Le Dialogue (Hurtaud)/141

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 173-179).


CHAPITRE VII

(141)

Comment la Providence divine nous menace des tribulations pour notre salut. Du malheur de ceux qui mettent leur confiance en eux-mêmes, et de l’excellence de ceux qui espèrent dans la providence.

Tu vois donc que, par ma providence, j’ai réparé la ruine de l’homme, cet autre monde.

Mais j’ai laissé sur la terre les épines de nombreuses tribulations, et permis que partout l’homme se heurtât à la rébellion des choses. Ce n’est pas sans un conseil de ma providence que j’en ai agi de la sorte, ni sans égard à votre bien. Ma sagesse s’est inspirée de vos besoins. J’ai voulu détourner l’homme de placer son espérance dans le monde, pour l’amener à courir droit à moi qui suis sa fin, et j’ai pensé que du moins les coups répétés des tristesses humaines lui apprendraient à porter plus haut son cœur et ses désirs. Cependant telle est son ignorance de cette vérité, si grand est son attrait pour les délices du monde, que, malgré toutes les épines, toutes les souffrances qu’il y trouve, il ne parait pas vouloir s’en détacher, ni se soucier de rentrer dans sa patrie.

Que serait-ce donc, ma fille, tu le peux comprendre, s’il trouvait en ce monde tout à souhait, dans une joie tranquille, jamais traversée d’aucune peine ? Voilà pourquoi ma providence a permis, que le monde produisit en abondance les tribulations. Par elles j’éprouve la vertu de mes serviteurs, et dans les peines qu’ils souffrent, dans la force avec laquelle ils les endurent, dans la violence qu’ils se font à eux-mêmes, je trouve un titre à la récompense. Ainsi ma providence a tout ordonné, tout disposé avec une sagesse parfaite.

J’ai donné beaucoup à l’homme, parce que je suis riche et que je le pouvais faire ; et je le puis toujours, car ma richesse est infinie. Tout a été fait par moi, et sans moi rien ne peut être. Et donc l’homme veut-il la beauté, je suis la beauté ; veut-il la bonté, je suis la bonté, car je suis bon souverainement ; je suis la sagesse, je suis doux, je suis juste, je suis miséricordieux. Je suis généreux et non pas avare ; je suis celui qui donne à qui lui demande ; j’ouvre à celui qui frappe vraiment ; je réponds à qui m’appelle. Je ne suis pas ingrat, je reconnais mes serviteurs et j ’aime à récompenser ceux qui se dépensent pour moi, pour l’honneur et la gloire de mon nom. Je suis joyeux et je conserve en constante allégresse l’âme qui s’est revêtue de ma volonté. Je suis cette grande providence, qui jamais ne fait défaut à mes serviteurs qui espèrent en elle, soit pour leur âme, soit pour leur corps.

Comment l’homme peut-il refuser de croire que j’aurai soin de lui, lui que j’ai créé à mon image et ressemblance, quand il me voit nourrir et préserver le ver dans le bois sec, donner leur pâture aux bêtes des champs, aux poissons de la mer, aux oiseaux de l’air, à tous les êtres vivants qui sont sur terre ? Je fais luire mon soleil sur les plantes, et je répands sur elles la rosée qui féconde, N’est-ce pas pour son service que tout a été fait ? Ma bonté n’a rien créé sans penser à lui. De quelque côté qu’il se tourne, au spirituel comme au temporel, il ne trouve rien d’autre que l’abîme de feu de ma charité, servie par la grande et douce et parfaite providence.

Mais il ne voit pas, parce qu’il s’est privé de la lumière, et qu’il ne veut pas voir. Dès lors il se scandalise de l’épreuve, il restreint sa charité envers le prochain, il se fait avare et s’inquiète du lendemain, comme si ma Vérité ne le lui avait pas défendu quand elle a dit : Ne vous tourmentez pas pour le jour qui vient : à chaque jour suffit sa peine (Mt 6.34) !

Il vous reprochait ainsi votre peu de confiance, en vous mettant sous les yeux ma providence et la brièveté du temps. Ne vous inquiétez pas pour demain, disait-il. C’est comme s’il avait dit : Ne vous donnez pas de souci pour ce que vous n’êtes pas sûr d’avoir c’est assez de suffire au jour présent. Il vous enseignait à demander d’abord le royaume des cieux, c’est-à-dire la bonne et sainte vie. Quant à ces choses de rien, je sais bien, moi votre Père du ciel, que vous en avez besoin, puisque c’est pour vous que je les ai faites, puisque c’est pour vous que j’ai commandé à la terre de vous donner ses fruits.


Il n’a donc pas lu cette doctrine que lui a donnée le Verbe ma Vérité, ce malheureux qui, par défiance, retient son cœur et n’ouvre qu’à demi la main qui doit être secourable au prochain ! Il va devenir ainsi insupportable à soi-même. Cette confiance qu’il a mise en lui, avec cette défiance vis-à-vis de moi, est la source de tous les maux. C’est ainsi qu’il se fait juge de la volonté des hommes, sans remarquer que ce jugement n’est pas de sa compétence, et n’appartient qu’à moi seul. Quant à ma volonté, il ne la comprend pas et la juge fort mal à moins qu’elle lui ménage quelque prospérité, quelque satisfaction ou quelque plaisir du monde. S’il ne voit rien venir de ce côté, comme c’est là qu’il a placé tout son cœur et tout son espoir, il lui semble que ma providence ne fait rien pour lui, et qu’il ne reçoit rien de ma bonté ; tout lui manque, croit-il, et tout l’abandonne. Aveuglé qu’il est par sa propre passion, il ne voit pas le trésor qu’il y a dans cette détresse, il ne perçoit pas le fruit de la véritable patience. C’est la mort qu’il en retire, et il a dès cette vie, un avant-goût de l’enfer.

