Le Lalita-Vistara, ou Développement des jeux/Chapitre XV

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Traduction par Philippe-Édouard Foucaux.
Texte établi par Musée Guimet, Paris (Annales du Musée Guimet, tome 6p. 175-204).

CHAPITRE XV

Cependant, Religieux, ceci vint a la pensée du Bôdhisattva : cela ne serait pas convenable et ce serait, de ma part, de l’ingratitude, si je m’en allais sans avoir prévenu le grand roi Çouddhôdana, et sans être autorisé par (lui) mon père.

Et, pendant la nuit tranquille, il sortit du palais qui était sa résidence et se rendit au palais du roi Çouddhôdana. Le Bôdhisattva n’y fut pas plutôt entré que tout ce palais fut rempli de clarté. Le roi s’étant éveillé aperçut cette clarté, et, vite, vite interroge un eunuque : Holà ! eunuque, est-ce que le soleil s’est levé, par lequel cette clarté brille au loin ?

L’eunuque dit : En ce moment, sire, la moitié de la nuit n’est pas encore écoulée.

1. Par la lumière du soleil est produite l’ombre des arbres ; (sa lumière) brûle et échauffe le corps ; au moment du lever de l’aurore, les cygnes, les paons, les perroquets, les Kôkilas et les Tchakravâkas font entendre leurs chants.

2. Cette lumière, au contraire, ô maitre des hommes, est agréable et douce ; elle réjouit, donne du bien-être et ne cause pas de fatigue ; elle traverse les murs et les arbres, et il n’y a pas d’ombre ; sans nul doute un être doué de qualités est arrivé ici aujourd’hui.

3. Le roi inquiet regarde aux dix points de l’espace ; et voyant devant lui l’être pur aux yeux sans tache, il veut se lever de son lit, mais ne peut y parvenir. L’être à l’intelligence la plus pure est alors plein de respect pour son père.

4. Et se tenant devant le roi il lui dit : N’y faites pas davantage obstacle et ne vous faites pas de chagrin ; puisque, pour sortir de la famille, c’est le temps et l’heure convenables, ô roi, avec le peuple, avec le royaume, souffrez donc que je parte, ô maître des hommes.

5. Le roi, les yeux remplis de larmes, lui répondit : Quelle que soit la chose nécessaire pour te faire changer, le don que tu désires de moi, parle, je te donnerai tout. Prends ce palais et moi-même avec le royaume !

6. Alors le Bôdhisattva dit d’une voix douce : Seigneur, je désire quatre dons ; donnez-les-moi. Si vous pouvez me les donner je resterai là et vous me verrez toujours dans cette demeure ; je ne sortirai pas de la famille.

7. Je désire. Seigneur, que la vieillesse ne s’empare jamais de moi et rester toujours en possession des belles couleurs de la jeunesse ; être toujours plein de santé et que la maladie ne m’attaque pas ; que ma vie soit illimitée et qu’il n’y ait pas de mort. 8. Le roi ayant entendu ces paroles fut accablé de chagrin. — C’est l’impossible que tu demandes, mon fils : à cela je ne puis rien. Dans les Kalpas où ils se sont trouvés, les Rïchis n’ont jamais été délivrés de la crainte de la vieillesse, de la maladie, de la mort ni de l’infortune.

9. Après avoir entendu ce discours de son père, le jeune prince dit : Si vous ne donnez pas ces quatre dons, Seigneur, écoutez alors quel est un autre don (que je désire) : Qu’au sortir de cette vie, il n’y ait plus pour moi de métempsycose !

10. Quand il eut entendu ces paroles du plus grand des hommes, le roi s’opposa au désir de son fils et combattit son dessein. (Puis il dit :) Toi qui, dans le monde, mets ta joie à délivrer les êtres, qu’il s’accomplisse le dessein médité par toi !


Cependant, Religieux, le Bôdhisattva étant revenu et étant monté dans son palais, s’assit sur son lit, et personne ne s’aperçut de son départ ni de son retour.

Et, Religieux, à la tin de cette nuit, le roi Çouddhôdana ayant rassemblé toute la famille des Çàkyas, leur exposa cette affaire : Le jeune homme s’en ira au dehors ; alors que ferons- nous ?

Les Çâkyâs dirent : Sire, nous ferons la garde ; pourquoi ? Parce que cette troupe des Çàkyas est nombreuse ; et comme il est seul, quel pouvoir a-t-il de s’en aller, de force, au dehors ?

Alors ces Çàkyas et le roi Çouddhôdana placèrent à la porte orientale de la ville cinq cents jeunes Çàkyas rompus à l’usage des armes, soldats aguerris, habiles à se servir de l’arc et des flèches, doués de la force des grands Nagnas ; et, afin de garder le Bôdhisattva, chacun des jeunes Çàlîyas avait pour escorte cinq cents chars, et chaque char* avait pour escorte cinq cents fantassins.

De même, afin de garder le Bôdhisattva, à la porte du midi, du couchant et du nord de la ville furent placés cinq cents jeunes Çâkyas rompus à l’usage des armes, soldats aguerris, habiles à se servir de l’arc et des flèches, doués de la force des grands Nagnas ; et chacun des jeunes Çâkyas était escorté de chars et chaque char de cinq cents soldats. Les plus anciens d’entre les vieillards de la famille des Çâkyas furent placés en grand nombre, dans tous les carrefours, les places et les grandes routes. Le roi Çouddhôdana. entouré et précédé de cinq cents jeunes Çâkyas montés sur des chevaux et des éléphants, faisait sentinelle à la porte de sa demeure. Mahàpradjâpatî-Gàutamî dit à la foule des femmes esclaves :


12. Allumez les lampes pures ; au sommet des étendards placez tous les précieux joyaux ; suspendez des guirlandes de perles ; faites partout, dans ce séjour, resplendir la lumière.

13. Faites résonner la musique et les chants ; veillez sans relâche, pendant la nuit, gardez avec soin le jeune homme de sorte qu’il ne puisse s’éloigner sans être aperçu.

14. Armées et tenant à la main des carquois, munies d’épées, de javelots et de piques, afin de garder ce fils chéri, toutes faites un grand effort.

15. Fermez les portes bien garnies de machines et de chaînes et qui ont des battante solides ; ne les ouvrez pas quand ce n’est pas le temps, pour que l’être pur ne s’en aille pas.

16. Attachez bien les guirlandes de pierres précieuses et de perles, les anneaux, les croissants, les ceintures, les pendants d’oreilles, les bagues avant un sceau et les anneaux des jambes.

17. Si, tout à coup, il s’en allait au dehors, celui qui est le secours des hommes et dos dieux, comme un éléphant affolé ! Faites donc des efforts afin qu’il ne trouve rien qui le gêne.

18. Que les femmes qui portent des lances entourent la couche de cet être pur ; ne soyez pas vaincues parle sommeil ; comme un oiseau, surveillez-le des yeux.

19. Munissez ce séjour de précieux grillages, afin de garder le prince. Faites résonner le son des flûtes : gardez-vous du trouble cette nuit.

20. Avertissez-vous l’une l’autre et ne vous endormez pas en veillant cette nuit ; pour qu’il ne s’en aille pas au dehors, après avoir abandonné le royaume et la royauté.

21. Lui parti, tout le palais royal serait privé de joie, et la race du roi, qui dure depuis longtemps, serait interrompue !


Ensuite, Religieux, vingt-huit grands chefs de l’armée dos Yakchas, et précédés de Pantchika, chef d’armée des Yakchas, cinq cents fils de (la Yakchini) Hâriti, s’étant rassemblés en un même lieu, parlèrent ainsi : Aujourd’hui, compagnons, le Bôdhisattva s’en ira dans le monde. Empressez-vous donc de lui offrir l’œuvre du sacrifice.

