Le Croyant/XXXII

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Despret frères (p. 41-44).

Quelle est cette cité qui dans la mer s’avance,
Se mirant dans les eaux ? C’est l’antique Byzance ;
C’est ta fille infidèle, ô pieux Constantin !
Je la vois resplendir des flammes du matin.
Séjour des Osmanlis et reine du Bosphore,
Elle dicte des lois aux peuples de l’aurore.
Son magnifique éclat, son luxe merveilleux,
Du voyageur surpris éblouissent les yeux ;
Ses gigantesques tours, sa muraille profonde
Et ses blancs minarets se balancent dans l’onde.
En ses riants jardins et dans ses frais vergers,
Où la rose fleurit parmi les orangers,
Quand la lune dans l’air se lève radieuse,
Modulant tristement sa note harmonieuse,
Le sensible Bulbul, ami des frais buissons,
Sur le front du palmier prélude à ses chansons.
C’est là que, recherchant la fraîcheur du platane,
Sous l’œil d’un africain, la pensive sultane,
Lorsque du haut des monts descend l’ombre du soir,
Pour respirer l’air pur, en pleurant vient s’asseoir ;
La riche cassolette à ses pieds allumée,
Épanche dans les airs la myrrhe parfumée.
Esclave, elle a perdu son pays sans retour,
Et subit les affronts d’un inconstant amour !
En vain on la distrait au son des mandolines ;
Malheureuse, elle songe à ses vertes collines,

Aux baisers de sa mère !… Ô regrets superflus !
Les côteaux d’Yemen ne la reverront plus !
Ces hommes, cependant, qui flétrissent sa vie,
Et dans leurs chaînes d’or la tiennent asservie,
Pour un geste innocent, pour un simple regard,
La feraient aussitôt tomber sous leur poignard,
Ou livreraient vivante au requin du Bosphore
L’amante que bientôt le monstre affreux dévore.
Ce palais que surmonte un large croissant d’or,
C’est la prison splendide où la captive dort ;
Là, l’ennuque muet, d’une main menaçante,
À l’infidèle montre une corde effrayante.
Au bord de Marmara, des kioskes scintillants
Étalent au soleil leurs vitrages brillants ;
À l’ombre des cyprès, parmi les blanches tombes,
Le beau cygne folâtre au milieu des colombes.
Voyez ces musulmans aux portes des bazars ;
Voyez ces cavaliers qui couvrent les remparts ;
Sous les pas des coursiers ils font trembler la terre ;
Leur bras nerveux brandit un large cimeterre :
Mais un cadi paraît, et ce craintif troupeau
Court présenter sa tête au lacet du bourreau.
Énervés par le vice, avilis, sans courage,
Et façonnés au joug d’un honteux esclavage,
Ils n’osent devant lui lever leur pâle front ;
Ils ne distinguent point la gloire de l’affront ;
Aucun noble penser ne germe dans leur âme ;
Ils n’ont de passion que pour le vice infâme ;
Muets adorateurs de la fatalité,
Ils ne connaissent point l’aimable liberté ;
Leur prophète ne peut apaiser leurs souffrances !
Ah ! l’abus mensonger de viles jouissances
Vaut-il le vrai bonheur que vous donne la foi,
Ô vous qui de Jésus suivez la douce loi ?

Mais, je l’espère, un jour, pour un plaisir infâme,
Le Turc ne voudra plus rendre esclave la femme,
Quand il saura le prix d’un cœur en liberté,
Quand, pour le rendre heureux, la Foi, la Charité

Et leur fidèle sœur, l’Espérance céleste,
Lui feront adorer une loi qu’il déteste.

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Il est en orient un homme généreux,
Littérateur instruit, honnête, ingénieux :
C’est Kémal-Effendi. L’aimable poésie
Épanche autour de lui ses parfums d’ambroisie ;
Les échos du Bosphore ont entendu sa voix ;
Il a chanté les prés, les ruisseaux et les bois
Sur un rythme sonore où la grâce respire.
Il voudrait réformer l’oriental empire ;
D’un peuple qui gémit il a sondé le mal,
Et, prudent novateur, le bienfaisant Kémal
Cherche pour le guérir un remède énergique.
Naguère il parcourait ma paisible Belgique,
Étudiant ses mœurs, consultant ses progrès,
Et son enseignement si fécond en bienfaits ;
De nos jeunes enfants visitant les écoles,
Recueillant avec soin leurs candides paroles ;
Il a pu contempler les merveilles des arts,
En nos vieilles cités s’offrant de toutes parts ;
Partout il admira la puissante industrie,
Qui rehausse ta gloire, ô ma belle patrie !
Et, non pas sans surprise, il vit la Liberté,
Compagne de mon Roi, s’asseoir à son côté ;
Car loin de nos climats la noire tyrannie,
Par le Belge irrité, honteuse fut bannie ;
Il ne porte qu’un joug, c’est celui de ses lois ;
Sourd aux cris de l’émeute, il écoute leur voix.

Ah ! va peindre au Sultan ces moissons abondantes,
Comblant du laboureur les craintives attentes,
Kémal, et ces vergers dont les fruits succulents,
D’Albion font fléchir les vaisseaux tous les ans :
Il essaîra peut-être, au soleil de l’aurore,
D’en enrichir Stamboul, de les y faire éclore.
Il croît en Occident un arbre aux rameaux verts,
Un arbre cultivé dans tout notre univers ;

Aucun n’a plus de sève, aucun n’est plus fertile ;
C’est l’arbre vigoureux, l’arbre de l’Évangile :
Que ton maître permette au zèle du Croyant
De le planter partout sur le sol Ottoman,
Sur le flanc des rochers, au sommet des montagnes
Au milieu des cités, au milieu des campagnes ;
Tu le verras porter des fruits délicieux,
Des fruits qu’ont savourés les habitants des cieux ;
Sous ton brûlant climat son immense ramure
Rafraîchira le sol de ses flots de verdure ;
Cet arbre, asile sûr pour l’Arabe en danger,
Dans les plus mauvais jours pourra le protéger.
Ni le simoun ardent, ni la noire tempête,
Jamais sous cet abri ne frapperont sa tête ;
Ému de gratitude, à son divin aspect,
Il courbera son front avec un saint respect.

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