Le Dialogue (Hurtaud)/134

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 137-144).


CHAPITRE XXV

(134)

Comment cette âme dévote en louant et remerciant Dieu, prie pour la sainte Église.

Alors cette âme, comme enivrée, haletante, et embrasée d’amour, le cœur blessé d’une grande douleur, se tournait vers la souveraine et éternelle Bonté : " O Dieu éternel, disait-elle, Ô Lumière au-dessus de toute lumière et foyer de toute lumière ! Ô Feu au-dessus de tout autre feu, Feu qui seul brûle sans se consumer ! Feu qui consume dans l’âme tout péché et tout amour-propre, Feu qui ne consume pas l’âme, mais la nourrit d’un amour insatiable, puisqu’en la rassasiant, vous ne la rassasiez pas, elle vous désire toujours ; et plus elle vous désire plus elle vous possède, plus elle vous cherche et plus elle vous trouve, plus elle vous goûte, Ô Feu souverain, Feu éternel, abîme de Charité !

O Bien suprême et éternel, qui vous a donc porté, vous le Dieu infini, à m’éclairer de la lumière de votre Vérité, moi votre petite créature ? Nul autre que vous-même, Ô Feu d’amour ! L’Amour, toujours, l’Amour seul, vous a poussé et vous pousse encore à créer à votre image et ressemblance vos créatures raisonnables, et à leur faire miséricorde, en les comblant de grâces infinies et de dons sans mesure. O Bonté au-dessus de toute bonté, vous seul êtes souverainement bon ! Et, cependant, vous nous avez donné le Verbe, votre Fils unique, pour qu’il vécût avec nous, en contact avec notre être de corruption et nos ténèbres ! De ce don quelle fut la cause ? L’amour car vous nous avez aimés avant que nous ne fussions. O Grandeur éternelle ! Ô ! grandeur de Bonté. Vous vous êtes abaissée, vous vous êtes faite petite, pour faire l’homme grand. De quelque côté que je me tourne, je ne trouve qu’abîme et feu de votre Charité.

Est-ce moi, pauvre misérable, qui pourrai reconnaître ces grâces et cette ardente Chanté que vous m’avez témoignée et que vous me témoignez encore, avec tant d’amour, à moi en particulier, en dehors de la charité générale et de l’amour que vous avez pour vos créatures ? Non, certes : Vous seul, très doux et tendre Père, serez reconnaissant pour moi. C’est le sentiment de votre Charité elle-même, qui vous rendra grâce à ma place : car moi, je suis celle qui ne suis pas. Si je disais que je suis quelque chose par moi-même, je mentirais sur ma tête ; menteuse, je serais fille du démon qui est le père du mensonge. Vous seul, êtes Celui qui est. L’existence et toutes les grâces que vous avez ajoutées à mon être, c’est de vous que je les tiens, c’est vous qui me les avez données et me les continuez, par amour, sans que j’y aie aucun droit.

O Père très doux, quand la race humaine était là gisante et blessée par le péché d’Adam, vous lui avez envoyé le médecin, votre cher Fils, le Verbe d’amour. Et quand j’étais abattue moi-même, languissante dans la négligence et une épaisse ignorance, vous le très doux et très suave médecin, le Dieu éternel, vous m’avez donné une suave et douce et amère médecine, pour me guérir et me tirer de mon infirmité. Elle était suave, parce que c’est, avec votre charité, avec votre suavité que vous vous êtes manifesté à moi, vous la douceur au-dessus de toute douceur. Vous avez éclairé l’œil de mon intelligence par la lumière de la très sainte foi, et dans cette lumière, suivant qu’il vous plut de me le découvrir, j’ai connu l’excellence et la grâce que vous avez conférées à la race humaine en vous donnant à elle tout entier, vrai Dieu et vrai homme, dans le corps mystique de la sainte Église. J’ai appris ainsi la dignité de vos ministres, établis par vous, pour vous distribuer vous-même à nous.