Et les quatre grands rois étant entrés dans le palais royal d’Adakavatî dirent à cette grande assemblée de Yakchas : Aujourd’hui, compagnons, le Bôdhisattva s’en ira par le monde. C’est en ayant les pieds de son cheval soutenus par vous qu’il doit sortir de la famille.

Et l’assemblée des Yakchas dit :


22. Solide comme le diamant, indivisible est le corps de Nâiâyana. Doué de force, d’énergie et de gravité, cet être, le meilleur de tous est inébranlable. Le premier entre les moûts, le grand Mérou, déraciné, pourrait être enlevé dans le ciel, mais celui qui est chargé de plusieurs monts Mérous de qualités d’un Djina et réfugié dans la vertu et la science, ne peut être porté par personne ! Vâiçravana dit :

23. Les hommes enflés d’orgueil, voilà ceux pour qui le maître est pesant. Ceux qui se tiennent dans la douceur et le respect, reconnaissent qu’il est léger. À l’aide de la réflexion, mettez de l’empressement et du respect, et vous saurez qu’il est léger comme un flocon de coton qui vole dans le ciel.

24. Pour moi, j’irai en avant, et vous, portez le cheval. Au moment de la sortie dans le monde du Bôdhisattva, amassons beaucoup de bonnes œuvres.


Cependant, Religieux, Çakra, le maître des dieux, dit aux dieux Trâyastrim̃çats : Aujourd’hui, compagnons, le Bôdhisattva s’en ira dans le monde ; à cette occasion, il faut, avec empressement, faire l’œuvre du sacrifice. Alors un fils des dieux nommé Gàntasoumati parla ainsi : Pour ma part, dans la grande cité de Kapilavastou, je les conduirai tous : hommes, femmes jeunes gens et jeunes filles.

Un fils des dieux nommé Lalitavyoûha parla ainsi : Et moi, pendant ce temps-là, je rendrai imperceptible le bruit de tous : chevaux, éléphants, ânes, chameaux, bœufs, buffles, hommes, femmes, jeunes gens et jeunes filles.

Un fils des dieux nommé Vyoûhamati parla ainsi : Et moi, dans l’étendue du ciel, je ferai un arrangement de la route, entouré d’une Védikâ mesurant l’étendue de sept chars, étincelant de l’éclat des pierres précieuses Mani et Soùryakanta, avec des bannières et des banderoles déployées, jonchée de fleurs, bien parfumées de cassolettes aux odeurs varices, dans la route par laquelle s’en ira le Bôdhisattva.

Le roi des éléphants, nommé Airâvana parla ainsi : Et moi, sur ma propre trompe, je ferai bâtir un palais à étages de l’étendue de trois cent vingt-deux Yôdjanas, où, après être montées, les Apsaras, avec les concerts des instruments de musique et des chœurs, marcheront en faisant une escorte respectueuse au Bôdhisattva.

Çakra lui-même, le maître des dieux, parla ainsi : J’ouvrirai les portes et je montrerai la route.

Le fils d’un dieu, nommé Dharmatchâri parla ainsi : Je ferai voir l’appartement des femmes sous un aspect désagréable.

Sañtchôdaka fils d’un dieu dit : Je ferai lever lo Bôdhisattva de son lit.

Alors le roi des Nâgas nommé Varouna et Manasvin roi des Nâgas et Anavatapta roi des Nâgas, et Nanda et Oupananda tous deux rois des Nâgas, parlèrent ainsi : Nous aussi, en vue de l’œuvre du sacrifice au Bôdhisattva, après avoir produit un nuage de benjoin, nous ferons tomber une pluie de poudre de sandal de l’essence des Ouragas.

Ainsi donc, Religieux, par les dieux, les Nâgas, les Yakchas et les Gandharbas, une telle résolution fut prise et arrêtée.

À la mémoire du Bôdhisattva ainsi entré dans la pensée de la loi, dans les palais remplis de concerts où il était à l’aise au milieu de l’appartement des femmes, pensant à la conduite des Bouddhas d’autrefois, pensant à être utile à tous les êtres, le sens do (ses) quatre prières d’autrefois se représenta. Lesquelles (au nombre de) quatre ?

Autrefois, par moi désirant la souveraineté des Svayambhous, aspirant à l’omniscience, l’armure de la vertu fut revêtue en conséquence. Après avoir va les êtres affligés, (j’ai dit :) « Ah oui ! pour le monde jeté dans les liens de la grande prison de la transmigration où il est rassemblé, puissé-je prononcer les mots : Délivrance complète des liens ! Puisse-je délivrer complètement les êtres attachés par les liens étroits et forts du désir ! »

Tel est le sens de la première prière d’autrefois qui se représenta à sa mémoire.

« Ah oui ! pour le monde jeté dans la grande fosse de l’aveuglement de l’ignorance (qui vient) de la transmigration, dont l’œil est couvert par le voile de la taie de l’ignorance ; qui est privé de l’œil de la sagesse, et aveuglé par les ténèbres du trouble de l’ignorance, puissé-je produire la grande lumière de la loi ! Puissé-je apporter la lampe de la science ! Par l’application du remède qui contient la science du bonheur de la triple délivrance, employé avec la science de la sagesse (dans le choix) des moyens, puissé-je, après avoir écarté toutes les ténèbres de l’ignorance et le grand brouillard de la taie qui l’obscurcit, purifier l’œil de la sagesse ! »

Tel est le sens de la deuxième prière d’autrefois qui se représenta à sa mémoire.

« Ah ! oui, pour le monde qui a déployé l’étendard de l’orgueil, qui est tout plein d’égoïsme et d’amour de soi-même, poursuivi par ce qui le concerne lui-même, bouleversé par le renversement des vues de l’esprit et de la conscience ; s’attachant à ce à quoi il ne faut pas s’attacher ; puissé-je causer la chute de l’étendard de l’orgueil, en lui montrant la voie honorable ! »

Tel est le sens de la troisième prière d’autrefois qui se représenta à sa mémoire.

« Ah oui ! pour le monde qui n’est pas apaisé, qui a une trame troublée dont les fils sont emmêlés, qui est doué d’une vivacité qui n’est pas une vivacité (bien placée) ; qui, de ce monde dans l’autre, de l’autre monde dans ce monde-ci, court et émigré ; qui n’est pas débarrassée de la transmigration ; qui est monté sur une roue enflammée, puissé-je faire briller la lumière de la loi qui apaise et produit le contentement de la sagesse ! »

Tel est le sens de la quatrième prière d’autrefois qui se représenta à sa mémoire.

Ce sont là les sens des quatre prières (faites dans) des existences antérieures qui se représentèrent à sa mémoire.

En ce moment, l’appartement des femmes fut transformé et mis en désordre par Dharmatchàrin, le fils d’un dieu et par les dieux Çouddhàvâsakàyikas.

Après l’avoir montré sous une forme désagréable et inspirant le dégoût, du milieu du ciel où ils se tenaient, ils adressèrent ces Gàthâs au Bodhisattva.


25. Cependant les fils des dieux, grands Rïchis, ont dit à celui qui a les veux longs comme le pttale d’un lotus épanoui : Comment, au milieu de oc cimetière où tu demeures, la joie peut-elle naître pour toi ?

26. Exhorté par les maîtres des dieux, il examine un instant l’appartement dus femmes ; il le considère, et, voyant qu’elles ont un aspect repoussant : Je demeure au milieu d’un cimetière, en vérité !

