Le Dialogue (Hurtaud)/121

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 53-58).


CHAPITRE XII

(121)

Des péchés et de la vie coupable des mauvais prêtres.

Écoute maintenant, fille bien-aimée ! Afin que toi et mes autres serviteurs, vous ayez plus sujet de m’offrir pour eux, d’humbles et continuelles prières, je veux te montrer et te dire la vie criminelle de trop de mes prêtres. De quelque côté que tu regardes, séculiers et religieux, clercs et prélats, petits et grands, jeunes et vieux, gens de toute condition, partout tu ne vois qu’offenses. Tous répandent l’infection de leurs péchés mortels ; mais cette infection ne peut m’atteindre ni me nuire, elle n’est mortelle que pour eux-mêmes.

Je t’ai entretenue, jusqu’ici, de l’excellence de mes ministres et de la vertu des bons, pour donner à ton âme quelque consolation, et pour te faire mieux comprendre la misère de ces malheureux, combien ils sont dignes de plus grands reproches et d’un plus terrible châtiment. Autant les élus, mes bien-aimés, qui ont fait fructifier par leurs vertus le trésor que je leur avais confié, méritent une plus grande récompense, et seront comme des pierres précieuses en ma présence, autant ceux-là sont misérables, et auront en partage les tourments les plus cruels.

Sais-tu, ma fille, quel est le principe de leur égarement ? Apprends-le, dans la douleur et l’amertume de ton cœur. C’est dans l’amour égoïste d’eux mêmes, d’où est issu l’arbre de l’orgueil, qui a pour rejeton l’aveuglement, l’absence de discernement. Dépourvus de sens spirituel, ils ne se proposent plus d’autre but, que les honneurs et la gloire ; ils sont à l’affût de grandes prélatures ; ils n’ont d’ambition que pour le faste et les délicatesses du corps. Pour moi, ils n’ont que du dédain, que des offenses. Ils s’attribuent à eux-mêmes ce qui ne leur appartient pas, et me donnent ce qui n’est pas à moi. Ce qui est à Moi, c’est la gloire, c’est l’honneur de mon nom, voilà ce qu’ils me doivent. Ce à quoi ils ont droit, c’est la haine de leur propre sensualité, par une véritable connaissance d’eux-mêmes, c’est le sentiment de leur indignité, en regard du grand Mystère que je leur ai confié. Bien au contraire, enflés d’orgueil, ils ne se peuvent rassasier de dévorer la terre des richesses et des délices du monde. Ils sont avides, cupides, avares à l’égard des pauvres ; et ce misérable orgueil et cette avarice, nés de l’amour égoïste et sensuel, leur ont fait abandonner le soin des âmes. Ils n’ont de pensée et de souci que des choses temporelles, et mes brebis, dont je leur ai commis la garde, ne sont plus, entre leurs mains, que des brebis sans pasteur. Ils ne les paissent pas, ils ne les nourrissent pas, ni spirituellement, ni temporellement. Ils administrent, il est vrai, spirituellement, les sacrements de la sainte Église, dont leur faute ne peut ni détruire, ni diminuer la vertu. Mais ils ne sustentent pas les âmes de leurs prières ferventes, de l’ardent désir de leur salut, et d’une vie honorable et sainte. Ils ne nourrissent pas, non plus, leurs sujets, des choses temporelles, ils ne distribuent pas aux pauvres les biens de l’Église dont ils doivent faire trois parts, comme je te l’ai dit : la première pour leurs besoins, la seconde pour les pauvres, la troisième pour l’utilité de l’Église.

