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Le Dialogue (Hurtaud)/68

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Traduction par Hurtaud.
Lethielleux (p. 232-235).


CHAPITRE XXXVIII

(68)

De l’erreur des serviteurs de Dieu, qui aiment encore de cet amour imparfait.

Mes serviteurs, qui sont encore dans l’amour imparfait, me cherchent et m’aiment, par attache à la consolation et à la joie qu’ils trouvent en moi.

Comme je suis Rémunérateur de tout le bien qui se fait, donnant peu ou beaucoup, selon la mesure d’amour de celui qui reçoit, j’accorde donc des consolations spirituelles, tantôt d’une manière, tantôt d’une autre, dans le temps de l’oraison. Si je le fais, ce n’est pas pour que l’âme ignorante fasse mauvais usage de la consolation, et qu’au lieu de m’aimer tout d’abord, Moi qui la lui donne, elle s’arrête davantage, pour le moment, à la consolation qui lui est donnée. Non : ce que je veux, c’est qu’elle considère le sentiment de charité avec lequel je la lui donne et l’indignité avec laquelle elle la reçoit, bien plus que la jouissance de sa propre consolation. Mais, si l’ignorante ne s’attache qu’à son plaisir, sans un regard pour l’amour que j’ai pour elle, elle tombe dans le malheur et l’égarement que je vais te dire.

Un premier malheur. Trompée par ce besoin de consolation, il lui arrivera de se complaire plus qu’à l’ordinaire dans la joie éprouvée de ma présence en elle, dont je la favoriserai d’une manière spéciale. Quand je l’aurai quittée, au lieu d’aller de l’avant, elle retournera en arrière, cherchant à retrouver le chemin qu’elle a déjà suivi, la même joie qu’elle y a une fois rencontrée. Mais Moi, je ne veux pas que l’on puisse croire, que je n’ai qu’un seul moyen de me communiquer. Aussi ces faveurs, je les accorde de manière différente, suivant qu’il plaît à ma Bonté, ou suivant les besoins et les nécessités de l’âme. Elle, dans son ignorance cherchera toujours la même consolation comme si elle voulait faire la loi à l’Esprit-Saint. Ce n’est pas ainsi qu’elle doit agir : c’est virilement qu’il faut passer par le pont de la doctrine du Christ crucifié et recevoir mes dons, dans la mesure, et dans le lieu, et dans le temps qu’il plaît à ma Bonté. Si, même, je ne veux pas lui accorder cette faveur, ce n’est pas par haine, mais par amour que je la lui refuse ; c’est pour qu’elle me cherche, Moi, en vérité ; c’est pour qu’elle ne m’aime pas seulement pour son plaisir, et qu’elle reçoive avec humilité ma Charité plus que la délectation qu’elle y trouve. Si elle agit autrement, si elle va à sa propre satisfaction suivant le mode qui lui plaît et non suivant le mode que j’aurai voulu, ce sera pour elle une souffrance et une confusion intolérables, quand elle se verra enlever l’objet de cette complaisance qui absorbe le regard de son intelligence.

Voilà donc ceux qui choisissent le genre de consolation qui leur convient. Après d’être délectés dans une certaine joie spirituelle dont je les avais favorisés, ils ne veulent plus s’en séparer dans leur passage. Parfois même, ils sont si ignorants, que lorsque je les visite d’une autre façon, ils feront de la résistance, ils ne recevront pas ce nouveau don : ils voudront toujours celui qu’ils ont imaginé. Voilà l’attache au plaisir personnel, à la délectation du plaisir spirituelle que l’esprit trouve en moi ! Oui, voilà le défaut !

Et quelle illusion ! Il serait impossible à l’âme de demeurer continuellement dans le même état. L’âme ne peut rester immobile dans la vertu : il faut qu’elle avance ou qu’elle recule. Et de même l’esprit ne saurait se maintenir fixé en moi dans une unique jouissance, en sorte que ma bonté n’aie plus à lui en donner d’autre. Je la renouvelle au contraire et avec une grande variété. Tantôt je fais jouir de l’allégresse spirituelle ; tantôt j’inspire une douleur et un repentir qui ébranle l’esprit juqu’au fond de lui-même ; parfois je serai dans l’âme et elle ne me sentira pas. D’autrefois ma volonté représentera la Vérité, mon Verbe incarné, sous différentes formes devant l’œil de son intelligence, sans que l’âme paraisse éprouver cette impression d’ardeur et de joie qu’elle croyait devoir ressentir dans cette contemplation. En une autre circonstance, elle ne verra rien et n’en goûtera pas moins une très grande douceur.

Tout cela, c’est par amour que je le fais, pour conserver et accroître en elle la vertu d’humilité et de persévérance, pour lui apprendre à ne pas vouloir me donner des lois, à ne pas placer sa fin dans la consolation, mais dans la vertu fondée en moi, à accepter avec humilité, le choix que j’aurai fait de l’un ou de l’autre moment. Je veux qu’elle reçoive avec amour mon amour, comme je le lui donne, qu’elle croie d’une foi vive, que je mesure mes dons aux nécessités de son salut ou à celle de sa plus grande perfection. Elle doit donc se tenir dans l’humilité, en prenant pour principe et pour fin ma charité : elle recevra ainsi dans cette charité joies ou privations, selon ma volonté et non selon la sienne.

L’unique moyen pour mes serviteurs de vouloir échapper à toute illusion, c’est de tout recevoir pour l’amour de Moi qui suis leur fin, en prenant leur appui sur ma douce volonté.