Le Dialogue (Hurtaud)/43

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 142-145).


CHAPITRE XIII

(43)

De l’utilité des tentations et comment toute âme, à ses derniers instants, voit la place de gloire ou de châtiment qui lui est destinée.

Fille très chère, le démon est devenu l’exécuteur de ma justice, pour tourmenter les âmes qui m’ont misérablement offensé. En cette vie, je l’ai placé pour tenter, pour provoquer mes créatures, non pour que mes créatures soient vaincues, mais pour qu’elles triomphent de lui et reçoivent de moi la gloire de la victoire après avoir fourni la preuve de leur vertu. Personne ne doit avoir peur d’aucune bataille, d’aucun assaut du démon, parce que j’ai fait de tous des forts. Je leur ai donné une volonté intrépide, en la trempant dans le sang de mon Fils. Cette volonté, ni démon, ni aucune puissance créée ne la peut ébranler. Elle est à vous, uniquement à vous : c’est Moi qui vous l’ai donnée avec le libre arbitre. C’est donc à vous qu’il appartient d’en disposer, par votre libre arbitre, et de la retenir ou de lui lâcher la bride suivant qu’il vous plaît. La volonté, voilà l’arme que vous livrez vous-même aux mains du démon : elle est vraiment le couteau avec lequel il vous frappe, avec lequel il vous tue. Mais si l’homme ne livre pas au démon ce glaive de la volonté, je veux dire, s’il ne consent pas aux tentations, à ses provocations, jamais aucune tentation ne pourra le blesser et le rendre coupable de péché : elle le fortifiera au contraire, en éclairant son intelligence sur ma charité et en lui faisant comprendre que c’est par amour que je vous laisse tenter, pour vous faire aimer et pratiquer la vertu. Car l’on en vient à aimer la vertu que par la connaissance que l’on prend de soi-même et de moi. Et cette connaissance, c’est surtout dans le temps de la connaissance qu’elle s’acquiert. C’est alos que l’homme apprend bien qu’il n’est pas l’être même, puisqu’il ne peut faire disparaître des ennuis et des embarras qu’il souhaiterait pourtant d’éviter ; et il me connaît aussi Moi dans sa volonté, que ma Bonté rend assez forte pour ne pas consentir à ces pensées. Il voit bien que c’est ma charité qui en dispose ainsi : car le démon est faible ; il ne peut rien par lui-même, sinon qu’autant que je le lui permets. Et moi, c’est par amour que je vous laisse tenter et non par haine, pour votre triomphe, non pour votre défaite ; c’est pour que vous parveniez à la parfaite connaissance de vous-même et de moi ; c’est pour que votre vertu fasse ses preuves, et elle ne peut être éprouvée que par son contraire.

Tu vois donc bien que les démons sont à mon service pour tourmenter les damnés de l’enfer, et en cette vie pour exercer et procurer la vertu dans les âmes. Non que l’intention du démon soit de promouvoir votre vertu, car il n’a pas la charité et il ne veut que vous la faire perdre ; mais cela il ne le peut, si vous ne le voulez pas. Quelle étrange nature que l’homme, qui se fait lui-même débile, quand moi-même je l’avais fait si fort, et qui se livre ainsi aux mains des démons !

Aussi, je veux que tu saches ce qui arrive, au moment de la mort, à ceux qui se sont mis pendant leur vie sous la domination du démon. Ce n’est pas par contrainte, car nul ne les y peut forcer, comme je te l’ai dit, c’est volontairement qu’ils se sont livrés entre ses mains et qu’ils ont porté jusqu’aux approches de la mort, le joug honteux de cet esclavage. A ces derniers instants ils n’ont pas besoin d’un jugement étranger, leur conscience est à eux-mêmes leur propre juge, et c’est en désespérés qu’ils se jettent dans l’éternelle damnation. Aux portes de la mort, ils se cramponnent à l’enfer par la haine, avant même d’y pénétrer.

Il en va de même pour les justes qui ont vécu dans la charité et meurent dans l’amour. Quand ils arrivent au terme de la vie, s’ils ont bien vécu dans la vertu, éclairés par les lumières de la foi, et soutenus par l’espérance absolue dans le sang de l’Agneau, ils voient le bonheur que je leur ai préparé ; ils l’étreignent avec les bras de leur amour, m’embrassant étroitement et amoureusement, Moi le Bien souverain et éternel, en cette extrémité de la mort. Ils goûtent ainsi à la vie éternelle, avant qu’ils aient abandonné leur dépouille mortelle, avant que l’âme soit séparée du corps.

Pour d’autres qui ont passé leur vie et arrivent à leur dernier instant, avec une charité commune mêlée de beaucoup d’imperfections, ils se jettent dans les bras de ma miséricorde, avec cette même lumière de foi et d’espérance, quoiqu’à un degré moindre, que nous avons rencontrée dans les parfaits. A cause de leur imperfection, ils s’attachent à ma miséricorde, qu’ils estiment bien plus grande que leurs fautes.

C’est tout le contraire que font les pécheurs d’iniquité. La vue de la place qui leur est destinée les remplit de désespoir et ils s’y attachent de toute leur haine, comme je t’ai dit.

Ainsi ni les uns ni les autres n’attendent leur jugement ; chacun, au sortir de cette vie, reçoit sa place comme je viens de t’expliquer. Ils goûtent à leur destinée, ils en prennent possession possession avant même de quitter le corps, à ’instant de la mort : les damnés par la haine et le désespoir, les parfaits par l’amour, par la lumière de la foi, par l’espérance du Sang ; les imparfaits, par la miséricorde et la même foi, entrent dans le séjour du purgatoire.