Le Croyant/XXX

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Despret frères (p. 38-40).

Dans les bras du sommeil l’homme repose encore ;
À peine à l’horizon naît la riante aurore ;
L’oiseau mélodieux s’éveille dans les bois ;
L’écho redit au loin les accords de sa voix.
La brume du matin déjà s’est dissipée.
À mes yeux apparaît une cime escarpée,
C’est l’Ida, dont le front se cache dans les cieux.
Sous mes pieds se déroule un fleuve impétueux ;
Sur sa rive il bondit, s’écoule, écume et gronde ;
Dans les champs où fut Troie il promène son onde
C’est le vieux Simoïs. Ô reine des cités,
Ilion, c’est ici que les Grecs irrités
Désolèrent le cœur des mères alarmées ;
C’est ici qu’en bataille ils rangeaient leurs armées ;
Voilà la rade immense où voguaient leurs vaisseaux,
Dont les blancs pavillons ventelaient sur les eaux.
Là, du bouillant Achille a grondé la colère ;
C’est ici qu’en sa tente enfermé, solitaire,
À la mort de Patrocle il a donné des pleurs ;
Ces lieux ont entendu le cri de ses douleurs.
Voici les verts figuiers de la porte de Scée ;
C’est ici qu’Andromaque éperdue, oppressée,
Pour retarder les pas de son royal époux,
Étouffant ses sanglots, embrassait ses genoux ;
C’est là qu’Astianax, cet enfant plein de charmes,
De son père en voyant le panache et les armes,
Dans le sein maternel fuyait épouvanté ;
Hector, qui l’aperçoit, sourit avec bonté ;
Des pleurs qu’il veut cacher sillonnent son visage ;
Mais rien n’éteint le feu de son ardent courage ;
Il embrasse son fils, sa jeune épouse, il part ;
D’un pas ferme et rapide il franchit le rempart !
Cependant un lion s’élance dans la plaine :
C’est l’intrépide Achille, enflammé par la haine ;
Aux rayons du soleil son armure reluit ;

Le magnanime Hector vole au-devant de lui ;
Sur les murs de la ville et sur la tour altière,
La crainte a rassemblé la ville toute entière.
C’est ici que d’Hécube on entendit les cris
Lorsque fut renversé son infortuné fils ;
À flots précipités, de ses flancs le sang coule ;
Achille, sous ses pieds, avec rage le foule ;
Il attache à son char ses restes palpitants,
Que trois fois ses coursiers, fougueux et hâletants,
Traînent rapidement autour des murs de Troie ;
Puis il livre aux vautours cette sanglante proie.
Mais ces lieux ruinés, d’un malheur plus affreux,
Autrefois ont été les témoins douloureux…

Mais où m’entraînez-vous, souvenirs de jeunesse,
Vous qui me rappelez ces jours pleins d’allégresse
Où, docile à la voix d’un savant professeur,
J’écoutais ses discours tout empreints de douceur,
Quand des héros de Troie il ornait le mensonge !
Hélas ! vous avez fui, temps heureux, comme un songe !
Mais toujours le bonheur, devant nous, ici-bas,
Comme une ombre légère, ah ! ne s’enfuit-il pas !…

Aujourd’hui d’Ilion quelle est la destinée ?
Au plus fatal oubli la voilà condamnée !
Du palais de ses rois quelques débris épars,
Du triste voyageur attirent les regards.
Le savant, pour guider sa recherche incertaine,
Dans ses poudreux vallons trouve une pierre à peine.
Sa ruine elle-même a péri. Cependant
Il est une cité dans le vieil Occident,
Ilion, qui te doit son antique origine ;
Sur ses temples sacrés la croix sainte domine ;
C’est la croix de Jésus : si tu veux, comme nous,
Devant elle, aujourd’hui, t’incliner à genoux,
Notre Christ te fera renaître de ta cendre ;
Tu perdis ta splendeur, il saura te la rendre ;
Si par lui ton désert est un jour visité,
Tu pourras, comme nous, goûter la liberté ;

La liberté ! mais c’est le bonheur sur la terre !
Tes guerriers, pour défendre une infâme adultère,
Autrefois de leur sang rougirent tes sillons,
Quand de la Grèce armée on vit les bataillons,
Sans relâche, dix ans, assiéger tes murailles
Et massacrer tes rois sur tes champs de batailles.
Mais les soldats chrétiens t’apporteront la paix,
La paix qui fut toujours si féconde en bienfaits !

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