Le Koran (Traduction de Kazimirski)/19

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Traduction par Traduction d’Albin de Kazimirski Biberstein.
Librairie Charpentier (p. 241-247).

CHAPITRE XIX.

MARIE.


Donné à La Mecque. — 98 versets.


Au nom du Dieu clément et miséricordieux


  1. Kaf. Ha. Ya. Aïn. Sad.[1]. Voici le récit de la miséricorde de ton Seigneur envers son serviteur Zacharie.
  2. Le jour ou il invoqua son Seigneur d’une invocation secrète,
  3. Et dit : Seigneur, mes os affaiblis se dérobent sous moi, et ma tête s’allume de la flamme de la canitie[2].
  4. Je n’ai jamais été malheureux dans les vœux que je t’ai adressés.
  5. Je crains les miens[3] qui me succéderont. Ma femme est stérile ; donne-moi un héritier qui vienne de toi,
  6. Qui hérite de moi, qui hérite de la famille de Jacob ; Et fais, Ô Seigneur ! qu’il te soit agréable.
  7. - Ô Zacharie ! Nous t’annonçons un fils. Son nom sera Iahia (Jean).
  8. Avant lui, personne n’a porté ce nom[4].
  9. Zacharie dit : Seigneur ! Comment aurai-je un fils ? Mon épouse est stérile, et moi je suis arrivé a l’âge de décrépitude.
  10. Dieu a dit : Il en sera ainsi. Ton Seigneur a dit : Ceci m’est facile. Je t’ai créé quand tu n’étais rien.
  11. Seigneur, donne-moi un signe pour garant de ta promesse. — Ton signe sera celui-ci : Tu ne parleras pas aux hommes pendant trois nuits, quoique bien portant[5].
  12. Zacharie s’avança du sanctuaire vers le peuple, et lui faisait signe de louer Dieu matin et soir.
  13. O Iahia ! prends ce livre[6] avec une résolution ferme. Nous avons donné à Iahia la sagesse quand il n’était qu’un enfant,
  14. Ainsi que la tendresse et la pureté. Il était pieux et bon envers ses parents. Il n’était point violent ni rebelle.
  15. Que la paix soit sur lui au jour où il naquit, et au jour où il mourra, et au jour où il sera ressuscité !
  16. Ô Mohammed ! parle dans le Koran de Marie (Mariam), comme elle se retira de chez sa famille et alla du côté de l’est[7].
  17. Elle se couvrit d’un voile qui la déroba à leurs regards. Nous envoyâmes vers elle notre esprit. Il prit devant elle la forme d’un homme d’une figure parfaite.
  18. Elle lui dit : Je cherche auprès du Miséricordieux un refuge contre toi. Si tu le crains[8]
  19. Il répondit : Je suis l’envoyé de ton Seigneur, chargé de te donner un fils saint.
  20. — Comment, répondit-elle, aurais-je un fils ? Aucun homme n’a jamais approché de moi, et je ne suis point une femme dissolue.
  21. Il répondit : Il en sera ainsi ; ton Seigneur a dit : Ceci est facile pour moi. Il sera notre signe devant les hommes, et la preuve de notre miséricorde. L’arrêt est prononcé.
  22. Elle devint grosse de l’enfant, et se retira dans un endroit éloigné.
  23. Les douleurs de l’enfantement la surprirent auprès d’un tronc de palmier. Plût à Dieu, s’écria-t-elle, que je fusse morte avant, et que je fusse oubliée d’un oubli éternel !
  24. Quelqu’un lui cria de dessous elle[9] : Ne t’afflige point. Ton Seigneur a fait couler un ruisseau à tes pieds.
  25. Secoue le tronc du palmier, des dattes mures tomberont vers toi.
  26. Mange et bois et rafraichis ton œil[10] ; et, si tu vois un homme,
  27. Dis-lui : J’ai voué un jeûne au Miséricordieux ; aujourd’hui je ne parlerai à aucun homme.
  28. Elle alla chez sa famille, portant l’enfant dans ses bras. On lui dit : O Marie ! tu as fait là une chose étrange.
  29. O sœur d’Aaron ! ton père n’était pas un homme méchant, ni ta mère une femme dissolue.
  30. Marie leur montra du doigt l’enfant, afin qu’ils l’interrogeassent : Comment, dirent-ils, parlerons-nous à un enfant au berceau ?
  31. — Je suis le serviteur de Dieu, leur dit Jésus, il m’a donné le Livre et m’a constitué prophète.
