Le Dialogue (Hurtaud)/156

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 262-265).


CHAPITRE III

(156)

Où l’on parle à la fois de la misère des désobéissants et de l’excellence des obéissants.

Sache-le bien, ma fille très chère, tous les desseins de ma providence, tous les efforts de ma bonté, étaient pour que mon Verbe réparât cette clef de l’obéissance. Mais les hommes mondains, qui n’ont aucune vertu, refusent le don qu’il leur a fait.

Ils sont comme des animaux débridés. Depuis qu’ils ont perdu le frein de l’obéissance, ils se précipitent de mal en pis, de péché en péché, de misère en misère, de ténèbres en ténèbres, de mort en mort, jusqu’au bord de la fosse, jusqu’au terme de leur vie, portant au fond de la conscience ce ver qui, sans cesse, les ronge. Sans doute ils peuvent encore reprendre le joug de l’obéissance, pour se soumettre volontairement aux commandements de la loi, et profiter du temps qui leur est laissé, pour se repentir de leur révolte passée ; mais combien difficile ce retour, après cette longue habitude du péché I Aussi, que personne ne compte sur cette dernière heure, que personne ne remette à l’instant de la mort, pour ressaisir en main la clef de l’obéissance. Chacun, il est vrai, peut et doit espérer jusqu’à la fin, tant qu’il lui reste encore un peu de temps ; mais nul ne doit s’autoriser de cette espérance, pour différer toujours l’amendement de sa vie.

Quelle est donc la cause de tous ces maux qui leur arrivent ? Quelle est la raison de cet aveuglement qui les empêche de reconnaître le trésor mis à leur disposition ? La nuée de l’amour-propre, avec ce misérable orgueil, qui les a fait s’écarter de l’obéissance et tomber dans la révolte. N’étant point obéissants, ils ne sont pas non plus patients et, dans leur impatience, ils ont à souffrir des peines intolérables. Ils se sont ainsi détournés de la voie de la vérité, pour se laisser engager dans le chemin du mensonge et se faire les serviteurs et les amis des démons. S’ils ne changent pas de vie, leur désobéissance les conduira tout droit, en compagnie de leurs maîtres, à l’éternel supplice.

Pendant ce temps, mes fils très chers, les obéissants, qui auront observé la loi, seront dans la joie et l’allégresse que leur procurera ma vision éternelle, en la société de l’humble Agneau immaculé, auteur, observateur et promulgateur de la loi. En l’accomplissant en cette vie, ils ont déjà goûté la paix, et dans la vie bienheureuse ils en jouissent avec plénitude. C’est une paix sans trouble, une joie parfaite et sans mélange. une sécurité exempte de toute crainte, une richesse inépuisable, une satiété sans dégoût, une faim sans tourment, une lumière sans ombre. un bonheur souverain, infini, sans limite, et un bonheur qu’ils partagent avec tous ceux qui l’ont su goûter comme eux.

Qui leur a procuré une pareille félicité ? Le sang de l’Agneau. C’est par la vertu du sang de l’Agneau, que la clef de l’obéissance a été purifiée de la rouille qui la recouvrait, et rendue capable d’ouvrir la porte du ciel. C’est donc en vertu du Sang que l’obéissance l’a ouverte.

O ignorants ! O insensés ! Ne tardez plus, sortez de la fange de vos vices, où vous paraissez vous complaire, comme le pourceau à vautrer sa chair dans la boue. Laissez là les injustices, les homicides, les haines, les rancunes, les calomnies, les murmures, les médisances, les cruautés dont vous accablez votre prochain, renoncez à ces vols, à ces trahisons, à ces plaisirs désordonnés, aux délices du monde. Abattez cette corne de la superbe, vous aurez éteint du même coup la haine que vous avez dans le cœur, contre qui vous a fait injure. Comparez les injures que vous me faites, à moi, et à votre prochain, avec celles dont vous vous plaignez, et vous trouverez que les vôtres ne sont que bagatelles auprès de celles que vous m’infligez, à moi, et à votre prochain. Ne voyez-vous pas, qu’en gardant votre haine, vous me faites injure à moi, en transgressant mon commandement, en même temps que vous lui faites injure à lui, qui a droit à ce que vous l’aimiez en charité. Car, il vous a été commandé de m’aimer, moi, par-dessus toute chose, et le prochain comme vous-mêmes.

Il n’y a à mon précepte aucune glose pour vous dire s’il vous fait injure, ne l’aimez plus. C’est mon Verbe qui l’a porté, et il vous l’a donné tout simple, dégagé de tout commentaire, et après l’avoir observé lui-même, dans toute sa pureté. C’est avec cette simplicité que vous devez l’observer vous-mêmes. Si vous y manquez, vous vous ferez tort à vous-mêmes, vous ferez injure à votre âme en la privant de la vie de la grâce.

Ouvrez donc les yeux à la lumière de la foi et prenez, oui, prenez la clef de l’obéissance. Ne marchez plus en aveugles dans cette nuit glacée. Mais, le feu de l’amour au cœur, embrassez cette obéissance, pour goûter la vie éternelle, dans la compagnie des observateurs de la loi.