Le Bôdhisattva regarda la troupe tout entière des femmes, et les examina avec attention. Quelques-unes ont leurs vêtements arrachés ; quelques-unes ont les cheveux en désordre ; quelques-unes ont leurs ornements dispersés ; quelques-unes ont leurs diadèmes tombés ; quelques-unes, avec les épaules meurtries, ont le corps difforme ; quelques-unes ont le visage déformé ; quelques-unes ont les yeux de travers ; quelques-unes laissent couler leur salive ; quelques-unes toussent ; quelques-unes rient ; quelques-unes prononcent des mots sans suite ; quelques-unes grincent des dents ; quelques-unes ont le visage décoloré ; quelques-unes ont le corps déformé ; quelques-unes ont les bras pendants ; quelques-unes ont les pieds écartés ; quelques-unes ont la tête blessée ; quelques-unes ont la tête voilée ; quelques-unes ont le tour du visage renversé et contourné ; quelques-unes ont le corps mutilé ; quelques-unes ont le corps complètement nu ; quelques-unes, toutes contrefaites, font entendre des sons rauques ; quelques-unes, tenant des tambours, ont la tête et le corps renversés ; quelques-unes ont les mains étendues sur des Vinas et des Vallakis ; quelques-unes serrent une flûte avec les dents ; quelques-unes ont jeté les instruments de musique (appelés) Kim̃palas, Nakoulas et Sampatâdas. Quelques-unes ouvrent et ferment les yeux en clignant ; quelques-unes ont le visage contourné. Le Bôdhisattva, en examinant (les habitantes de) l’appartement des femmes ainsi transformées et étendues sur le plancher, se fit l’idée d’un cimetière.

Et là il est dit :


27. Après les avoir vues, le Guide du monde avant soupiré avec compassion, dit : Hélas ! ces créatures sont tombées dans la misère ! Comment trouve-t-on du plaisir avec des troupes de Râkchasis ?

28. Ceux qui, ayant un mauvais jugement enveloppé des ténèbres d’un trouble extrême, prennent pour des qualités les qualités du désir qui n’en sont pas, comme des oiseaux entrés dans une cage, ne trouvent pas d’issue.


Cependant le Bôdhisattva, par cette porte lumineuse de la loi examinant encore l’appartement des femmes, se lamenta sur les êtres avec des lamentations d’une grande compassion.

Ici-bas les ignorants sont tués comme des condamnés à mort.

Ici-bas les ignorants se passionnent, comme si c’était pour des vases ornés de belles peintures, pour des (vases) remplis d’impuretés, les ignorants qu’ils sont !

Ici les ignorants sont submergés comme des éléphants au milieu des eaux.

Ici les ignorants sont confinés comme des voleurs au milieu d’une prison.

Ici les ignorants se réjouissent comme des sangliers au milieu des ordures.

Ici les ignorants sont retenus comme des chiens au milieu des os et des ordures.

Ici les ignorants se précipitent comme sur les flammes d’une lampe les papillons.

Ici les ignorants sont liés comme des singes dans un piége.

Ici les ignorants sont complètement pris comme des poissons enlevés par un filet.

Ici les ignorants sont mis en morceaux comme des moutons dans les abattoirs.

Ici les ignorants sont comme des malfaiteurs fixés sur la pointe d’une pique.

Ici les ignorants sont dans la détresse comme de vieux éléphants dans un marais.

Ici les insensés périssent comme ceux dont les vaisseaux sont brisés sur le grand océan.

Ici les insensés sont précipités comme dans un précipice des aveugles-nés.

Ici les ignorants arrivent à l’épuisement comme l’eau qui s’en va dans l’ouverture du Pâtâla.

Ici les insensés sont enveloppés de fumée, comme l’est la grande terre quand arrive la destruction du monde à la fin d’un Kalpa.

Par elles (les femmes) les insensés sont jetés dans le trouble comme la roue du potier détraquée.

Ici les insensés s’égarent comme des aveugle nés qui sont allés au milieu de la montagne.

Ici les insensés courent en tournant comme des chiens attachés par une laisse.

Ici les insensés dépérissent comme, au temps des chaleurs, les herbes et les arbres.

Ici les insensés s’amoindrissent comme la lune à la quinzaine noire. Par elles (les femmes) les insensés sont mangés comme des serpents par Garouda.

Ici les insensés sont dévorés comme des matelots par un grand Makara. Par elles ces insensés sont dépouillés comme des caravanes par une troupe de voleurs.

Par elles les insensés sont brisés comme les palmiers par le vent.

Par elles les insensés sont tués comme les créatures parles serpents.

S’imaginant que c’est quelque chose de doux à goûter, les insensés sont blessés comme les créatures ignorantes par le tranchant d’un rasoir enduit de miel.

Par elles les insensés sont entraînés comme des pièces de bois par le courant des eaux

Avec elles les insensés jouent comme les petits enfants avec leurs excréments.

Par elles les insensés sont domptés comme, par le croc (qui le dirige), un éléphant.

Par elles les insensés sont trompés comme les créatures insensées par les fripons.

Ici les insensés détruisent les racines de vertu comme les joueurs passionnés leur fortune.

Par elles les insensés sont dévorés comme les marchands par les Râkchasis.

Ainsi, par ces trente-deux remarques,’le Bôdhisattva ayant complètement apprécié l’appartement des femmes, se formant une idée nette de l’impureté du corps, concevant l’idée de répulsion, produisant l’idée de blâme ; reportant sa réflexion sur son corps ; voyant bien la misère du corps, se dégageant de l’inclination vers le corps ; se formant bien l’idée de pur, pénétrant l’idée de l’impur ; depuis la plante des pieds jusqu’en haut, à la limite du cerveau, il vit que le corps était né de l’impur, procédait de l’impur, laissant couler toujours ce qui est impur. Et, en ce moment, il prononça cette Gâtha :


28. Produit du champ des œuvres, ne de l’eau du désir, donnant l’idée d’un amas de ruines, déformé par les larmes, la transpiration, l’humidité, l’urine, et plein de gouttes de sang ; rempli des ordures du ventre, de moelle, de sang et des liquides du cerveau et laissant toujours couler des impuretés, tout rempli.de choses impures et de mauvaises odeurs diverses ;

29. Déformé par les os, les dents, les cheveux et les poils des pores, recouvert d’une peau ayant des poils ; avant, rassemblés au dedans, la rate, le foie, la graisse, la salive ; sans force, relié par la moelle et les nerfs, pareil à une machine, rendu beau par la chair, rempli de douleurs mêlées à diverses maladies ; toujours tourmenté par la faim et la soif ;

30. Enfer des créatures, ayant plusieurs ouvertures, donnant asile à la vieillesse et à la mort ; quel est le sage qui, après l’avoir vu, ne regarderait pas son propre corps comme un ennemi ?


Et ainsi le Bôdhisattva demeura avec le souvenir qui est allé d’un corps à un autre.

Et les fils des dieux, qui étaient dans l’étendue du ciel, parlèrent ainsi à Dharmatchàrin, le fils d’un dieu :

Ami, qu’est-ce que cela ? Siddhârtha s’attarde ; il a examiné en détail l’appartement des femmes ; et il le montre ; et il effraie la pensée en y faisant arrêter les yeux à plusieurs reprises.

Ah ! vraiment, dans sa vivacité, celui-ci est profond comme l’océan ; il est impossible de saisir sa mesure. Et vraiment, l’esprit de celui qui est sans attachement ne s’attache certainement pas aux objets des sens. Non, certainement, exhorté par les immortels, il n’oublie pas une promesse d’autrefois.

Dharmatchàrin dit : Pourquoi parle-t-on ainsi ? Certainement, tel fut le détachement de celui-ci agissant autrefois en vue de l’Intelligence. Après être sorti de la famille et dans l’abandon (qu’il fait de tout), pourquoi, à plus forte raison, l’absence d’attachement n’existerait-elle pas pour lui qui en est à sa dernière existence ?