Loin de là ! Non seulement ils ne distribuent pas ce qu’ils doivent aux pauvres, mais encore ils dépouillent les autres par simonie. Oui, par amour de l’argent ils vendent la grâce de l’Esprit-Saint. Souvent même ils en viennent à ce degré de malice, que ce que je leur ai donné gratuitement pour qu’ils le distribuent de même, ils le refusent à ceux qui en ont besoin, jusqu’à ce qu’ils aient la main pleine et qu’on les ait pourvus de nombreux présents. Leur amour pour ceux qui leur sont soumis se mesure exactement au profit qu’ils en retirent, ni plus, ni moins. Tous les revenus de l’Église passent dans l’achat de vêtements somptueux, pour se montrer, vêtus avec délicatesse, non comme des clercs ou des religieux, mais comme des seigneurs et damoiseaux de cour. Ils ont le goût des beaux chevaux, des nombreux vases d’or et d’argent pour la décoration de leur maison, et ils apportent dans cette possession, si contraire à leur état, une grande vanité de cœur qui se révèle dans le désordre et la légèreté de leurs discours. Ils ne rêvent que festins et se font un Dieu de leur ventre : mangeant et buvant sans mesure, ils ne tardent pas à tomber dans l’impure té et dans la débauche.

Malheur, malheur à leur vie misérable ! C’est ainsi qu’ils dépensent avec des pécheresses publiques ce que le doux Verbe, mon Fils unique, a acquis au prix de tant de peine sur le bois de la très sainte Croix !

C’est ainsi qu’ils déchirent de mille cruelles morsures et qu’ils dévorent les âmes rachetées par le sang du Christ. C’est ainsi qu’ils nourrissent leurs fils du patrimoine des pauvres !

O temples du diable Je vous avais élus pour être des anges de la terre, en cette vie, et vous êtes des démons I Et vous avez choisi l’office des démons ! Ils répandent, les démons, les ténèbres qu’ils ont en eux-mêmes, ils sont les ministres de cruels tourments. C’est eux qui travaillent autant qu’il est en eux, par leurs attaques, par leurs tentations, à priver les âmes de la grâce, en les entraînant dans le péché mortel. L’âme, il est vrai, ne peut tomber dans une faute que si elle le veut bien, mais ils font tout ce qui est en leur puissance, pour l’y attirer.

N’est-ce pas aussi ce que font ces malheureux, indignes d’être appelés mes ministres ? Ce sont des démons incarnés, puisque, parleurs propres péchés ils se sont conformés à la volonté du démon, et par là même font fonction de démens. Ils me distribuent, moi le vrai Soleil, au milieu des ténèbres du péché mortel, et ils répandent ainsi les ténèbres de leur vie déréglée et criminelle sur les autres créatures raisonnables qui leur sont soumises. Ils couvrent de honte et remplissent de douleur les âmes qui sont ainsi témoins de leur existence désordonnée. Souvent même, ils jettent le trouble et le tourment dans les consciences qui se laissent détourner de l’état de grâce et de la voie de la Vérité. En les entraînant au péché, ils les conduisent par le chemin du mensonge, bien que ceux qui les suivent soient pourtant sans excuse ; car aucune puissance ne peut les contraindre au péché mortel, pas plus celle des démons visibles que celle des démons invisibles. Personne ne doit se régler sur leur vie ni imiter ce qu’ils font. C’est ce qu’ils disent que vous devez faire (Mt 23, 3), comme vous en avertit ma Vérité, dans le saint Evangile. La doctrine que vous devez suivre, c’est celle qui vous est donnée dans le corps mystique de la sainte Église, conservée dans les saintes écritures et proclamée par mes hérauts, les prédicateurs chargés d’annoncer ma parole.

Ne les imitez pas dans leur vie mauvaise, si vous ne voulez pas les suivre dans les malheurs qu’ils méritent ; et gardez-vous aussi de les punir : vous m’offenseriez. Laissez leur vie coupable, et ne recueillez d’eux que la doctrine. Réservez-moi le châtiment, car je suis le Dieu bon et éternel qui récompense toute bonne action et punit toute faute. Pour être mes ministres, ils n’en sont pas moins exposés à ma vengeance, et leur dignité ne les couvrira pas contre ma justice. C’est au contraire, plus durement que tous les autres, qu’ils seront punis, s’ils ne se convertissent pas, parce qu’ils ont plus reçu de ma Bonté. En m’offensant si misérablement, ils s’attirent un châtiment plus lourd. Ce sont des démons, encore une fois, tu le vois bien, comme mes élus dont je t’ai parlé, sont des anges sur terre, chargés de faire l’office des anges.