Le Lalita-Vistara, ou Développement des jeux/Chapitre VIII

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Traduction par Philippe-Édouard Foucaux.
Texte établi par Musée Guimet, Paris (Annales du Musée Guimet, tome 6p. 106-109).

CHAPITRE VIII

Ainsi, Religieux, la nuit même où le Bôdhisattva naquit, cette nuit-là même, naquirent vingt mille filles dans les familles des Nàigamas, des Kchattriyas, des Brahmanes et des maîtres de maison Mahâçalas ; et toutes furent, par leurs mères et leurs pères, données au Bôdhisattva pour l’entourer et le servir. Vingt mille jeunes filles furent, par le roi Çouddhôdana, données au Bôdhisattva pour l’entourer et le servir. Vingt mille jeunes filles furent, par les amis, les conseillers, les parents du côté du père et du côté de la mère, données au Bôdhisattva, pour l’entourer et le servir. Vingt mille jeunes filles furent, par les assemblées des conseillers, données au Bôdhisattva, pour l’entourer et le servir. Et alors. Religieux, les Çâkyas ayant à leur tête les plus vieux d’entre eux, hommes et femmes, s’étant rassemblés et étant allés trouver le roi Çouddhôdana, parlèrent ainsi : Il faut que vous sachiez, ô roi, que le jeune prince doit être conduit au temple des dieux.

Le roi dit : C’est bien, qu’on y conduise le jeune prince ! En conséquence, pour ceux qui seront spectateurs, que la ville soit décorée dans les rues, les carrefours, les places, les marchés, les routes où passent les chars. Qu’on éloigne ceux qui ne sont pas de bon augure : Les borgnes, les bossus, les sourds, les aveugles, les muets, que ceux qui sont difformes ou défigurés et ceux dont les organes sont imparfaits, soient éloignés. Qu’on fasse entendre des sons de bon augure ; qu’un sonne les cloches en signe de bénédiction ; qu'on décore avec soin les portos de la première des villes ; qu'on fasse entendre les accords des instruments les plus mélodieux ; que tous les rois des forteresses se rassemblent ; qu'ils se réunissent, les chefs des marchands, les maîtres de maison, les gardes des portes et la suite des serviteurs ; qu'un attèle les chars des jeunes filles ; qu'on apporte des urnes pleines ; qu'ils se rassemblent, les Brahmanes qui récitent les prières ; que les temples des dieux soient décorés !

Ainsi donc, Religieux, tout fut fait comme il vient d'être dit.

Alors le roi Çouddhôdana étant entré dans son palais, parla ainsi à Mahà Pradjàpatî Gâutamî : Qu'on pare le jeune prince ; il sera conduit au temple des dieux !

Après avoir répondu : C'est bien ! Mahà Pradjàpati Gâutamî para le jeune prince. Alors, le jeune prince, pendant qu'on le parait, avec un visage souriant, sans aucun froncement de sourcil, de la voix la plus douce, parla ainsi à la sœur de sa mère : Mère, où va-t-on me conduire ? Elle dit : Au temple des dieux, mon fils. Alors le jeune prince laissa voir un sourire et, avec un visage riant, adressa ces Gàthâs à sa tante :

1. Quand je suis né, cette réunion des trois mille (mondes) a été ébranlée ; Çakra, Brahmâ, les Asouras, les Mahùragas, Tchandra, Soûrva, ainsi que Vâiçravana et Koumâra, abaissant leur tête à mes pieds, m'ont rendu hommage ;

2. Quel autre dieu se distingue par sa supériorité sur moi, auquel tu me conduis aujourd'hui, ô mère ? Je suis le dieu au-dessus des dieux, supérieur à tous les dieux ; pas un dieu n'est semblable à moi, comment y en aurait-il un supérieur ?

3. En me conformant à la coutume du monde, voilà, mère, comment j'irai. Après avoir vu mes transformations surnaturelles, la foule ravie m'entourera d'hommages et du plus grand respect ; dieux et hommes s'accorderont à dire : Il est dieu par lui-même.


Ainsi donc, Religieux, au milieu des louanges et des bénédictions de toutes sortes, les rues, les places, les carrefours, les marchés, les portes ayant été couverts d'ornements sans nombre, le roi Çouddhôdana, après avoir, dans l'intérieur du palais, orné le char du jeune prince, entouré et précédé des Brahmanes, des chefs des marchands, des maîtres de maison, des conseillers, dos rois des forteresses, des gardes des portes, des gens de la suite, des amis et des parents ; au milieu de la route remplie de la fumée des parfums, jonchée d'une litière de fleurs, pleine d'une foule confuse de chevaux, d’éléphants, de chars, de soldats à pied ; avec des parasols, des bannières et des étendards déployés, au son des instruments de toute espèce, se mit en marche, après avoir pris le jeune prince. Les divinités, par centaines de mille, traînaient le char du Bôdhisattva. Des centaines de mille de Niyoutas de Kôtis de fils des dieux et d’Apsaras dispersés dans l’étendue des cieux firent pleuvoir des pluies de fleurs et firent résonner des instruments de musique.

Ainsi donc, le roi Çouddhôdana, avec une grande pompe royale, une grande cérémonie royale, un grand appareil royal, ayant pris le jeune prince, l’introduisit dans le temple des dieux.

Aussitôt que la plante du pied droit eût été posée par le Bôdhisattva dans ce temple des dieux, les images inanimées des dieux, tels que Çiva, Skanda, Nârâyana, Kouvèra, Tchandra, Soîirya, Vàiçravana, Çakra, Brahmâ, les gardiens du monde et autres, toutes ces images s’étant chacune levée de sa place, tombèrent aux pieds du Bôdhisattva.

En ce moment, les dieux et les hommes, par centaines de mille, jetèrent de grands cris d’admiration et de plaisir et firent tomber des pluies de vêtements. La grande ville de Kapilavastou, la première des villes, trembla de six manières ; des fleurs divines tombèrent en pluie ; des instruments, par centaines de mille, sans être touchés, résonnèrent, et toutes les divinités dont les images se trouvaient là, ayant montré chacune sa propre personne, prononcèrent ces Gâthâs :

4. Le Mêrou, roi des montagnes, le meilleur des monts, ne pourrait jamais s’incliner devant le sénevé ; l’Océan, séjour du roi des Nâgas, ne pourrait jamais s’incliner devant (l’eau contenue dans) le pas d’une vache ; la lune et le soleil, qui donnent la lumière, ne pourraient s’incliner devant la mouche luisante ; celui qui, sorti d’une famille qui a la sagesse et le mérite, est rempli de qualités, comment pourrait-il s’incliner devant les divinités ?

5. Pareil au sénevé, à l’eau dans le pas d’une vache ou à la mouche luisante seraient aussi, dans les trois mille (mondes), les dieux et les hommes, quels qu’ils soient, persistant dans l’orgueil. Semblable au Mêrou, à l’Océan, à la lune, au soleil, est, dans le monde, le Svayambhou suprême. Le monde, après lui avoir rendu hommage, obtient pour récompense le Svarga ainsi que la délivrance finale (Nirvrîti).

Au moment même, Religieux, où l’on faisait voir l’entrée du Bôdhisattva dans le temple des dieux, de trente-deux centaines de mille de fils des dieux les pensées s’élevèrent vers l’Intelligence sans supérieure parfaite et accomplie. Voilà, Religieux, la cause, voilà l’effet par lesquels le Bôdhisattva fut indifférent au moment où il était conduit au temple des dieux.

Chapitre appelé : Conduite au temple des dieux, le huitième.