Cependant, Religieux, le Bôdhisattva, le cœur affligé, dont la résolution était prise, la pensée affermie, ayant, comme il convient, sans tarder, étendu ses jambes qui étaient croisées, dans le palais des concerts, se tenant tourné vers l’orient, après avoir écarté avec la main le précieux treillis, après être allé sur le sommet du palais et avoir fait le salut qui consiste à joindre les dix doigts de ses mains, après avoir pensé à tous les Bouddhas et avoir fait une adoration à tous les Bouddhas, il regarda l’étendue des cieux, il aperçut, au milieu des airs, le maitre de dieux, Daçaçatanayana entouré de cent mille dieux tenant des fleurs, de l’encens, des parfums, des guirlandes, des onguents, des poudres parfumées, des vêtements de religieux, des parasols, des étendards, des bannières, des pendants d’oreille pareils à des fleurs, et des guirlandes de pierres précieuses. Il le vit le corps penché, s’inclinant devant (lui) le Bôdhisattva, ainsi que les quatre gardiens du monde entourés de troupes de Yakchas, de Rakchasas, de Gandharvas et de Nâgas revêtus de cuirasses solides et de cottes de mailles, tenant à la main l’épée, l’arc et les flèches, le javelot, la lance à deux pointes et la lance à trois pointes ; (il les vit) ayant, comme il convient, déposé leurs diadèmes de perles et leurs couronnes et s’inclinant devant (lui) le Bôdhisattva. Il vit aussi debout, à droite et à gauche, Tchandra (dieu de la lune) et Soùrya (dieu du soleil), fils des dieux. Pouchya, le roi des astérismes s’était levé. Quand il eut vu que l’heure de minuit était venue, le Bôdhisattva avertit Tch’andaka.


31. Tch’andaka, il ne faut plus tarder ; donne-moi le roi des chevaux paré de ses ornements. La bénédiction qui est en moi s’en va vers son entière perfection ; aujourd’hui certainement a lieu l’accomplissement de l’événement.


Mais Tch’andaka, le cœur affligé, après avoir entendu ces paroles, parla ainsi : Où irez-vous, lion des hommes, aux longs sourcils, aux yeux beaux comme le pétale du lotus ? (Vous) semblable à la pleine lune d’automne, lotus blanc réjoui par la lune, au visage gracieux comme les fleurs de lotus nouvellement épanouies ; qui avez l’éclat de l’or pur et de la lune sans tache quand le soleil est couché ; qui brillez comme le feu du sacrifice aspergé de beurre clarifié ; qui avez l’éclat étincelant du diamant et de l’éclair ; qui avez la démarche d’un éléphant furieux, d’un éléphant qui joue ; qui avez le port, le beau port et les beaux pieds d’un taureau et du roi des animaux et du cygne.

Le Bôdhisattva dit :


32. Ce à cause de quoi ont et autrefois par moi abandonnés mes mains, mes pieds, mes yeux, ainsi que ma tête ; mes fils et mes épouses chéries, la royauté, les biens, l’or et les (beaux) vêtements ;

33. Les éléphants et les chevaux couverts de pierreries, ayant la force, la valeur, la Vivacité et la rapidité du vent ; (ce à cause de quoi) la vertu a été gardée par moi, la patience bien comprise par moi qui me suis voué à la force de l’héroïsme, à la méditation et à la sagesse,

34. Pendant plusieurs centaines de mille de Kôtis de Kalpas, et, de plus, ayant touché l’Intelligence suprême, heureuse et calme, l’heure est venue pour moi aujourd’hui de délivrer les être jetés dans la cage de la vieillesse et de la mort !


Tch’andaka dit : J’ai entendu dire, Seigneur, qu’aussitôt votre naissance, vous avez été présenté, pour être examiné, à des Brahmanes connaissant les signes ; et qu’en présence du roi Çouddhôdana, cette prédiction a été faite sur vous par eux : Sire, il sera la prospérité de la famille du roi. (Çouddhôdana) dit : Comment cela ?

Ceux-ci dirent : Cet enfant a les signes de cent vertus ; votre fils est né avec l’éclat de cent vertus. Il sera un (roi) Tchakravartin, souverain de quatre Dvîpas, possesseur des sept trésors. Mais si, après avoir vu le monde affligé de douleurs, il s’en va hors de la famille, après avoir abandonné l’appartement des femmes, quand il aura obtenu l’Intelligence, qui est une condition où il n’y a ni vieillesse ni mort, il satisfera les créatures avec les eaux de la loi.

Eh bien, Seigneur, la voici telle qu’elle est cette prédiction, elle n’est pas sans effet. Cependant, écoutez mes paroles à moi qui désire vous être utile.

(Le Bôdhisattva) dit : Comment cela ?

(Tch’andaka) dit : Seigneur, ce en vue de quoi ici-bas quelques-uns entreprennent des pénitences et des austérités diverses, en portant des vêtements d’écorce, et de peaux de gazelle, une natte de cheveux pour couronne ; portant longs leurs ongles, leurs cheveux et leur barbe ; soumettant leur corps à des austérités, à des austérités excessives de plusieurs espèces, et se livrant à une pénitence terrible de leur choix. Pourquoi, de cette manière, chercherions-nous à obtenir la félicité des hommes et des dieux, quand cette félicité est acquise, Seigneur. Ce royaume est étendu, florissant, prospère, abondant en tout, réjouissant, et rempli d’une foule d’hommes et d’êtres animés. Et ces parcs, les plus beaux entre les plus beaux ! ornés de toutes sortes de fleurs et de fruits, où résonne le chant des troupes d’oiseaux ; et ces étangs embellis par des lotus bleus, jaunes, rouges et blancs, animés par le chant des flamants, des paons, des Kôkilas, desTchakravâkas, des cigognes et des geais, dont les bords sont entourés de Sahakâras, d’Açôkas, de Tchampakas, de Kouravakas, de Tilakas, de Kêçaras et autres arbres en fleur, bien ornés de jardins aux arbres de corail ; où sont placés des échiquiers, entourés de tables précieuses, abrités par des treillages précieux ; dont on jouit suivant le temps de la saison, au printemps, en été, en automne ou en hiver ; et ces grands palais pareils au mont Kàilâça, semblables au Vâidjayanta, protégés par la loi, la bonne loi, d’où sont bannis les soucis et le reste. (Ces palais) ornés de terrasses, de portiques, d’arcades, d’œils-de-bœuf, de pavillons à étages, où résonne le bruit des treillages ornés de clochettes ; et cet appartement des femmes, Seigneur, où l’on sait si bien danser en unissant les accords des voix et des instruments, (tels que) les tambours, les tambourins, les luths, les flûtes et les cymbales ; où Ton passe doucement le temps à rire, à danser, à jouer, à se réjouir ; et vous, Seigneur, vous êtes jeune, élancé, dans la fleur de la jeunesse, votre corps est gracieux et charmant, votre chevelure noire, et vous n’avez pas joué avec les désirs. Livrez-vous donc quelque temps au plaisir, comme Indra, le maitre des dieux, et ensuite, devenus vieux, nous irons errer en religieux. Et en ce moment il récita cette Gâthâ :


35. Livrez-vous au plaisir, vous qui connaissez les rites des plaisirs ; comme le maître des immortels dans le monde des Tridaças (dieux), et, ensuite, devenus vieux, nous commencerons les mortifications.


Le Bôdhisattva dit :

C’est assez, Tch’andaka. Ces objets désirés, en vérité, ne durent pas ; ils sont passagers, inconstants et de nature changeante ; ils s’en vont vite, égalant en rapidité le torrent de la montagne ; comme la goutte de rosée, ils ne durent pas longtemps ; ils sont sans essence comme le poing vide qui trompe un enfant ; comme la tige de la plante Kadali, ils sont sans essence ; comme des vases d’argile, leur nature est fragile ; comme des nuages d’automne, ils paraissent un instant et ne sont plus ; ils ne durent pas longtemps, comme les éclairs dans le ciel ; comme un vase où il y a du poison, ils produisent les misères des changements d’existence ; ils apportent le malaise, comme la liane Mâlouta. Les objets désirés par ceux qui ont l’intelligence faible sont pareils à la bulle d’eau, d’une nature qui change vite ; pareils à l’illusion et au mirage produits d’une erreur de la pensée ; pareils à l’illusion, causés par l’erreur de l’esprit ; pareils à des songes, il sont, par l’union du charme et de l’erreur delà vue, incapables de satisfaire ; comme l’Océan, ils sont difficiles à remplir ; comme l’eau salée, ils produisent la soif ; dangereux à toucher comme la tête d’un serpent ; comme un grand précipice, ils sont évités par les sages. Après avoir reconnu qu’ils sont accompagnés de dangers, accompagnés de querelles, accompagnés de fautes, accompagnés de vices, ils sont complètement évités par les sages, blâmés par les savants, repoussés par les gens respectables, abandonnés par les gens sensés, accueillis par les insensés, entretenus par les ignorants. Et, en ce moment, il récita cette Gâthâ :


36. Les objets désirés évités par les gens sensés comme la tête d’un serpent, repoussés comme un vase impur et destructeurs de toute vertu, ô Tch’andaka, après les avoir connus, il n’y a plus pour moi de joie !