Je désirais l’accomplissement de la promesse que vous m’aviez faite, et vous m’avez accordé beaucoup plus, en me donnant ce que je ne savais pas vous demander. Vous m’avez fait connaître ainsi que le cœur de l’homme ne peut tant demander ni tant désirer, que vous ne lui donniez encore davantage. Je vois que vous êtes le Dieu infini et éternel, et que nous, nous sommes ceux qui ne sont pas. C’est parce que vous êtes infini, et nous finis, que vous donnez à votre créature raisonnable plus qu’elle ne peut et sait désirer. La mesure de son désir n’égale jamais la mesure, suivant laquelle vous savez, pouvez et voulez exaucer l’âme, et la rassasier de ce qu’elle ne vous a pas demandé. Encore moins, peut-elle mettre dans sa prière, cette amabilité et cette douceur avec laquelle vous donnez.

J’ai donc été éclairée de votre lumière sur votre Grandeur et votre Charité, par l’amour même que VOUS avez en pour toute la race humaine, et particulièrement pour vos oints, qui doivent être, en cette vie, les anges de la terre. Vous m’avez montré la vertu et le bonheur de ceux de vos christs qui ont vécu dans la sainte Église comme des lampes ardentes, ornées de la perle de la justice, et j’ai mieux compris par là, la faute de ceux qui vivent dans le désordre. J’en ai conçu une grande tristesse, et pour l’offense qui vous est faite et pour le dommage qui en résulte pour le monde entier. Car ils sont une cause de perdition pour le monde, aux yeux duquel ils apparaissent comme le miroir du vice, quand ils devraient être le miroir de la vertu. Et comme à moi misérable, qui suis la cause et l’instrument de bien des péchés, vous avez montré leur iniquité et confié vos plaintes, j’en ai éprouvé une intolérable douleur.

O amour ineffable ! Vous m’avez donné, en me dévoilant ces choses, une médecine douce et amère, pour me guérir de mon infirmité, pour m’arracher à mon ignorance et à ma tiédeur, pour ranimer mon zèle et provoquer un ardent désir de recourir à vous ! En me montrant ainsi votre Bonté et les outrages que vous recevez de tous les hommes, mais spécialement de vos ministres, vous avez voulu me faire verser, sur moi-même, pauvre pécheresse, et sur ces morts qui vivent si misérablement, un torrent de larmes, qui jailliront de la connaissance de votre infinie Bonté. Je ne veux donc pas, Ô Père éternel, foyer d’amour ineffable et d’ardente charité, je ne veux pas cesser un instant, de faire des vœux pour votre honneur et le salut des âmes ! Je ne veux pas que mes yeux s’arrêtent de pleurer, et je vous demande en grâce, qu’ils soient comme deux fleuves de cette eau qui jaillit de vous, l’Océan de paix !

Grâces, grâces vous soient rendues, à vous, Père, pour avoir exaucé mn demande, et aussi pour m’avoir accordé ce que je ne connaissais pas, ce que je ne demandais pas. En me fournissant un sujet de larmes, vous m’avez invitée à offrir devant vous, de doux et d’ardents désirs, tout chargés d’amour, avec mes humbles et continuelles prières. Je vous demande donc, maintenant, de faire miséricorde au monde et à votre sainte Église, en vous suppliant d’accomplir vous-même, ce que vous-même me faites demander. Oh ! misérable que je suis, quelle douleur en mon âme d’être cause de tous ces maux ! Faites miséricorde au monde, ne tardez plus, laissez-vous fléchir, exaucez enfin le désir de vos serviteurs ! Hélas ! N’est-ce pas vous-même qui provoquez leurs cris ? Écoutez donc leur voix ! N’est-ce pas votre Vérité qui a dit : "Appelez, et il vous sera répondu ; frappez et il vous sera ouvert, demandez et l’on vous donnera (Lc 11, 9) ?" O Dieu éternel, vos serviteurs font appel à votre miséricorde, répondez-leur donc ! Ne sais-je pas que la Miséricorde est tellement divine que vous ne pouvez refuser de l’accorder à qui vous la demande ? Ils frappent à la porte de votre Vérité, parce que dans votre Vérité, votre Fils unique, ils ont connu l’amour ineffable que vous avez pour l’homme. S’ils frappent à la porte, votre charité de feu ne doit donc pas, ne peut pas, refuser d’ouvrir à qui frappe avec persévérance !

