Le Croyant/XXXI

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Despret frères (p. 40-41).

Voilà que m’apparaît l’immense Propontide ;
Le soleil fait briller sa surface limpide ;
Quelques légers vaisseaux, fendant le flot amer,
Avec leurs poupes d’or glissent sur cette mer ;
Au sommet de leurs mâts s’agitent leurs insignes :
Tels, sur un lac d’argent, s’avancent de blancs cygnes.
Loin de nous déjà fuit l’île de Ténédos,
Et le rocher fameux qui domine Abydos.
Le ciel est calme et pur, et de sa tiède haleine,
Le paisible zéphir ride la mer à peine ;
En passant près de nous, l’aigle, ce roi de l’air,
Monte et cache son vol dans les champs de l’Éther.
De la saison des fleurs aimable messagère,
En hâtant son retour, l’hirondelle légère,
Qui, triste, a délaissé l’occident inhumain,
De l’antique Memphis a repris le chemin.
La flamme aura brûlé le petit nid, peut-être,
Où sa jeune famille, au printemps, reçoit l’être.
« Ah ! lui dis-je, as-tu vu le hameau fortuné
» Et la blanche maison où jadis je suis né,
» Et le banc de gazon où s’asseyait mon père,
« Lorsque, nous racontant ses exploits à la guerre,
» Et montrant nos soldats sur la brèche vainqueurs,
« De son ardeur souvent il enflammait nos cœurs ? »
Les nuages soudain près de nous s’amoncellent,
Sur leurs flancs déchirés de longs éclairs ruissellent,
Et répandent au loin leur livide lueur ;
Tout mon être est saisi d’une secrète horreur ;
De la destruction le monde offre l’image ;

Les autans déchaînés s’élancent pleins de rage ;
Dans le fond des forêts hurle leur grande voix ;
La foudre trois fois tombe et remonte trois fois.
En entendant gronder les vents et la tempête,
À leurs coups je cherchais à dérober ma tête,
Quand, abaissant sur moi des yeux pleins de douceur,
L’esprit qui me guidait, pour rassurer mon cœur :
« Ne crains point, me dit-il, les vents ni le tonnerre ;
» Sur nous le Tout-Puissant veille comme un bon père. »
À ces mots, le soleil luit dans le ciel serein,
Et notre char reprend son rapide chemin.

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