Alors Tch’andaka, comme percé d’une flèche, gémissant, les yeux pleins de larmes, accablé de douleur, parla ainsi :


37. Seigneur, ce en vue de quoi, ici-bas, quelques-uns pratiquent de rudes austérités de toutes sortes, portent des peaux de gazelle noire, une natte de cheveux, leur chevelure, leurs ongles et leur barbe très longs et des habits de religieux ; portent des habits d’écorce, ont les membres desséchés, et, renfermés dans leurs mortifications, ne mangent que des herbes et des légumes ; d’autres, la tête en bas observent la frugalité des vaches.

38. (En vue du même but) nous aussi, les meilleurs, les plus élevés, les plus éminents des Tchakravartins dans l’univers et aussi gardiens du monde, serions-nous, comme Çakra qui porte la foudre, comme Yâma le seigneur des dieux et Nirmitta, désireux du bonheur de la contemplation dans le monde de Brahmâ ?

39. Ô le meilleur des hommes, ce royaume qui est le vôtre, florissant, étendu, prospère ; ces jardins délicieux, ces parcs, ce palais élevé pareil au Vâidjayanta ; cet appartement des femmes, où l’on sait si bien, au son des flûtes et des luths, aux accords des chants et des instruments, réunir les concerts, la danse et le plaisir, jouissez-en de ces objets du désir, n’errez pas en religieux, ô excellent !


Le Bôdhisattva dit :


40. Tch’andaka, écoute ! Des centaines de misères ont été endurées par moi à cause du désir, dans le cours de mes existences antérieures : Emprisonnements, entraves, coups, menaces ; et il n’y a pas eu de défaillance.

41. Dans mon esprit, faisant partie des composés, livré au pouvoir de la passion, rempli de trouble, enveloppé du réseau de la vue et devenu aveugle, autrefois, les sensations qui faisaient agir en s’emparant de l’intelligence de l’âme ont été complètement écartées.

42. Elles qui, produites par l’ignorance de la loi, sont mobiles, changeantes, instables, pareilles au nuage, semblables aux éclairs, pareilles aux gouttes de rosée, vaines, creuses sans essence, sans conscience d’elles-mêmes, entièrement vides par nature.

43. Et mon esprit ne s’attache pas aux objets des sens. Tch’andaka, donne-moi Kanthaka, le meilleur roi des chevaux paré d’ornements. Elle est accomplie la bénédiction de mes pensées d’autrefois ; je serai le Mouni qui soumet tout, seigneur delà loi, roi de la loi !


Tch’andaka dit :


44. Celle qui a les yeux comme un pétale de lotus épanoui, parée de guirlandes de perles et de pierres précieuses, pareille à l’éclair qui, dans le ciel, jaillit des nuages amoncelés, vous ne la regardez pas, brillante sur sa couche ?

45. Et ces flûtes, ces tambours, au son agréable ; ces instruments de musique et ces concerts ? et les chants des Tchakoras et les gazouillements des Kalabingkas ? cette demeure semblable à celle des femmes des Kinnaras, comment les abandonnerez-vous ?

46. Les jasmins, les lotus bleus, les aloès, les Tchampakas et les guirlandes aux odeurs suaves, bouquets de fleurs réunies ; les aloès noirs, les cassolettes, où brûlent les meilleures parfums, les onguents par excellence, vous ne les regardez pas ?

47. Les mets odorants aux saveurs les plus flatteuses, les mieux apprêtés avec des épices délicieuses ; les breuvages si bien préparés avec du sucre, vous ne les regardez pas ? Seigneur, où irez-vous ?

48. Ces excellents et beaux vêtements de Kaci (Bénarès), chauds dans la saison froide, avec des onguents excellents, et au temps des chaleurs, imprégnés de l’essence de sandal des Ouragas, vous ne les regardez pas ? Seigneur, où irez-vous ?

49. Et les cinq qualités du désir, Seigneur, qui, pour vous, sont aussi abondantes que dans les pays des dieux ? réjouissez-vous donc, en possession de la joie et du bienêtre, et, ensuite, le prince des Çâkyas s’en ira dans la forêt.


Le Bôdhisattva dit :


50. Pendant des Kalpas incommensurables et sans fin, ô Tch’andaka, tous les désirs divins et humains (nés) de la forme, du son, de l’odorat, du goût et du toucher ont été goûtés par moi et je n’ai pas été satisfait !

51. Par moi, fils du premier des rois, a été exercée la souveraineté dans un grand royaume (composé) de quatre continents : je fus alors un Tchakravartin en possession des sept objets précieux, vivant au milieu de l’appartement des femmes. La souveraineté a été exercée par moi, sur les maîtres des Tridaças et les dieux Souyàmas.

52. Et après avoir émigré du milieu d’eux, venu ici-bas, JN’irmita parmi les Nirmitas, les plus grandes prospérités qui ravissent lecteur ont été, autrefois, goûtées, par moi, et la souveraineté de Mâra a été exercée sur ceux qui commandent aux maîtres des Souras. J’ai goûté la satisfaction des désirs les plus grands et les plus recherchés, et je n’ai pas été satisfait !

53. Comment, à plus forte raison, aujourd’hui, attaché à une (condition) inférieure, arriverai-je à la satisfaction ? Cette condition n’en est pas une. De plus, Tch’andaka, j’examine ce monde plein de douleur, qui reste au milieu de la voie difficile du chagrin ;

54. Milieu rempli par les serpents de la corruption, aveuglé par le trouble et l’ignorance ?, dans lequel est toujours entraîné (ce monde) sans asile et sans chef, poursuivi par les frayeurs de la vieillesse, de la maladie et de la mort ; frappé de tous côtés par les douleurs de la naissance, persécuté par des ennemis. 55. Après avoir amené le vaisseau de la loi, qui a la grande force de la bonne conduite, des austérités, de la patience et de l’héroïsme, qui est excellent, consolidé par une accumulation d’aumônes, solide et bien attaché par des méditations profondes, fortes comme le diamant ;

53. Moi-même étant monté dans ce navire, ayant par moi-même passé, je ferai passer les créatures innombrables dans le courant de la transmigration, tout troublé par le chagrin de la transmigration, par les flots de la colère et de la passion, et par les Grahas qui le rendent difficile à traverser. Telle est ma pensée.

57. À cause de cela, ayant par moi-même traversé cet océan de l’existence infesté de Grahas aux vues hostiles et de Rakchasas de la corruption naturelle ; moi-même, après avoir traversé l’univers sans fin, je l’établirai sur la place heureuse où il n’y a plus ni vieillesse ni mort !


Alors Tch’andaka parla ainsi, en gémissant profondément : Seigneur, est-ce là votre ferme résolution ?

Le Bôdhisattva dit : Écoute, Tch’andaka, ce que j’ai résolu afin de délivrer les êtres et entrepris pour leur être utile. Ge qui est immuable n’est pas détruit par l’immuable, (mais) solide, comme le Mèrou, le roi des monts, bien difficile à ébranler.

