Le Disciple de Pantagruel/1875/25

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Texte établi par Paul LacroixLibrairie des bibliophiles (p. 57-59).

De trois ysles où croissent les mytaines, les mouffles, les botynes, et les noms des capitaines desdictes ysles.

CHAPITRE XXV.


En icelles isles, en montant en mont contre bas, il y a troys aultres isles. En l’une habitent les mytaines, en l’aultre les mouffles, et en l’aultre les botynes. Elles ont chascunes son capitaine et duc pour les conduire et mener en bataille. Celluy des mytaines se nomme Mytouart ; et celluy des mouffles se nomme Moufflard ; et celluy des botynes se faict appeller Boytart. Ilz sont fort crains et obeys chascun en son pais. Entre icelles moufifles, je congneuz par delà la mouffle à fagotter du bon homme Hannot, qui faisoit les fagotz d’espine, en son temps, pour chauffer le four en nostre quartier.

Et la cause pour laquelle je la recogneu fut pource que je l’avoye maintes foys veue en ma jeunesse, et pource aussi qu’elle estoit de cuyr de cerf et estoit longue jusques au coulde. Dés qu’elle me veit, elle me vint accoller et embrasser, la larme aux yeulx, pource qu’il luy souvint de son maistre, lequel elle avoit longtemps servy.

Elle me compta comment elle s’estoit retirée par delà avec ses parens, aprés que son maistre y fut allé de vie à trespas, et me pria fort d’aller boire de son vin en son logis, dont je la remerciay. Elle ne voulut point habandonner ma compagnie, de peur de la perdre.

Il y avoit merveilleuse controverse entre elles pour sçavoir laquelle nation des troys debvoit preferer. Au moyen dequoy, nous estans par delà, fut crié ban et arriere ban, et la guerre ouverte à feu et à sang : tellement que nous les vismes en champ de bataille, avec leurs capitaines, Mytouart, Moufflard, Boytart, se prendre aux cheveulx et aux aureilles, pource qu’ilz ne usent point de ferrement ny de bastons. Toutesfoys il y eut du sang respandu, tant d’ung costé que d’aultre, si largement que les fleuves en estoient aussi rouges que la plus belle eaue claire d’une fontaine ; et n’eust esté que moy et mes gens nous mismes à tout noz halebardes entre les troys armées, qui les separasmes, c’eust esté pitié de l’occision qui y eust esté ; mais nous les feismes retirer chascun en son quartier, dont ilz nous sceurent bon gré en nous faisant à tous la moue.

Et pource que nous avions laissé de noz gens pour garder nostre navire, nous amplismes plusieurs flacons, barilz, ferrieres et bouteilles d’icelluy vin pour leur porter, avec force craquelins, oublies, gasteaulx, eschauldez et fromages, dont ilz s’emplirent si fort qu’ilz s’enyvrerent et dormirent plus d’ung moys sans reveiller ; parquoy nous fusmes contrainctz de leur bouter le feu au cul, car nous avions peur qu’ilz ne mourussent en l’etargie, sans jamais resveiller.

Nous passasmes d’ung fleuve en l’aultre en des basteaux que nous fismes de moitié de cosses de febves, car elles y croissent si grandes que nous estions bien trente à passer en la moytié d’une.