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Le Dialogue (Hurtaud)/103

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 376-378).


CHAPITRE VI

(103)

Comment si, en priant pour une personne, Dieu fait voir à l’âme qui prie que cette personne est dans les ténèbres, l’on n’en doit pas juger qu’elle est en péché mortel.

Venons maintenant au cas dont tu m’as demandé la solution.

En priant spécialement pour certaines personnes voilà qu’en ton oraison, tu vois en l’une une lumière de grâces, tandis que l’esprit de l’autre t’apparaît enveloppé de ténèbres, bien que toutes deux comptent parmi nies serviteurs. Tu n’en dois ni n’en peux conclure que cette dernière est en état de péché grave, parce que souvent. ce jugement serait faux.

Sache-le bien, il arrivera parfois qu’en priant pour une même personne tu trouveras en elle une telle lumière, un désir Si saint devant moi, que ton âme paraîtra s’engraisser de sa propre vertu, comme le veut l’affection de la charité, qui vous fait participer au bien, les uns des autres. Une autre fois, il te semblera que son esprit est si loin de moi, Si rempli de ténèbres et de tentations, que ce sera pour toi une fatigue de prier pour elle, de porter son souvenir devant moi. Il se peut que ce soit là la conséquence d’une faute en celui pour qui tu pries ; mais, le plus souvent, il n’y aura là aucun péché ; ce sera simplement moi, le Dieu éternel, qui me serai retiré de cette âme, comme je le fais souvent pour provoquer à la perfection, ainsi que je te l’ai expliqué, à propos des états intérieurs. J’aurai retiré le sentiment de ma présence, non nia grâce. Cette âme n’éprouvera plus de douceur, plus de consolation, elle demeurera dans la sécheresse, dans l’aridité, dans la souffrance. Sa souffrance, je la fais sentir à l’âme qui prie pour elle et cela par grâce et par amour pour l’âme en peine, afin que l’âme qui prie s’unisse à elle, pour l’aider à dissiper les ténèbres qui enveloppent son esprit. Tu vois donc, nia très douce et très chère Fille, combien tu serais aveugle et digne de blâme, si tu jugeais — toi ou quelque autre — sur cette simple apparence, que c’est le péché qui est la cause des ténèbres que je t’aurais montrées dans cette âme car tu as vu qu’elle n’était pas privée de ma grâce, mais seulement de la douceur que je lui faisais goûter, dans le sentiment de ma présence.

Ce que je veux et ce que vous devez vouloir, toi et mes autres serviteurs, c’est que vous vous connaissiez parfaitement vous-mêmes, afin de mieux connaître ma Bonté en vous. Laissez-moi juger les autres c’est mon affaire, et non la vôtre. Remettez-vous-en à moi du jugement qui m’appartient et ne retirez du péché d’autrui que la compassion pour le prochain, avec la faim de mon honneur et du salut des âmes. Avec un ardent désir, prêchez la vertu, et reprenez le vice on vous, et aussi dans les autres, mais selon la mesure que j’ai déterminée plus haut.

Ainsi vraiment tu viendras à moi, ainsi tu feras voir que tu as bien compris et que tu observes la doctrine qui te fut donnée par ma Vérité, qui est de voir ma volonté en tout, sans t’occuper de celle des hommes. C’est le seul moyen de parvenir à la pure vertu, et de te maintenir dans cette très parfaite et glorieuse lumière qui est, ici bas, le couronnement de la perfection, en te nourrissant, à la table du saint désir, de cet aliment que sont les âmes, pour la gloire et l’honneur de mon nom.