Tch’andaka dit : Quelle est la détermination du noble seigneur ?

Le Bôdhisattva dit :


58. Au milieu d’une pluie de pierres, de flèches, de piques, de haches, de foudres et de tonnerres, un bloc de fer brûlant, brillant de l’éclat de l’éclair et les sommets embrasés des montagnes pourraient tomber sur ma tête, que je ne concevrais pas, de nouveau, le désir d’(avoir) une maison !

59. En ce moment, les dieux qui se tenaient dans les airs firent entendre de grands cris de joie (jetèrent) une pluie de fleurs (en disant :) Victoire, victoire à toi qui possèdes la plus haute intelligence, qui donnes la sécurité au monde, ô guide !

60. L’esprit du meilleur des hommes n’est pas plus agité que le ciel ne l’est par l’obscurité, la poussière et les météores ; il n’est pas pris par les objets des sens, lui qui est sans tache, comme le lotus nouveau dans l’eau qui n’adhère pas à lui.


Alors, Religieux, le fils d’un dieu Çântamati et Lalitavyoûha, ayant connu la détermination du Bôdhisattva, plongèrent dans le sommeil tous les hommes, les femmes, les jeunes gens et les jeunes filles de la grande et excellente cité de Kapilavastou, et firent cesser tous les bruits.

Au même instant, Religieux, le Bôdhisattva, ayant reconnu que tous les habitants de la ville étaient plongés dans le sommeil, ayant reconnu que l’heure de minuit était venue, qu’on était dans la conjonction de l’astre Pouchya, le roi des étoiles, et que c’était bien le temps de s’en aller par le monde, il dit à Tch’andaka : Tch’andaka, maintenant ne me décourage plus mais prépare Kanthaka, amène-le-moi, et ne tarde pas.

Ce discours ne fut pas plutôt prononcé par le Bôdhisattva, qu’à l’instant même, les quatre gardiens du monde qui avaient écouté les paroles du Bôdhisattva, étant allés, chacun dans sa demeure, afin de rendre hommage au Bôdhisattva, vite, vite, revinrent dans la grande ville de Kapilavastou, chacun avec ses préparatifs.

Alors, Dhrïtarâchtra, le grand roi maître des Gandharbas, arriva par l’horizon oriental en compagnie de plusieurs centaines de mille de millions de Gandharbas avec un concert de musique et de chants de toutes sortes. Dès qu’il fut arrivé, il tourna autour de la grande ville de Kapilavastou en lui présentant la droite, et, comme il était venu, s’étant replacé à l’horizon oriental, il s’y arrêta, adorant le Bôdhisattva.

À l’horizon méridional, le grand roi Virouṭhaka arriva avec plusieurs centaines de mille de millions de Koumbhândas tenant suspendus à leurs mains toutes sortes de guirlandes de perles et de diamants et des vases remplis d’eaux de senteur de toute espèce. Dès qu’il fut arrivé, il tourna autour de la grande ville de Kapilavastou en lui présentant la droite, et, comme il était venu, s’élant replacé à l’horizon méridional, il s’y arrêta, adorant le Bôdhisattva.

De même, le grand roi de l’horizon occidental, Viroûpâkcha, arriva avec plusieurs centaines de mille de millions de Nâgas tenant suspendues toutes sortes de guirlandes de perles et de diamants, soulevant des nuages de fleurs et de poudres parfumées et faisant souffler des brises imprégnées des plus douces odeurs. Dès qu’il fut arrivé, il tourna autour de la grande ville de Kapilavastou en lui présentant la droite, et, comme il était venu, s’ étant replacé à l’horizon occidental, il s’y arrêta adorant le Bôdhisattva.

Le grand roi de l’horizon du nord, Kouvêra, arriva avec plusieurs centaines de millions de Yakchas, tenant à la main des diamants, des perles, des pierres précieuses, et des torches allumées ; tenant des arcs, des flèches, des piques, des javelots, des lances à deux et à trois pointes, des disques, des traits, des armes de toutes sortes, et revêtus de fortes cuirasses. Dès qu’il fut arrivé, il tourna autour de la grande ville de Kapilavastou en lui présentant la droite, et, comme il était venu, s’étant replacé à l’horizon du nord, il s’y arrêta, adorant le Bôdhisattva.

Çakra, le maître des dieux, arriva aussi avec les dieux Trâyastrimçats, tenant des fleurs divines, des onguents, des parfums, des guirlandes, des poudres parfumées, des vêtements, des parasols, des étendards, des bannières, des pendants d’oreille et d’autres ornements. Dès qu’il fut arrivé, il tourna autour de la grande ville de Kapilavastou en lui présentant la droite, et, comme il était venu, avec sa suite, il se tint au milieu des airs, adorant le Bôdhisattva.

Ainsi, Religieux, Tch’andaka, ayant entendu les paroles du Bôdhisattva, les yeux remplis de larmes, lui adressa ces paroles :

Seigneur, qui connaissez le temps, qui connaissez l’heure, qui connaissez le moment favorable, ce temps-ci n’est pas favorable pour partir. Pourquoi donc en donnez-vous l’ordre ?

Le Bôdhisattva dit : Tch’andaka, c’en est bien le temps.

Tch’andaka dit : De quoi, Seigneur, est-ce le temps ?

Le Bôdhisattva dit :


61. Ce qui a été demandé avec instance, il y a bien longtemps, par moi qui faisais des recherches en vue de protéger les êtres, (et disant :) « Après avoir obtenu la dignité de l’Intelligence exempte de vieillesse et de mort, puissé-je délivrer le monde ! » l’heure de ceci est venue.

C’est là la loi elle-même.

Et ici il est dit :

62. Les dieux de la terre et de l’atmosphère, ainsi que les gardiens du monde, Çakra le maître des dieux avec sa suite, les dieux Yâmas et Touchitas, et les dieux Nirmittas et Parinirmittas, sont empressés.

63. Varouna, Manasvin aussi, le roi des Nâgas Anavatapta ainsi que Sâgara, sont empressés de même, pour présenter leurs hommages au moment de la sortie de la famille du plus grand des hommes.

64. Et les dieux qui, parmi les Roûpâvatcharas, agissent toujours avec calme et se tiennent dans l’état de contemplation, eux aussi, sont empressés pour offrir leur hommage au meilleur des hommes, digne des hommages des trois mondes.

65. Venus vers lui des dix points de l’espace, les Bôdhisattvas ses compagnons se conduisent comme autrefois (en disant :) nous verrons la sortie du Djina, et nous lui rendrons hommage comme il convient.

66. Et le maître magnanime des Gouhyakas, lui aussi, portant un foudre brûlant, se tient dans l’air, le corps revêtu d’une cuirasse, doué de force, d’énergie et de courage, tenant avec la main un foudre étincelant.

67. Les fils des dieux Tchandra et Soûrva, tous les deux, se tiennent à droite et à gauche, en joignant les dix doigts pour saluer, et font aller du côté où se produit le bruit de la sortie (du Bodhisattva).

68. L’astérisme Pouchya, avec sa suite, a transformé son corps majestueux ; et, se tenant devant ce premier des hommes, a fait entendre les accents d’une voix qui va au cœur.

69. Aujourd’hui sont accomplies toutes les prospérités et bénédictions ; le Pouchja est en vue ; c’est le moment favorable pour partir. Moi aussi j’irai avec toi ; ne rencontre pas d’obstacles, ô destructeur de la passion !

70. Santchôdaka, le fils d’un dieu, t’a exhorté ; lève-toi vite, éminent par la force et le courage ! Tous les êtres meurtris par les douleurs, délivre-les ! Le temps de sortir de la maison est venu pour toi.

71. Des centaines de millions de dieux sont venus, qui font pleuvoir des fleurs délicieuses ; et lui, assis les jambes croisées dans la meilleure posture, entouré des dieux, brille d’une éclatante splendeur.