  32. Il a voulu que je sois béni partout où je me trouverai ; il m’a recommandé de faire la prière et l’aumône tant que je vivrai ;
  33. D’être pieux envers ma mère. Il ne permettra pas que je sois rebelle et abject.
  34. La paix sera sur moi au jour ou je naquis et au jour ou je mourrai, et au jour ou je serai ressuscite[11].
  35. C’était Jésus, fils de Marie, pour parler la parole de la vérité, celui sur lequel ils élèvent des doutes.
  36. Dieu ne peut pas avoir d’enfants. Loin de sa gloire ce blasphème ! Quand il décide d’une chose, il dit : Sois, et elle est.
  37. Dieu est mon Seigneur et le vôtre. Adorez-le. C’est la voie droite.
  38. Les partis diffèrent d’avis entre eux. Malheur à ceux qui ne croient pas, à cause de la comparution du grand jour !
  39. Fais-leur entendre, fais-leur voir le jour où ils viendront, devant nous. Aujourd’hui les méchants sont dans un égarement manifeste.
  40. Avertis-les du jour des regrets, du jour où l’œuvre sera accomplie, quand, plongés dans l’insouciance, ils ne croient pas.
  41. C’est nous qui hériterons de la terre et de tout ce qui existe sur elle ; eux, ils retourneront à nous.
  42. Parle aussi, dans le Livre, d’Abraham ; il était juste et prophète[12].
  43. Un jour il dit à son père : O mon père ! pourquoi adores-tu ce qui n’entend ni ne voit, et qui ne saurait servir de rien ?
  44. O mon père ! il m’a été révélé une partie de la science qui ne t’est point parvenue à toi. Suis-moi ; je te conduirai sur un sentier égal.
  45. O mon père ! ne sers point Satan, car il a été rebelle envers le Miséricordieux.
  46. O mon père ! je crains que le châtiment du Miséricordieux ne t’atteigne, et que tu ne deviennes client de Satan.
  47. Son père lui répondit : Tu as donc de l’aversion pour mes divinités ? O Abraham ! si tu ne cesses d’en agir de la sorte, je te lapiderai. Quitte-moi pour de longues années.
  48. — Que la paix soit sur toi, répondit Abraham ; j’implore le pardon de mon Seigneur, car il est bienveillant pour moi.
  49. Je m’éloigne de vous et des divinités que vous invoquez à côté de Dieu. Moi, j’invoquerai mon Seigneur : peut-être ne serai-je pas malheureux dans mes prières au Seigneur.
  50. Quand il se fut séparé d’eux et des divinités qu’ils invoquaient, nous lui donnâmes Isaac et Jacob, et nous les avons faits prophètes tous deux.
  51. Nous leur accordâmes des dons de notre miséricorde et nous avons rendu leur langue de véracité sublime.
  52. Parle aussi, dans le Livre, de Moïse. Il était pur ; il était envoyé et prophète.
  53. Nous lui criâmes du côté droit du mont Sinaï, et nous le fîmes approcher pour nous entretenir avec lui en secret.
  54. Par l’effet de notre miséricorde, nous lut donnâmes son frère Aaron, prophète.
  55. Parle aussi, dans le Livre, d’Ismaël. Il était fidèle à ses promesses, envoyé et prophète.
  56. Il ordonnait à son peuple de faire la prière et l’aumône. Il était agréable devant son Seigneur.
  57. Parle aussi, dans le Livre, d’Édris[13]. Il était véridique et prophète.
  58. Nous l’avons élevé à une place sublime.
  59. Voilà ceux que Dieu a comblés de ses bienfaits, ce sont les prophètes de la postérité d’Adam, ce sont ceux que nous avons portés dans l’arche avec Noé, c’est la postérité d’Abraham et d’Israël, ce sont ceux que nous avons dirigés et élus. Lorsqu’on leur récitait les enseignements du Miséricordieux, ils se prosternaient la face contre terre en pleurant.
  60. D’autres générations leur succédèrent ; elles laissèrent la prière se perdre et suivirent leurs appétits. Elles ne rencontreront que le mal.
  61. Mais ceux qui reviennent à Dieu, qui croient et font le bien, entreront dans le jardin, et ne seront point lésés pour la plus mince portion.
