Le Dialogue (Hurtaud)/155

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 256-261).


CHAPITRE Il

(155)

Comment l’obéissance est une clef qui ouvre le ciel. De la nécessité de porter toujours cette clef attachée à la ceinture. Ses qualités.

Après t’avoir expliqué où se trouve l’obéissance, d’où elle vient, quelle est sa compagne, et qui la nourrit, je te parlerai maintenant des obéissants et des désobéissants, de l’obéissance commune et de l’obéissance particulière, je veux dire de l’obéissance aux préceptes et de l’obéissance aux conseils.

Toute votre foi est fondée sur l’obéissance, et c’est par l’obéissance que vous prouvez que vous êtes fidèles. A tous sans exception ma Vérité a imposé les commandements de la loi, dont le principal est de m’aimer, moi, par-dessus toute chose et le prochain comme vous-mêmes. Ce précepte est si étroitement lié à tous les autres qu’on ne saurait observer l’un sans les observer tous, ni négliger l’un sans les enfreindre tous. Qui garde le premier garde tous les autres. Il est fidèle à moi et au prochain il m’aime, moi, et demeure dans l’amour de ma créature. Par là même il est obéissant, il se soumet lui-même aux commandements de la loi, et aux créatures, à cause de moi, supportant avec humilité et patience toutes les peines et les injures qui lui peuvent venir du prochain.

Telle est encore l’excellence de l’obéissance, que c’est par elle que vous recevez la grâce, comme c’est là désobéissance qui vous a communiqué la mort ; mais il ne suffirait pas qu’elle se fût trouvée seulement dans mon Verbe, il faut aussi que vous la pratiquiez vous-mêmes. Je te l’ai déjà dit, elle est une clef qui ouvre le ciel, et cette clef, il la confiée aux mains de son vicaire. Ce vicaire la remet à chacun de vous, lorsque, dans la réception du baptême, vous vous engagez à renoncer au démon, au monde, . à ses pompes, à ses plaisirs. Par cette promesse de soumission, chacun reçoit la clef de l’obéissance, chacun la possède pour son propre tissage, et c’est la même clef que celle de mon Verbe.

si l’homme ne se laisse pas conduire par la lumière de la foi et par la main de l’amour, pour ouvrir avec cette clef la porte du ciel, jamais il n’entrera dedans, bien que mon Verbe en ait déjà ouvert la porte. Je vous ai créés sans vous, mais je ne vous sauverai pas sans vous.

Il vous faut donc porter à la main cette clef ; il ne faut pas rester assis, il faut marcher. En avant, par le chemin ouvert par ma Vérité ! Et debout ! Quittez ces choses finies où votre cœur se pose. Plus de ces hommes insensés, qui suivent le vieil homme leur premier père, et jettent dans la fange de l’impureté la clef de l’obéissance, après l’avoir couverte de la rouille de l’amour-propre et l’avoir faussée sous le marteau de l’orgueil. Le Verbe est venu, mon Fils unique, il a pris lui-même en main cette clef de l’obéissance, il l’a purifiée dans le feu de la divine charité, il l’a retirée de la boue pour la laver dans son sang, il l’a redressée avec le glaive de la justice, quand sur l’enclume de son corps il répara vos iniquités. Il l’a si bien forgée désormais que, quelque accident que l’homme lui fasse volontairement subir, l’homme le peut réparer lui-même par son libre arbitre, avec le secours de ma grâce, en se servant des mêmes instruments.

O homme aveugle, et deux fois aveugle ! Tu vois bien que cette clef de l’obéissance, tu l’as faussée ! Et te ne te soucies pas de la réparer ? La désobéissance a fermé le ciel, crois-tu donc que c’est elle qui te l’ouvrira ! L’orgueil en a été précipité, penses-tu que c’est lui qui l’emportera d’assaut ? Tu portes un vêtement déchiré et malpropre, et tu te flattes d’être admis au festin de noces ? Tu t’es assis, tu croupis dans les liens du péché mortel, et tu prétends arriver, et sans clef, à ouvrir la porte du cénacle ? Non, ne t’imagines pas cela, ce serait une illusion décevante ! Il faut rompre tes entraves, il faut sortir du péché mortel par la sainte confession, accompagnée de la contrition du cœur, de la satisfaction et du ferme propos de ne plus m’offenser. Tu te déferas alors de l’habit sale et laid qui te souille, et, revêtu de la robe nuptiale, tu pourras courir à la lumière de la foi jusqu’à cette porte avec l’obéissance, tu auras en main la clef qui te permettra de l’ouvrir. Pour ne pas la perdre, attache-la ! Mets-y un cordon à cette clef, le cordon de l’abnégation, du mépris de toi-même et du monde ; par ce lien, fixe-la à ma volonté, à moi ton Créateur ; puis, que cette volonté soit comme une ceinture qui t’enserre toujours. Ainsi tu ne la perdras jamais.