72. Dans la ville, tout ce qu’il y a d’hommes, de femmes, déjeunes gens, déjeunes filles, sont endormis, l’esprit fatigué, et privés des voies honorables. Éléphants, chevaux, bœufs, geais, perroquets, cigognes et paons, tous endormis, l’esprit fatigué, ne voient pas ta personne.

73. Et les fils des Çâkyas, portant des lances à deux pointes solides comme le diamant, qui, montés surdos éléphants, des chevaux et des chars, ont été postés à la principale porte, eux aussi, sont complètement endormis. Le soir, les gens du roi et du prince royal, sont tous profondément endormis : et, de même, les troupes de femmes ayant disposé leurs vêtements, sont endormies et n’ont plus de sentiment.

74. Et lui, avec la voix de Brahmâ, avec une parole qui va au cœur et résonne comme le chant du Kalabiñgka, pendant la nuit, l’heure de minuit étant passée, parla à Tch’andaka : de bonne grâce, Tch’andaka, donne-moi mon bon (cheval) Kaṇṭhaka bien équipé. Ne fais pas de difficultés, donne-le-moi promptement, si tu veux m’être agréable.

75. Tch’andaka, ayant entendu ces paroles, les yeux remplis de larmes, dit à son maître : ou irez-vous, ô le meilleur cocher des êtres, et qu’avez-vous besoin d’un cheval ? Vous qui connaissez le temps, qui connaissez le moment, ce n’est pas, pour pratiquer la loi, le temps d’aller quelque part que ce soit. Vos portes sont fermées, affermies avec des barres solides ; qui donc vous les ouvrira ?

76. Mais voyant que les portes avaient été ouvertes par Çakra, par la puissance de de la pensée de l’esprit, Tch’andaka qui était joyeux redevint triste et versa des larmes. « Ah malheur ! qui est mon compagnon ? Que faire ? De quel côté courir ? La parole terrible prononcée par cet être éminent par sa splendeur, il n’est pas possible de s’y conformer.

77. Cette forte armée de quatre corps de troupes que fait-elle ici ? Le roi, les gens du roi et du prince royal, tous ne le voient pas. La foule des femmes est plongée dans le sommeil ? Yaçôvati a été endormie par la divinité ; ah ! malheur ! Qu’il aille donc ! Elle s’accomplit la prière qu’il a méditée autrefois ! »

78. Des centaines de millions de dieux, l’esprit joyeux, disent à Tch’andaka : de bonne grâce, Tch’andaka, donne l’excellent Kaṇṭhaka ; ne contrarie pas le guide (des créatures). Les dieux et les Asouras ont fait résonner les tambours, les conques et les instruments de musique, par centaines de mille, et cependant, elle ne s’éveille pas, la meilleure des villes, endormie par les dieux 1

79. Vois, Tch’andaka, dans l’atmosphère pure une lumière divine brille : vois des millions de Bôdhisattvas, qui sont venus pour rendre hommage. Vois Çakra, l’époux de Satchi, entouré d’une armée : il resplendit, arrêté à la porte ; les dieux aussi, les Asouras, les troupes des Kinnaras, sont venus pour rendre hommage.

80. Tch’andaka ayant entendu ce discours des divinités, parla à Kaṇṭhaka : le meilleur cocher des êtres s’approche : toi, alors, tu henniras. Et Tch’andaka, après avoir bien orné d’or les sabots (du cheval : qui ont la couleur dos nuages pluvieux, le cœur plein de tristesse, amena sa monture à celui qui est un océan de qualités.

81. « Vous qui possédez les meilleures signes, qui êtes secourable, voici votre beau cheval de bonne race. Partez, qu’elle s’accomplisse la prière méditée par vous autrefois. Que ceux qui vous feront obstacle soient apaisés, que votre vœu s’accomplisse ! Soyez donc le dieu du monde entier, qui donne à toute créature le bien-être ainsi que le calme du Svarga ! »

82. Toute la terre fut ébranlée de six manières lorsque, s’étant levé de sa couche, il fut monté sur le meilleur roi des chevaux, pareil (en blancheur) au disque de la pleine lune, et posé sur le meilleur des chevaux par la main des gardiens du monde pure comme un lotus sans tache.

Çakra et Brahmâ, tous les deux devant lui, montrent la meilleure route.

83. Une lumière pure et éclatante s’échappe de lui et la terre est éclairée. Tous les êtres qui sont dans une mauvaise voie, apaises et dans le bien-être, ne sont plus sujets à la corruption naturelle. Des fleurs tombent en pluie, des millions d’instruments de musique résonnent ; Dieux et Asouras (le) louent. Tous, après avoir tourné trois fois en présentant la droite, vont à la ville excellente, remplis de joie.

84. La divinité principale de la ville excellente, l’esprit abattu, s’étant approchée au moment où le grand homme s’avance, et se tenant devant lui, l’esprit abattu par le chagrin, parle ainsi à celui qui a le visage pareil au lotus :

85. Elle est remplie de ténèbres, cette terre ainsi que cette ville ; nue, elle ne brille plus, privée de toi ! Il n’y a plus ici, pour moi, ni joie ni plaisir, puisque ce séjour est abandonné par toi !

86. Tu n’entendras plus, dans l’appartement intérieur rempli de troupes d’oiseaux, les chants et les doux accords des flûtes, ces chants et ces paroles de bénédiction qui t’éveillaient, ô toi, dont la splendeur est infinie !

87. Tu ne verras plus les troupes des Souras et des Siddhas te rendant hommage nuit et jour ; tu ne sentiras plus de parfum divin quand tu seras parti, destructeur de la foule des corruptions.

88. Comme la guirlande détachée quand elle est fanée est abandonnée, lu fais de même aujourd’hui pour cette demeure ; cela me semble comme la vue de la danse sur un théâtre ; toi parti, il n’y a plus ni splendeur, ni bonheur.

89. L’éclat et la force, tu les enlèves à la ville entière qui ne brille plus, pareille à un désert. Elle est devenue fausse aujourd’hui la prédiction des Richis qui annonçaient que tu serais un Tchakrabala.

90. Elle n’est plus une force sur cotte terre la force des Çâkyas ; la race est éteinte ici dans la famille du roi, l’espérance est détruite ici chez la foule des Çâkyas, toi parti, grand arbre de vertu.

91. Moi aussi, je ferai route avec toi, puisque tu pars, ô sans tache, ô exempt de toute tache ! Encore une fois, cédant à l’amour et au regret, regarde ce palais qui est le tien !

92. Et regardant encore le palais, le sage, d’une voix douce, prononça ces mots : Je ne rentrerai pas dans la ville de Kapila sans avoir obtenu ce qui met fin à la naissance et à la mort !

93. Quand elle est immobile, couchée, et appesantie par le sommeil, la ville de Kapilavastou, je ne me tournerai pas vers elle ; tant que n’aura pas été obtenue par moi la condition suprême de l’Intelligence, où il n’y a plus ni vieillesse, ni mort !

94. Lorsque sortait ce Bôdhisattva, seigneur du monde ; tandis qu’il s’en allait à travers le ciel, les Apsaras faisaient entendre ses louanges : Celui-ci est digne de grandes offrandes ! Celui-ci est le grand arbre de vertu, le champ de ceux qui aspirent à la vertu, le dispensateur du fruit de l’immortalité !

95. Celui-ci, pendant plusieurs dizaines de millions de kalpas, par l’aumône, l’empire sur lui-même, la douceur, a complètement obtenu l’Intelligence, car il a de la compassion pour les êtres. Il a une conduite parfaitement pure, il est fidèle à ses vœux, il ne se conduit pas d’une manière inégale, il ne s’intéresse ni au désir ni à la jouissance, il garde la bonne conduite !