Et moi cependant, dans ma bonté, je ne laisse, malgré tout, de pourvoir à ses besoins. Je commande à la terre de donner ses fruits au pécheur comme au juste ; sur son champ je fais luire mon soleil et je répands ma rosée, comme sur le champ du juste. Souvent même c’est le pécheur qui recevra avec plus d’abondance.

Ainsi en dispose ma bonté, pour verser plus largement les richesses spirituelles dans l’âme du juste, qui s’est dépouillé pour mon amour des biens temporels, en renonçant au monde, à tous ses plaisirs et à sa volonté propre. Ceux qui enrichissent leur âme et dilatent ainsi leur cœur dans l’abîme de ma charité, y perdent toute inquiétude au sujet d’eux-mêmes, au point que non seulement ils n’ont aucun souci des biens du monde, mais encore ne peuvent-ils plus penser à eux-mêmes. C’est alors que moi, je prends en main le gouvernement de leurs affaires spirituelles et temporelles. Outre ma providence générale, j’ai pour eux une providence particulière ; c’est la clémence de mon Esprit-Saint qui se met à leur service et se fait ainsi leur servante.

Ne te souvient-il pas d’avoir lu, dans la vie des Pères du désert, l’histoire de ce saint homme qui avait renoncé à tout et à lui-même, pour la gloire et l’honneur de mon nom. Comme il était malade, c’est ma clémence qui veillait sur lui, et lui envoya un ange pour l’assister et pourvoir à ses besoins. Le corps était ainsi secouru dans sa misère, tandis que l’âme demeurait dans une inexprimable allégresse, en savourant la douceur de ce commerce angélique.

En pareille occurrence, l’Esprit-Saint est pour l’homme une mère qui le nourrit au sein de ma divine charité. Il l’a rendu libre, il l’a fait seigneur, en l’affranchissant de la servitude de l’amour-propre. Car là où brûle le feu de ma cha rité, là ne peut demeurer cette, eau de l’amour-propre qui éteint dans l’âme ce doux feu. Mon Esprit-Saint, ce serviteur que ma puissance lui a donné, le revêt lui-même, il le nourrit, il l’enivre de douceur, il le comble de richesses inestimables. Il retrouve tout, pour avoir tout quitté. Pour s’être dépouillé de lui-même il est revêtu de moi. Il s’est fait lui-même, en toute chose, serviteur, par humilité, et le voilà devenu seigneur, maître du monde et de lui-même ! Il s’est comme aveuglé en renonçant à ses vues personnelles, et le voilà qui jouit de la plus pure lumière ! En désespérant de soi, il a conquis la couronne d’une foi vivante et d’une parfaite espérance qui ne l’abandonne jamais. Il goûte la vie éternelle, délivré de toute peine, parce que ses souffrances mêmes sont exemptes d’affliction. Il juge tout en bien, parce qu’en tout il découvre ma volonté et qu’il sait à la lumière de la foi que je ne veux rien d’autre que sa sanctification ; aussi, sa patience est-elle inaltérable.

Oh ! combien heureuse cette âme, qui, dans un corps mortel, n’en goûte pas moins le bien immortel ! Elle reçoit tout avec respect ; la main gauche ne lui pèse pas plus que la main droite . Tribulation ou consolation, faim ou nourriture, soif ou rafraîchissement, froid ou chaud, nudité ou vêtement, vie ou mort, honneur ou affront, affliction ou réconfort, elle accepte tout, elle est accueillante à tout, avec une humeur égale et tranquille. Rien ne l’abat, rien ne la trouble, rien ne l’ébranle. Elle est établie sur la roche vive elle a vu à la lumière de la foi, et avec une ferme espérance, que tout ce qui vient de moi, c’est avec un même amour que je le donne et dans une même pensée, la pensée et l’amour de votre salut. Elle sait que ma providence pourvoit à tout, que dans les grandes épreuves, je donne à l’âme une grande force, et que je n’impose jamais un fardeau plus lourd qu’elle ne le peut porter, pourvu qu’elle se dispose à le vouloir accepter, pour mon amour. Le sang de mon Fils vous a bien prouvé, que ce n’est pas la mort du pécheur que je veux, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. C’est pour qu’il vive, que je lui envoie tout ce qui lui arrive. Cette vérité est toujours présente à l’âme dépouillée d’elle-même, et voilà pourquoi elle ne trouve que sujet de joie, en tout ce qu’elle voit ou qu’elle éprouve, en elle-même ou dans les autres. Elle n’a jamais peur de manquer des petites choses, quand par la lumière de la foi, elle est assurée des plus grands biens, comme je te l’ai exposé au commencement de ce traité. Oh ! que glorieuse est cette lumière de la très sainte foi, qui lui a fait connaître et voir, et sans cesse lui découvre ma Vérité ! Elle vient, cette lumière, de l’Esprit-Saint, le bon serviteur : elle est une lumière surnaturelle, que l’âme obtient de ma bonté, en exerçant la lumière naturelle que je lui ai donnée.