vous entendez raillerie.

Car enfin que vous ſervira de faire ma conqueſte, ſi je ne fais pas la voſtre à mon tour.

Traitez-vous voſtre Amant comme voſtre Ennemy
Quand ſa fierté ſe trouve à vos pieds abbatuë :
Helas ! ſi vous n’eſtes vaincuë
Vous m’avez, vaincu qu’à demy.

Je fus quelque temps ſans la voir aprés luy avoir fait tenir cette réponſe, mais ce ne fut pas ſans inquietude ; je cherche avec empreſſement des occaſions de la rencontrer, mais en vain je fus vingt fois chez une de ſes amies ſans l’y trouver ; enfin aprés quinze jours que j’eus tout le loiſir de compter, je l’y retrouvay heureuſement. La converſation fut vive & brillante de ſon coſté, & aſſez embaraſſée du mien ; piqué de l’embaras où j’eſtois, je fis tomber la converſation ſur le deſordre d’un Amant qui veut parler & ne trouve point de termes aſſez propres pour s’expliquer. Ce mot la fit rougir, & l’embaraſſa à ſon tour ; elle ſe ſouvint de ſa Lettre, où elle parle de cet embarras qui a la reputation d’être le plus agreable. Je me vange un peu du mien ; & luy faiſant remarquer en riant le deſordre où elle eſtoit, cela l’augmenta de la moitié. Elle me parut ainſi plus aimable que jamais, je luy dis que cette charmante rougeur qui l’avoit renduë ſi belle, meritoit bien quelques Vers ; elle me défendit d’en faire, cependant je luy donnay le lendemain ce Billet que vous allez voir.