Ouvrez donc ! Elargissez, brisez les cœurs endurcis de vos créatures, non à cause d’elles qui ne frappent pas, mais à cause de votre infinie Bonté, mais à cause de l’amour de vos serviteurs qui frappent, en vous implorant pour eux ! Donnez-leur, Père éternel ! Voyez, ils sont là, à cette porte de votre Vérité, qui demandent ! Et que demandent-ils ? Le sang de votre Vérité qui est elle-même la porte ! Ils veulent ce sang dans lequel vous avez lavé l’iniquité et effacé la tache du péché d’Adam. Il est à nous, ce sang, puisque vous nous en avez fait un bain ! Vous ne pouvez pas, vous ne voulez pas le refuser à qui vous le demande. Donnez donc le fruit de ce sang, à vos créatures. Placez dans là balance le prix du sang de votre Fils, et que les démons de l’enfer ne puissent emporter vos brebis !

Oh ! n’est-ce pas vous, le bon Pasteur, qui nous avez donné le vrai Pasteur, votre Fils unique, qui, sur votre commandement, a donné sa vie pour ses brebis et les a lavées dans son sang ? C’est ce sang, que vous demandent vos serviteurs, avec un grand désir, en frappant à cette porte. C’est par ce sang, qu’ils vous supplient de faire miséricorde au monde, et de faire refleurir à nouveau la sainte Église, en lui envoyant ces fleurs embaumées, que sont les bons et saints pasteurs, pour que la bonne odeur qu’ils répandent dissipe l’infection des fleurs mauvaises et fétides. Père éternel, vous avez dit vous-même, que, pour l’amour que vous portez à vos créatures raisonnables, vous aurez égard aux prières de vos serviteurs, à leurs travaux, aux souffrances qu’ils endurent, sans avoir péché, pour faire miséricorde au monde et réformer votre Église ! C’est la consolation qu’attendent vos serviteurs. Ne tardez donc plus à jeter sur nous le regard de votre miséricorde ! Répondez-nous, ô Vous qui voulez nous répondre avant même que nous vous invoquions, répondez-nous avec la voix de votre miséricorde !

Ouvrez la porte de votre ineffable charité, cette charité que vous nous avez déjà donnée par votre Verbe. En vérité, je sais que déjà vous ouvrez avant même que nous frappions ! Ouvrez donc ! C’est avec l’affection, c’est avec l’amour que vous-même avez donnés à vos serviteurs, qu’ils heurtent à cette porte et qu’ils vous appellent, tout remplis d’ardeur pour votre honneur et le salut des âmes. Donnez-leur le pain de vie, le fruit du sang de votre Fils unique, qu’ils vous demandent pour la gloire et l’honneur de vôtre nom et pour le salut des âmes ! Ne reviendra-t-il pas à votre nom, plus de gloire et de louange, à sauver tant de créatures, qu’à les laisser s’obstiner dans leur endurcissement ?

A vous, Père éternel, tout est possible ! Bien que vous nous ayez créés sans nous, vous ne voulez pas nous sauver sans nous. Je vous prie donc, de retourner leur volonté et de la disposer à vouloir ce qu’ils ne veulent pas : je vous le demande par votre infinie miséricorde ! Vous nous avez créés de rien ! Maintenant que nous sommes, faites-nous miséricorde, réparez les vases que vous avez créés et formés à votre image et ressemblance. Restaurez-les dans la grâce, par la miséricorde et le sang de votre Fils, le doux Christ Jésus.