Le Dialogue (Hurtaud)/136

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 150-156).


CHAPITRE II

(136)

Comment l’espérance est un don de la Providence divine et comment plus on espère parfaitement, plus parfaitement aussi l’on goûte la providence de Dieu.

De plus, j’ai donné à l’homme la consolation de l’ espérance.

Lorsque, à la lumière de la très sainte foi, il considère le prix du Sang qui a été payé pour lui, il en conçoit une ferme espérance et la certitude de son salut. Les opprobres du Christ crucifié lui ont rendu l’honneur, car, s’il m’offense par tous les membres de son corps, le Christ béni, mon très doux Fils, a par tout son corps enduré d’affreux tourments. Son obéissance a réparé votre désobéissance, et tous vous avez part à la grâce de son obéissance comme tous vous avez contracté la faute de la désobéissance.

Voilà ce qu’a fait voir vous ma providence. Depuis le commencement du monde jusqu’à aujourd’hui, efle a pourvu aux besoins et au salut de l’homme et elle y pourvoira jusqu’à son dernier jour, par des moyens multiples et variés, suivant que moi-même, le bon et vrai médecin, je jugerai le remède conforme à votre infirmité, et nécessaire pour vous rendre la santé parfaite et vous la conserver. Ma providence ne manquera jamais à qui cherche son appui et espère en moi comme il faut. Celui qui espère en moi, frappe et appelle en vérité, non seulement en paroles, mais par le sentiment du cœur. A la lumière de la très sainte foi, il me goûte moi-même dans ma providence ; mais non celui qui frappe et appelle en ne faisant entendre que le son de sa voix, et en disant seulement " Seigneur, Seigneur".

Je te l’affirme, si leur invocation n’a pas d’autre vertu, ce n’est pas ma miséricorde qui les reconnaîtra, mais ma justice. Ma providence, ai-je dit, ne fait pas défaut à qui espère en moi ; mais elle se détourne de qui me retire sa confiance pour la placer en soi-même. Tu le sais, on ne peut placer son espérance en deux choses contraires. C’est ce qu’a voulu faire entendre ma Vérité, quand elle a dit dans le saint Evangile " Nul ne peut servir deux maîtres, car s’il sert l’un, il méprise l’autre (Lc 16, 13) ". Le service suppose l’espérance. Le serviteur n’accomplit son service, qu’en vue de la récompense et des avantages qu’il prévoit devoir en retirer, ou dans l’espoir de plaire à son maître : par conséquent, il ne servira pas l’ennemi de son maître, car il ne le pourrait faire sans l’espérance de quelque avantage ; mais du même coup, par ce service et par cet espoir, il se verrait privé de ce qu’il attendait de son maître.

Considère, ma fille très chère, qu’il en va de même pour l’âme. Il faut qu’elle me serve et qu’elle espère en moi, ou bien qu’elle serve le monde et qu’elle place en lui son espérance — et en elle-même aussi ; car, dans la mesure où elle sert le monde, loin de moi, d’un service sensuel, dans la même mesure elle sert et aime sa propre sensualité, et, de cet amour, de ce service, elle attend une jouissance, un plaisir, une satisfaction sensuelle -. Mais comme c’est dans une chose finie, vaine et passagère qu’elle a mis son espérance, elle se trouve déçue et n’en retire pas la joie qu’elle en attendait. Tant qu’elle espère ainsi en elle-même et dans le monde, elle ne saurait espérer en moi, puisque le monde, les désirs mondains de l’homme, sont pour moi un objet de haine. Ils me font tellement horreur que c’est à cause d’eux, que j ’ai livré mon Fils unique à la mort ignominieuse de la croix. Entre le monde et moi, par conséquent, pas d’alliance possible.

Par contre, celui qui a mis en moi son espérance et me sert de tout son cœur, dans la plénitude de son âme, nécessairement et du même coup et pour la même raison, cesse d’espérer en soi-même et dans le monde : il n’a plus confiance en sa propre fragilité.

Cette véritable et sainte espérance est plus ou moins parfaite, suivant le degré d’amour que l’âme a pour moi : et, c’est dans la même mesure qu’elle goûte ma providence. Ceux qui me servent, avec l’unique espoir de me plaire, la goûtent mieux que ceux qui attendent de leur service une récompense dans la joie qu’ils trouvent en moi. Les premiers sont ceux dont je t’ai exposé la perfection, à propos du dernier état de l’âme ; les autres, qui se laissent conduire par l’espoir de la récompense et de la consolation, appartiennent au second et au troisième degré ; ils sont ces imparfaits, dont je t’ai entretenu tout au long, au chapitre des différents états de l’âme.

Parfaits et imparfaits sont l’objet des attentions de ma providence : elle ne manquera à aucun, pourvu qu’il n’ait pas la présomption d’espérer en soi-même. Cette présomption, cette espérance en soi-même, provient de l’amour-propre, et obscurcit par là même l’œil de l’intelligence en la privant de la lumière et de la très sainte foi. L’homme ne marche plus dès lors à la lumière de la raison ; il ne connaît plus ma providence. Ce n’est pas qu’il n’en éprouve encore les effets, car il n’est personne, ni juste, ni pécheur, qui échappe à son action. Tout a été fait, tout a été créé par ma bonté. Je suis celui qui suis, et sans moi rien n’a été fait, sinon le péché qui n’est pas. Ainsi donc, ceux qui espèrent en eux-mêmes sont eux aussi tributaires de ma providence, mais ils ne la comprennent pas, parce qu’ils ne la connaissent pas, et ne la connaissant pas, ils ne l’aiment pas, et n’en reçoivent pas le fruit de grâce. Ils voient tout de travers, là où tout est droit. Aveugles qu’ils sont, en toute chose ils prennent la lumière pour les ténèbres et les ténèbres pour la lumière, parce que c’est dans les ténèbres qu’ils ont mis leur espérance, c’est aux ténèbres qu’ils ont voué leur service. Leur aveuglement les fait tomber dans le murmure, et les conduit à la révolte.

O fille très chère, quelle n’est pas leur folie : Comment peuvent-ils bien croire que moi, la souveraine et éternelle Bonté, je puisse vouloir autre chose que leur bien, dans les petites choses, que je permets uniquement pour leur salut, quand ils savent par expérience que, dans les grandes, je ne veux rien d’autre que leur sanctification. Malgré tout leur aveuglement, avec un peu de lumière naturelle, ils devraient reconnaître ma bonté et le bienfait de ma providence. Ils la découvrent sans conteste dans la première création, et dans la seconde création qu’a trouvée l’homme dans le Sang, quand je le constituai à nouveau en grâce, comme je t’ai dit.

C’est là un fait bien évident, auquel on ne peut contredire. Ils n’en ferment pas moins les yeux à cette évidence, et s’effraient de leur ombre, parce que cette lumière naturelle n’a pas été développée dans la vertu. L’homme insensé ne voit pas, que toujours j’ai pourvu aux nécessités du monde en général et de chacun en particulier, suivant son état. Et comme, en cette vie, rien n’est stable, tout est en perpétuel mouvement, jusqu’à ce qu’il parvienne au terme qui lui est assigné, ma providence ménage sans cesse, à chacun, les secours dont il a besoin, aux différents instants de sa durée.