  62. Ils entreront dans les jardins d’Éden, que le Miséricordieux a promis à ses serviteurs. Sa promesse sera accomplie.
  63. Ils n’y entendront aucun discours futile, mais le mot Paix. Ils recevront la nourriture le matin et le soir.
  64. Tels sont les jardins que nous donnerons en héritage à celui d’entre nos serviteurs qui nous craint.
  65. Nous ne descendons du ciel[14] que par l’ordre de ton Seigneur. À lui seul appartient ce qui est devant nous et derrière nous, et ce qui est entre ces deux. Et ton Seigneur n’est point oublieux.
  66. Il est le Seigneur des cieux et de ta terre, et de ce qui existe entre eux. Adore-le et persévère dans son adoration. En connais-tu quelque autre du même nom[15] ?
  67. L’homme dit : Quand je serai mort, sortirai-je de nouveau vivant ?
  68. L’homme ne se souvient-il donc pas que nous l’avons créé quand il n’était rien ?
  69. Je le jure par ton Seigneur, nous rassemblerons tous les hommes et les démons[16], puis nous les placerons autour de la géhenne agenouillés.
  70. Puis nous séparerons de chaque troupe ceux qui ont été les plus rebelles envers le Miséricordieux.
  71. Et c’est nous qui connaissons le mieux ceux qui méritent d’être brûlés.
  72. Il n’y aura aucun d’entre vous qui n’y soit précipité ; c’est un arrêt immuable, décidé chez ton Seigneur.
  73. Puis nous sauverons ceux qui craignent, et nous laisserons les méchants agenouillés.
  74. Lorsqu’on récite nos enseignements clairs aux incrédules, ils disent aux croyants : Lequel de nos deux partis occupe une place plus élevée ? lequel forme une plus belle assemblée ?
  75. Oh ! combien de générations n’avons-nous pas anéanties, qui les surpassaient cependant en richesses et en splendeur !
  76. Dis-leur : Dieu prolongera la vie de ceux qui sont dans l’égarement,
  77. Jusqu’au moment où ils verront de leurs yeux si le châtiment dont on les menaçait était celui de cette vie, ou bien si c’est le supplice de l’heure[17]. Alors ils apprendront qui est celui qui occupera la plus mauvaise place et qui sera le plus faible en assistance.
  78. Dieu ajoutera à la bonne direction de ceux qui ont été coin duits dans le chemin droit.
  79. Les choses qui restent, les bonnes œuvres, valent mieux auprès de ton Seigneur pour procurer une récompense et une bonne fin.
  80. As-tu vu celui qui n’ajoutait pas foi à nos enseignements, et qui disait : J’aurai des richesses et des enfants ?
  81. Connaît-il les choses cachées, ou bien a-t-il stipulé avec Dieu qu’il en fût comme il dit ?
  82. Certes nous inscrirons ses paroles et nous accroîtrons son supplice.
  83. C’est nous qui hériterons de tous ses biens, et, lui, il comparaîtra devant nous tout seul[18].
  84. Ils ont pris, à côté de Dieu, d’autres divinités pour s’en faire un appui[19].
  85. Ces divinités se montreront ingrates[20] du culte qu’ils leur rendaient, et seront leurs adversaires.
  86. Ne vois-tu pas que nous envoyons vers les infidèles des démons[21] pour les exciter au mal ?
  87. Ne cherche donc point à hâter leur supplice ; nous leur comptons nous-mêmes leurs jours.
  88. Le jour où nous rassemblerons devant le Miséricordieux les hommes pieux avec toutes les marques d’honneur,
  89. Le jour où nous précipiterons les criminels dans l’enfer,
  90. Nul ne saura faire valoir une intercession, si ce n’est ceux qui avaient fait une alliance avec le Miséricordieux.
  91. Ils disent : Le Miséricordieux a des enfants. Vous venez de proférer là une énormité,
  92. Peu s’en faut que les cieux ne se fendent à ces mots, que la terre ne s’entr’ouvre, et que les montagnes ne s’écroulent,
  93. De ce qu’ils attribuent un fils au Miséricordieux. Il ne lui sied point d’avoir un fils.
  94. Tout ce qui existe dans les cieux et sur la terre est serviteur du Miséricordieux. Il les a comptés et dénombrés tous.
  95. Tous paraîtront devant lui au jour de la résurrection, seuls.
  96. Il fera aimer ceux qui ont cru et fait le bien.
  97. Nous avons rendu le Koran facile en te le donnant dans ta langue, afin que par lui tu annonces de belles promesses aux pieux et avertisses le peuple querelleur.
  98. Combien de générations n’avons-nous pas anéanties ? Peux-tu trouver un seul homme qui en reste ? As-tu entendu un seul d’entre eux proférer le plus léger murmure ?
