Le Dialogue (Hurtaud)/67

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 229-231).


CHAPITRE XXXVII

(67)

De l’erreur des mondains qui aiment le service de Dieu pour leur propre consolation.

A propos de cet amour imparfait, je veux te parler d’une illusion, à laquelle se laissent prendre ceux qui veulent bien m’aimer pour le motif qu’ils y trouvent leur propre consolation.

Sache-le donc, quand mon serviteur m’aime ainsi, imparfaitement, c’est beaucoup moins moi qu’il cherche, que la consolation pour laquelle il m’aime. On s’en peut convaincre à ce signe que, dès que lui manquent les consolations spirituelles ou temporelles, il se trouble.

Aux consolations temporelles tiennent surtout les hommes du siècle, qui ne laissent pas que d’accomplir quelques actes de vertu tant que qu’ils sont dans la prospérité. Mais viennent les revers, que je leur envoie pour leur avancement, et les voilà qui se relâchent de ce peu de bien qu’ils faisaient. Demandez-leur pourquoi ce trouble ! "Parce que, répondront-ils, j’ai eu du malheur, et ce peu de bien que j’accomplissais me paraît peine perdue, parce que je ne le fais plus, me semble-t-il, avec ce cœur et cet esprit que j’y mettais autrefois. C’est bien le revers que j’ai essuyé qui en est cause, puisqu’il me paraît bien qu’auparavant je pratiquais davantage, avec plus de paix et de tranquillité de cœur que je le fais maintenant."

En parlant ainsi, ils sont étrangement abusés par la recherche de leur propre plaisir. Il n’est pas vrai que la tribulation soit cause qu’ils aiment moins et qu’ils pratiquent moins. Les œuvres que l’on fait dans le temps de la tribulation, ont autant de valeur par elles-mêmes, que celles qui sont faites au temps de la consolation : elles pourraient même avoir plus de prix, si l’on y joignait la patience. La vérité est que c’est dans la prospérité, qu’ils avaient mis leur joie, et l’amour qu’ils avaient pour moi tenait dans ce petit acte extérieur de vertu. Leur cœur était en paix, parce qu’il se contentait de cette œuvre de peu. Dès que vient à leur manquer la consolation qui était toute leur joie, il leur semble qu’ils ont perdu la paix qu’ils trouvaient croyaient-ils dans la pratique même de la vertu.

Illusion ! Il en va d’eux comme de l’homme qui a un jardin. Cet homme met son plaisir, à être dans son jardin, et à cultiver son jardin. Il se croit un goût décidé pour le jardinage, alors qu’il n’a vraiment d’attrait que pour le jardin.

Un événement ne tarde pas à l’éclairer sur la vérité des sentiments.

Il perd son jardin, et désormais, il ne se plaît plus à jardiner. S’il avait mis principalement son affection et sa satisfaction dans le jardinage lui-même, il ne se laisserait pas que de s’y complaire encore, malgré qu’il n’a plus son jardin. Pareillement, celui qui a de l’attrait pour la pratique de la vertu, beaucoup plus que pour les consolations extérieures, ne se relâchera pas de ses bonnes œuvres, il ne cessera pas, à moins qu’il ne le veuille, d’y trouver le repos de l’esprit. Quand viendra l’adversité, il ne sera pas comme celui qui a perdu son jardin.

La recherche de leur satisfaction personnelle égare donc ces mondains et les abuse sur leurs propres actions : " Je sais, disent-ils, que je faisais mieux autrefois et que j’y prenais plus de satisfaction, avant d’être ainsi éprouvé. C’était un plaisir pour moi de faire le bien ! Maintenant cela ne me dit plus rien, je n’y ai plus aucun goût ! " Leur jugement est aussi faux que leurs paroles. S’ils avaient cherché leur contentement dans le bien, pour l’amour même du bien et de la vertu, ils n’en auraient pas perdu le goût, bien au contraire, il se fût développé et accru. Mais comme l’exercice de la vertu n’était soutenu que par l’intérêt de leur propre satisfaction sensible, on comprend qu’il se relâche et cesse bientôt.

Voilà l’illusion où tombe le commun des chrétiens dans la pratique de la vertu. Ils s’abusent eux-mêmes par la recherche de leurs propres satisfactions sensibles.