Le Dialogue (Hurtaud)/160

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 290-292).


CHAPITRE VII

(160)

Comment les vrais obéissants reçoivent cent pour un, et la vie éternelle ! Ce qu’il faut entendre par cet un et par ce cent.

C’est en ces vrais obéissants que se vérifie la parole de mon Fils unique, le doux Verbe d’amour. A Pierre qui lui demandait : Maître, nous avons tout quitté pour l’amour de vous, et nous vous avons suivi ! Que nous donnerez-vous en retour ? ma Vérité fit cette réponse : Je vous donnerai cent pour un et vous posséderez la vie éternelle ( Mc 1, 28-30). Comme s’il eût dit Pierre, tu as bien fait de tout quitter ; c’était l’unique moyen de me suivre. En retour, moi, je te donnerai, en cette vie, cent pour un !

Quel est donc, très chère fille, ce centuple, que doit suivre encore la vie éternelle ? Qu’entendait et que voulait dire ma Vérité ? Parlait-elle des biens temporels ? Pas spécialement, bien que je les multiplie parfois au bénéfice de ceux qui se montrent généreux dans leurs aumônes. Et qu’est-ce donc ? -Entends-le bien, celui qui donne sa volonté, me donne une chose : sa volonté. Et moi, pour cette unique chose, je lui donne cent. Pourquoi ce nombre de cent ? Parce que cent est le nombre parfait, auquel on ne peut rien ajouter, à moins de recommencer à compter par un premier. La charité, elle aussi, est la plus parfaite de toutes les vertus ; l’on ne saurait s’élever à une vertu plus parfaite, et l’on ne peut ajouter à sa perfection qu’en revenant à la connaissance de soi-même pour recommencer une nouvelle centaine de mérites, mais c’est toujours au nombre cent que l’on arrive et que l’on s’arrête. Voilà le centuple que j’ai donné à ceux qui m’ont apporté l’un de leur volonté propre, soit par l’obéissance commune soit par l’obéissance particulière.

C’est avec ce centuple, que vous obtenez la vie éternelle ; car seule la charité entre dans le ciel en souveraine, escortée des mérites de toutes les autres vertus qui, elles, restent dehors. La charité pénètre ainsi jusqu’à moi, la Vie qui ne passe pas, où l’on goûte la vie éternelle, parce que je suis la Vie éternelle elle-même. La Foi n’est pas admise au ciel, parce que les bienheureux possèdent par expérience et dans son essence même tout ce qu’ils ont cru par la foi. L’Espérance non plus n’y a point d’accès ; car ils ont réellement ce qu’ils espéraient. Ainsi en est-il des autres vertus. Seule, la Charité y fait son entrée, comme une reine, et me possède moi, qui suis son propriétaire.

Tu le vois, ces petits enfants reçoivent donc bien cent pour un, et en plus, avec ce centuple, la vie éternelle. Ce centuple c’est le feu de la divine charité. Et parce qu’ils ont reçu de moi ce centuple, ils sont dans une merveilleuse allégresse qui prend tout leur cœur. La charité ne connaît pas la tristesse, et l’allégresse fait le cœur large et généreux, sans étroitesse ni duplicité. L’âme qui a été transpercée de cette douce flèche, ne manifeste jamais sur son visage ou dans ses paroles, autre chose que ce qu’elle a dans le cœur. Si elle sert le prochain, c’est sans faux-semblant et sans intérêt personnel, uniquement parce que la charité est accueillante à toute créature. Aussi, l’âme qui la possède ne connaît-elle jamais la peine ni la tristesse ; elle ne s’afflige de rien. Entre l’obéissance et elle, jamais un désaccord ; elle est obéissante jusqu’à la mort.