Nombreux sont ceux, sache-le bien, qui ont commencé par se munir de cette clef de l’obéissance, après que la lumière de la foi leur eut fait voir, que sans elle ils ne peuvent échapper à la damnation éternelle. Mais ils la portent à la main, sans ceinture et sans cordon pour l’y attacher. C’est-à-dire qu’ils ne se sont pas revêtus parfaitement de mon bon plaisir ils se complaisent encore en eux-mêmes ; ils ne se sont pas procuré le cordon de l’abnégation ; ils ne se soucient pas d’être comptés pour rien, ils attachent trop de prix aux louanges des hommes. Ceux-là sont tout près d’égarer la clef, pour peu qu’il leur arrive quelque peine ou quelque tribulation un peu plus forte, soit de corps, soit d’esprit. S’ils n’y prennent garde, maintes fois, la main du saint désir se relâchera de son étreinte, et ils la perdront. En vérité, elle est moins perdue qu’égarée ; car il est en leur pouvoir de la retrouver, s’ils le veulent, tant qu’ils vivent. Mais, s’ils ne le veulent, ils ne la retrouveront jamais Qui leur fera connaître qu’ils l’ont égarée ? L’impatience : car patience et obéissance sont inséparables. Qui n’est pas patient a, par là même, la preuve que l’obéissance n’habite pas dans son âme.

Ah ! Combien douce et glorieuse cette vertu qui enferme en elle toute les vertus ! Elle a été conçue et enfantée par la charité. Sur elle est établie la pierre de la très sainte foi. Elle est une reine : celui qui l’épouse est à l’abri de tous les maux, elle apporte avec elle la paix et la tranquillité. Contre elle viennent se briser tous les flots d’une mer en courroux. Elle est le centre même de l’âme qu’aucune tempête ne peut atteindre. Contre les injures, celui qui la possède n’a jamais de haine ; il veut obéir, et il sait qu’il est une loi de pardon. Les privations ne lui causent nulle affliction ; car l’obéissance lui a appris à ne désirer que moi seul, qui puis, si je le veux, réaliser tous ses désirs, en même temps qu’elle l’a dépouillé des richesses du monde. Ainsi, en toutes choses qu’il serait trop long d’énumérer, il trouve paix et tranquillité, pour avoir élu pour épouse la reine obéissance, que j’ai comparée à une clef.

O obéissance, qui accomplis la traversée sans peine, et arrive sans péril au port du salut ! Tu te conformes au Verbe, mon Fils unique ; tu prends passage sur la barque de la très sainte Croix, prête à tout souffrir plutôt que de t’écarter de l’obéissance du Verbe et d’enfreindre sa doctrine. De la très sainte Croix, tu as fait une table, où tu te nourris des âmes, inébranlable dans l’amour du prochain. Toute pénétrée d’humilité, tu n’as point de convoitise du bien d’autrui, en dehors de ma volonté. Tu es toute droite, sans aucun détour ; tu fais le cœur loyal, sans feinte aucune, à l’amour généreux, exempt de tout calcul. Tu es une aurore qui annonce la lumière du divin amour ! Tu es un soleil qui échauffe, parce que sans cesse tu es embrasée de la charité ! C’est toi qui fais germer la terre, car par toi tous les organes du corps, toutes les facultés de l’âme produisent des fruits de vie, pour elle-même et pour le prochain. Tu es toute charmante, parce que jamais la colère ne trouble ton visage ; il conserve inaltérable la sérénité de la force, et la grâce que répand l’aimable patience. Comme ta longue persévérance te fais grande ! Si grande, que tu vas de la terre au ciel, puisque c’est par toi et par toi seule qu’on le peut ouvrir. Tu es une perle cachée, méconnue, piétinée par le monde, et tu es la première à te mépriser toi-même et à te mettre sous les pieds de tous. Si haute pourtant est ta puissance que nul ne te peut commander : tu es affranchie de la mortelle servitude de la sensualité, qui ravalait ta dignité. En tuant cet ennemi par la haine et le mépris de la volonté propre, tu as reconquis ta liberté.