Le Dialogue (Hurtaud)/42

La bibliothèque libre.
Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 137-141).


CHAPITRE XII

(42)

Comment, après le jugement général, croîtra la peine des damnés.

Si je t’ai expliqué ici la béatitude des justes, c’est pour te faire mieux comprendre la misére des damnés. Car c’est là une autre peine, pour eux, que de voir le bonheur des élus. Cette vue augmente leur supplice, comme le châtiment des damnés accroît, dans les justes, la joie qu’ils ont de ma bonté.

La lumière fait mieux connaître les ténèbres et les ténèbres à leur tour font mieux ressortir la lumière. Ainsi le spectacle des bienheureux sera-t-il un supplice pour les damnés ; c’est avec effroi qu’ils attendent ce dernie jour du jugement, car ils comprennent qu’il sera pour eux un nouveau tourment.

En effet, quand ils entendront cette voix terrible : "O morts, levez-vous, venez au jugement !" l’âme sera de nouveau unie au corps, pour le glorifie dans les justes, pour le supplicier éternellement dans les damnés, et ceux-ci seront couverts de honte et de confusion en présence de ma Vérité et de tous les bienheureux. Le ver de la conscience rongera alors la moelle de l’arbre, c’est-à-dire l’âme, et il en dévorera encore l’écorce, c’est-à-dire le corps. Contre eux se lèveront, accusateurs, le Sang qui pour eux fut répandu, les œuvres de ma miséricorde spirituelle et temporelle accomplies pour eux par mon Fils, leurs propres obligations envers leur prochain écrites dans le saint Evangile. Ils seront convaincus d’orgueil, de basse débauche, d’avarice ; et toutes ces accusations renouvelleront et rendront plus cruelle leur réprobation. Au moment de la mort, l’âme était seule à entendre sa condamnation, mais, au jugement général, l’âme et le corps à la fois seront frappés, parce le corps fut le compagnon et l’instrument de l’âme, pour faire le mal comme pour accomplir le bien, suivant le bon plaisir de la volonté de chacun. Toute opération bonne ou mauvaise est produite par l’intermédiaire du corps.

Ainsi est-il juste, ma fille, que les âmes de mes élus reçoivent leur gloire et leur bonheur infini avec leur corps glorifié, pour les récompensr tous les deux des fatigues qu’ensemble ils endurèrent pour moi. Et pareillement les corps des méchants partageront leurs peines éternelles, parce qu’ils ont été un instrument de péché. Ce sera donc pour ceux-ci un renouvellement et un redoublement de peine, de se trouver avec leur corps en présence de mon Fils.

Quelle condamnation de leur sensualité misérable, et de leurs impuretés, de voir leur nature humaine, dans l’humanité du Christ unie à la pureté de ma Divinité ! Ils verront cette masse d’Adam, votre nature, élevée au-dessus de tous les chœurs des anges, tandis qu’eux ils seront précipité par leur faute au fond de l’enfer ! Ils verront la libéralité et la miséricorde briller dans les bienheureux quand ceux-ci recevront le fruit du sang de l’Agneau ; ils auront sous les yeux toutes les fatigues, qu’ils ont dû endurer, et qui seront visibles sur leur corps comme un ornement, ainsi qu’une broderie sur un manteau. Ce n’est pas là une vertu propre au corps, mais un effet de l’âme qui, en communiquant au corps sa plénitude, réfléchit en lui la récompense de ses labeurs, parce qu’il fut son compagnon dans la pratique de la vertu. Comme le visage de l’homme se reflète au dehors et se rend visible dan un miroir, ainsi traansparaît dans le corps le fruit des mérites passés, de la manière que j’ai dite.

En regard de tant de gloire, dont ils sont privés, ces êtres ténébreux sentiront leur peine s’accroître, en même temps que leur confusion, en voyant apparaître dans leurs corps torturés et tourmentés par le châtiment, le signe des iniquités qu’ils ont commises. Aussi, à cette parole qu’ils entendront dans l’épouvante : "Allez, maudits, au feu éternel…" l’âme s’en ira avac le corps vivre désormais avec les démons, sans la consolation d’aucune espérance. Ils seront enveloppés par toutes les infections de la terre, chacun à sa manière, suivant la mesure et la diversité des fautes qu’il aura commises.


L’avare, comme enseveli dans l’ignominie de son avarice, brûlera dans ce feu avec les biens de ce monde qu’il a aimés de façon désordonnée. Le cruel y brûlera avec sa cruauté ; le licencieux avec sa brutale et honteuse concupiscence ; l’injuste avec son injustice, l’envieux avec son envie ; le haineux, avec la haine du prochain et sa rancœur. Cet amour déréglé de soi-même, accompagné de l’orgueil d’où sont issus tous les maux, flambera alors, et leur causera un supplice intolérable ; ainsi tous seront punis, chacun à sa manière, âme et corps à la fois.

Voilà la misérable fin de ceux qui vont par le chemin d’en dessous, en suivant le fleuve, sans vouloir retourner sur leurs pas, pour reconnaître leurs fautes et implorer ma miséricorde. Ils arrivent ainsi à la porte du mensonge, parce qu’ils suivent la doctrine du démon, qui est le Père du mensonge, et le démon lui-même est la porte par laquelle ils entrent dans l’éternelle damnation, comme je te l’ai déjà dit.

Ces élus, au contraire, mes fils, prennent la voie d’en haut, celle du pont ; ils suivent le chemin de la Vérité, et cette Vérité est elle-même la Porte. Aussi ma Vérité a-t-elle dit : Nul ne peut aller à mon Père, sinon par moi. Il est la porte, il est la vie par laquelle il faut passer pour entrer en moi, l’océan de paix. Ceux, au contraire, qui ont suivi le mensonge, sont conduits aux eaux de mort. Aveugles et insensés ! C’est là que le démon les appelle ; et ils ne s’en aperçoivent pas, parce qu’ils ont perdu la lumière de la foi. Venez, semble-t-il leur dire, venez à moi, vous tous qui avez soif d’eau de mort et je vous en donnerai à boire…