Le Dialogue (Hurtaud)/148

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 219-223).


CHAPITRE XIV

(148)

De la providence de Dieu en général vis-à-vis de ses créatures, en cette vie et dans l’autre.

Ma fille, dilate ton cœur et ouvre l’œil de ton intelligence éclairée par la lumière de la foi, pour voir avec quel grand amour et quelle providence j’ai créé l’homme et tout ordonné en lui pour qu’il jouisse du souverain et éternel bonheur qui est le mien. J’ai pourvu à tout, je te l’ai dit, pour l’âme et pour le corps, dans les imparfaits et dans les parfaits, dans les bons et dans les méchants, au spirituel comme au temporel, au ciel et sur la terre, en cette vie mortelle comme dans la vie immortelle.

Durant votre passage en cette vie mortelle, je vous ai enchaînés dans les liens de la charité. Qu’il le veuille ou non, l’homme est lié à son semblable, s’il se sépare de lui par un sentiment contraire à la charité avec le prochain, il n’en demeure pas moins attaché à lui par la nécessité. J’ai voulu que vous demeuriez unis les uns aux autres et par les actes et par le cœur dans la charité ; mais si vous perdez la charité du cœur par vos péchés, pour que vous soyez obligés de conserver encore des liens entre vous, dans le commerce extérieur, ma providence n’a pas voulu donner à chaque homme tous les moyens de subvenir par lui-même à toutes les nécessités de la vie humaine. Chacun a reçu en partage un talent particulier, et tous sont ainsi obligés de recourir les uns aux autres pour se procurer ce dont ils ont besoin. Tu le peux voir, l’artisan a recours au laboureur et le laboureur ne peut se passer de l’artisan. Chacun d’eux a besoin de l’autre, parce que chacun d’eux ne sait pas faire ce que l’autre produit. Pareillement le clerc et le religieux ont besoin du séculier et le séculier ne peut se passer du religieux ; ils sont nécessaires l’un à l’autre. Ainsi en est-il du reste des hommes.

Ne pouvais-je accorder à chaque homme tout ce qui lui était nécessaire ? Oui bien. Mais c’est ma providence qui a voulu que chacun fût soumis à son semblable et fût ainsi amené par le besoin qu’ils ont les uns des autres à demeurer unis par les actes extérieurs et par le sentiment intérieur de la charité. J’ai fait éclater en eux ma magnificence, ma bonté, ma providence, et ils se laissent mener par les ténèbres de leur propre sensualité. Les membres mêmes de votre corps devraient vous faire rougir, car eux pratiquent entre eux la charité que vous ignorez vous-même. Quand la tête est malade, la main lui prête assistance, si c’est un doigt, ce tout petit membre, qui souffre, la tête ne dédaigne pas de se porter à son aide sous prétexte qu’elle est la partie la plus haute et la plus noble du corps : elle vient au contraire à son secours avec tout ce qu’elle possède, avec l’ouïe, avec la vue, avec la parole. Ainsi font tous les autres membres. Ce n’est pas de même qu’en agit l’homme orgueilleux, qui voyant l’un de ses membres pauvre et infirme, ne l’assiste pas dans sa nécessité, non pas certes de tout son avoir, mais encore de la moindre parole de bonté : il n’a pour sa misère que des reproches et en détourne la tête avec dégoût. il regorge de richesse et il laisse son semblable mourir de faim. Il ne s’aperçoit pas que sa bassesse et sa cruauté font monter jusqu’à moi une odeur de mort ; mais c’est pour les profondeurs de l’enfer qu’est faite sa corruption.

Ma providence cependant veille sur ce pauvre, et par la pauvreté lui prépare des richesses magnifiques, tandis que le riche, s’il ne revient à résipiscence, subira les reproches dont l’accablera ma Vérité et qu’elle annonce dans le saint Evangile : " J’ai eu faim, tu ne m’as pas donné à manger ; j’ai

eu soif, tu ne m’as pas donné à boire ; j’ai été nu, tu ne m’as pas vétu ; j’ai été malade, j’ai été prisonnier, tu ne m’as pas visite (Mt 25, 42)."

Il lui servira de peu, à ce dernier jour, de prétendre s’excuser en disant : Mais ! je ne vous ai pas vu ! si je vous avais vu, je n’eusse pas manqué de vous assister ! — Ce malheureux riche sait bien, c’est ma Vérité qui l’a dit, que ce qui est fait à ses pauvres est fait au Christ lui-même. Ce sera donc bien justement qu’il recevra avec les démons, un châtiment sans fin. Car j’avais tout disposé, sur cette terre, pour le détourner de cette éternelle douleur.

Si tu élèves tes regards vers moi, qui suis la vie qui ne passe pas, si tu contemples la nature angélique et les citoyens de cette cité immortelle, qui, par la vertu du sang de l’Agneau ont obtenu la vie éternelle, tu verras que j’ai disposé avec ordre leur charité. Je n’ai pas voulu qu’aucun pût jouir tout seul, à part soi, de sa félicité dans cette vie bienheureuse, qu’il a reçue de moi, sans que tous les autres en eussent leur part. Non, je ne l’ai pas voulu, et leur amour mutuel s’ordonne en une charité si parfaite que le plus grand jouit du bonheur du plus petit et que le plus petit prend part à la joie du plus grand. Quand je parle de plus petit, c’est de la mesure qu’il a reçue que je l’entends ; car tous ont la plénitude, le plus petit comme le plus grand, mais chacun à des degrés divers, comme je te l’ai expliqué ailleurs.

O combien fraternelle est cette charité ! Comme étroitement elle unit à moi toutes ces âmes et toutes entre elles, puisque c’est de moi qu’ils la tiennent, et qu’ils reconnaissent avec sainte crainte et parfait respect, que c’est de moi qu’ils l’ont reçue. Cette considération les embrase d’amour pour moi ; et en moi dès lors, ils voient et connaissent la dignité à laquelle je les ai élevés. L’ange entre en communication avec l’homme, avec l’âme bienheureuse, et les bienheureux avec les anges : unis qu’ils sont par les liens de la charité, chacun se réjouit du bonheur de l’autre ; et tous ensemble exultent dans la possession de moi-même. C’est une jubilation, une allégresse sans tristesse, une douceur sans amertume, parce que dans leur vie et à leur mort, ils m’ont goûté, moi, par sentiment d’amour, dans la charité du prochain.

Qui donc a établi cette belle ordonnance de l’amour ? Ma sagesse, par les soins admirables de ma douce providence. Elle est partout et, si tu regardes au purgatoire, tu la trouveras encore, toujours ineffable et douce, à l’égard de ces pauvres âmes, qui par ignorance n’ont pas su tirer profit du temps et qui, séparées du corps, ne sont plus en état de pouvoir mériter. Aussi est-ce par vous que j’ai pourvu à leur situation, vous à qui le temps est encore donné, tant que vous êtes dans cette vie mortelle, et qui pouvez l’employer pour elles. Par vos aumônes, par les messes que vous pouvez faire dire à mes ministres, par les jeûnes, par les prières faites en état de grâce, il vous est donné d’abréger la durée de leur peine, en faisant appel à ma miséricorde.

N’avais-je pas raison de te dire que tu trouverais là encore, ma douce et fidèle providence. En t’exposant tout ce qu’elle a fait dans l’intérieur de l’âme pour votre salut, j’ai voulu L’embraser d’amour et te munir, par la lumière de la foi, d’une ferme espérance en ma providence. Sors de toi-même, et pour toute ta conduite espère en moi, sans crainte servile.