  1. Voy. II, 1, note.
  2. C’est l’expression figurée assez commune chez les poètes arabes pour dire : mes cheveux sont blanchis par l’âge.
  3. C’est-à-dire, je crains que mes neveux ne s’éloignent du culte du vrai Dieu.
  4. Mot à mot : Nous ne lui avons pas donné d’homonyme jusqu’ici.
  5. Voy. chap. III, 37.
  6. Le Pentateuque.
  7. Du côté de l’est de Jérusalem ou du côté de l’est de la maison de ses parents. C’est à cause de cela, ajoute gravement le commentateur, que les chrétiens se tournent dans leurs prières vers l’Orient.
  8. Il faut suppléer par ces mots : Tu ne t’approcheras pas de moi. L’ange Gabriel, qui, selon les mahométans, est le Saint-Esprit, s’approcha de Marie et souffla sur son sein. Le souffle divin descendit dans son sein, et engendra Jésus.
  9. Soit l’enfant, qui, aussitôt né, se mit à parler ; soit l’ange Gabriel, qui dans ce moment l’accouchait.
  10. Rafraichir son œil est une expression arabe pour dire se consoler. De là vient que les Orientaux, qui regardent la postérité, surtout mâle, comme le plus grand bienfait du ciel, appellent leurs enfants korret ol’aïn, fraîcheur des yeux.
  11. On a vu plus haut (chap. III) que Mahomet n’admettait point la Passion de Jésus-Christ. Le verset 34 a pour but de faire regarder Jésus comme simple mortel et prophète, dont la vie est à la disposition de Dieu, qui fera mourir tous les êtres pour les ressusciter ensuite. Aussi, d’après Mahomet, Jésus-Christ, qui a été enlevé au ciel, doit mourir réellement avant le jour du jugement dernier.
  12. Nous croyons nécessaire de fixer l’attention du lecteur sur les noms de prophète (nebi) et d’envoyé (reçoul), joints aux noms de personnages dont il est question dans ce chapitre. Ces mots appartenant tous les deux à Moïse, à Jésus, à Mahomet, l’on s’est habitué à se servir indistinctement de l’un ou de l’autre et d’en confondre la signification ; ils ne peuvent pas cependant s’appliquer indistinctement à tous les personnages qui ont reçu quelque révélation. Le titre de nebi, prophète, appartient à Abraham, à Isaac, à Jacob ; ils sont dépositaires du culte du Dieu unique, mais leur ministère se renferme dans leur famille. D’autres sont des reçouls (envoyés, apôtres), chargés d’une mission spéciale auprès d’un peuple incrédule : tels étaient Houd, Saleh, Choaïb, qui prêchaient les peuples de l’Arabie. C’est à ce titre qu’Alexandre le Grand, que les mahométans ne peuvent, dans leur admiration, se figurer comme idolâtre, est un apôtre envoyé pour châtier les peuples méchants et idolâtres. (Voy. chap. XVIII, vers. 86.) Moïse, Jésus, Mahomet, qui réunissaient dans leur famille le don de prophétie à l’apostolat, réunissent ces deux titres ; à ces nome de nebi et reçoul, les mahométans joignent encore celui de veli (ami de Dieu, ou saint). Ainsi, d’après ce que nous venons de dire, les uns sont nebi, reçoul et veli, et ce sont les plus grands dépositaires de la mission divine ; d’autres, nebi et veli seulement ; d’autres enfin, veli seulement, comme, par exemple, Ali, gendre de Mahomet.
  13. Énoch. Le verset 58 fait allusion à l’enlèvement d’Énoch au ciel, comme on le lit dans la Genèse.
  14. On suppose que c’est l’ange Gabriel qui répond à Mahomet, qui se plaignait des longs intervalles entre les révélations.
  15. Car, disent les commentateurs, les idolâtres nomment bien leurs idoles dieux (ilah), mais non pas Allah, le Dieu unique.
  16. Dans d’autres passages analogues, le Koran s’exprime ainsi : Nous rassemblerons les hommes et les génies.
  17. Le supplice de l’heure ; c’est le châtiment du jugement dernier.
  18. Tout seul, c’est-à-dire dépouillé de tout et tout nu.
  19. Le mot du texte peut également être traduit par appui , force et gloire, honneur.
  20. Ou bien : désavoueront le culte, etc.
  21. Dans le texte, cheïatin , pluriel de cheïtan, Satan. Voyez chap. XVIII, verset 48.