96. Il a toujours parlé avec patience à ceux qui coupaient son corps et ses membres, n’ayant ni colère ni fureur, dans le but de protéger les êtres. Toujours courageux, et sans abattement p3iulant des dizaines de millions de Kalpas, il a complètement obtenu l’Intelligence et a fait des dizaines dominions de sacrifices.

97. Toujours livré à la contemplation, l’esprit apaisé, bien apaisé, après avoir brûlé toutes les corruptions naturelles, il délivrera des dizaines de millions d’êtres. Il a une sagesse sans passion ; doué de jugement, de jugement sûr, l’esprit bien affranchi, il sera un Djina existant par lui-même.

98. Celui-ci a toujours des pensées de bienveillance, il a atteint la suprême limite de la compassion ; satisfait, méditant sur l’indifférence (le détachement), il connaît la règle de la voie de Brahmâ. Il est le dieu au-dessus des dieux ; digne des hommages des dieux ; son esprit est vertueux, sans tache et complètement purifié ; il a atteint la suprême limite de centaines de mille de qualités.

99. Refuge de ceux que tourmente la crainte, lampe pour ceux qui n’ont pas d’yeux, guide des égarés, médecin de ceux qui depuis longtemps sont malades, roi excellent de la meilleure loi, Indra aux mille yeux, Brahma existant par lui-même ;

100. Il a le corps et l’esprit calmes ; il est ferme ; sa science est abondante ; fort, ayant l’esprit complètement affranchi, héros, destructeur de la corruption naturelle, il a vaincu l’ennemi invincible.

101. Lion qui a mis de côté la crainte, éléphant à l’esprit bien dompté, taureau chef du troupeau, patientât ayant abandonné la colère ; lune qui éclaire, soleil qui resplendit, flambeau qui produit la lumière, délivré complètement des ténèbres.

102. Lotus immaculé, fleur qui a le parfum de la bonne conduite, précepteur inébranlable comme le Mérou, nourricier comme la terre, mine de choses précieuses, inaccessible à l’agitation.

103. Il a vaincu le démon de la corruption naturelle, vaincu le démon des éléments matériels, il a vaincu le démon de la mort, il a exterminé le démon fils des dieux. C’est le conducteur de la grande caravane ; pour ceux qui marchent dans les mauvaises voies, il montrera avant peu, la meilleure des voies composée de huit parties.

104. Destructeur de la vieillesse, de la mort et de la corruption naturelle, délivré de l’obscurité et des ténèbres, il sera, sur la terre et dans le ciel, un Djina renommé, existant par lui-même. Loué par ceux qu’on loue, incommensurable, ô toi qui as la figure d’un homme éminent, parce que nous t’avons loué, soyons comme toi, lion des orateurs !


Ainsi, Religieux, le Bôdhisattva, étant parti, et ayant traversé le pays des Çâkyas, traversé le pays des Kôdyas, traversé le pays des Mallas, il était dans la ville d’Anoumainêya des Màinêyas quand le jour parut. Alors le Bôdhisattva étant descendu de son cheval Kanthaka, debout à terre, il congédia la grande foule des dieux, des Nâgas, des Gandharbas, des Asouras, des Garoudas, des Kinnaras et des Mahôragas. Quand il les eût congédiés, il lui vint à la pensée : Je vais congédier Tch’andaka eu lui remettant entre les mains ces ornements et Kaṇṭhaka.

Et le Bûdhisattva ayant appelé Tch’andaka lui dit : a, Tch’andaka ; prends ces ornements et Kaṇṭhaka, retourne sur tes pas. Et, à l’endroit où Tch’andaka retourna sur ses pas, un Tchàitya fut bâti. Aujourd’hui encore ce Tchàitya est connu sous le nom de Tch’andakanivartana (Retour sur ses pas de Tch’andalca).

Il vint encore à la pensée du Bodhisattva : Comment donc (conserver) une touffe de cheveux, après être devenu religieux errant ? Et, coupant avec son épée, sa touffe de cheveux, il la jeta au vent. Elle fut recueillie par les dieux Tràyastrimçats pour l’honorer ; et, aujourd’hui encore a lieu, chez les dieux Tràyastriinçats, la tête de la touffe de cheveux. Là aussi fut bâti un Tchàitya ; aujourd’hui encore il est connu sous le nom de Tchûdàpratigrahana (touffe de cheveux recueillie).

Il vint encore à la pensée du Bodhisattva : Comment donc, après être devenu religieux errant, (conserver) des vêtements de Kaci (Bénarès) ? Si je pouvais avoir des vêtements rougeâtres convenables pour demeurer dans la forêt, ce serait bien !

Alors il vint à la pensée des dieux Çouddhàvàsakàyikas : Le Bôdhisattva a besoin de vêtements rougeâtres. Et, là, un fils des dieux faisant disparaître sa forme divine, se tint devant le Bodhisattva, revêtu d’un vêtement rougeâtre. Alors le Bodhisattva lui dit : Toi. ami, situ me donnais des vêtements rougeâtres, je te donnerais, moi, des vêtements de Kaci.

Celui-ci dit : Ces habits vous conviennent, ceux-ci à moi.

Le Bodhisattva dit : Je te les demande instamment.

Alors le fils d’un dieu, sous la forme d’un chasseur, donna au Bodhisattva les vêtements rougeâtres et prit ceux de Kaci. Puis, ce fils d’un dieu rempli de respect, ayant, avec ses deux mains, mis ces vêtements sur sa tête, se rendit dans le monde des dieux, afin de les faire honorer. Cela fut vu par Tch’andaka. Là aussi, un Tchàitya fut bâti, et, aujourd’hui encore, ce Tchàitya est connu sous le nom de Kâchâyagrahana (Prise des vêtements rougeâtres).

Lorsque les vêtements rougeâtres eurent été mis par le Bodhisattva, après qu’il eût coupé la touffe de cheveux, au même instant, cent mille fils des dieux satisfaits, contents, joyeux, transportés, rais. remplis d’allégresse firent entendre des paroles et des cris exprimant leur enthousiasme. « Oui, amis, le jeune Siddhârtha est religieux errant ! Après s’être revêtu de l’Intelligence parfaite et accomplie, il fera tourner la roue de la loi ; il délivrera complètement fie la naissance des êtres innombrables subissant la loi de la naissance ; après les avoir complètement délivrés de tout ce qui est vieillesse, maladie, mort, chagrin, lamentation, douleur, abattement et inquiétude ; après les avoir fait passer au delà de l’océan de la transmigration, il les établira dans la région sans supérieure de la loi, heureuse, sans crainte et sans chagrin, exempte de trouble, calme, sans passion et sans mort. »

Et ce discours, passant de l’un à l’autre, parvint jusqu’à la demeure des Akanichtas.

Cependant les femmes de l’appartement intérieur ne voyant pas le jeune prince cherchaient dans les palais d’hiver, de printemps et d’été, dans ses lits de repos, dans ses appartements, et, malgré leurs recherches, comme elles ne le voyaient pas, elles se mirent à crier toutes à la fois, comme des orfraies.

Quelques-unes de ces femmes tourmentées par l’excès du chagrin, criaient : Ah ! mon fils ! Quelques-unes : Ali ! mon frère ! Quelques-unes : Ah ! mon époux ! Quelques-unes criaient : Ah ! mon protecteur ! Quelques-unes : Ah ! mon seigneur ! Quelques-unes, eu prononçant toutes sortes de paroles de tendresse ; quelques-unes, en tourmentant leur corps, pleuraient. Quelques-unes, la tête baissée ; quelques-unes, en se regardant l’une l’autre pleuraient. Quelques-unes, avec les yeux égarés ; quelques-unes, en se couvrant le visage avec leurs vêtements, pleuraient. Quelques-unes, se frappant les cuisses avec les mains ; quelques-unes, heurtant leur poitrine avec leurs mains ; quelques-unes, meurtrissant leur bras avec leurs mains ; quelques-unes, leur tête ; quelques-unes, couvrant leur tête de poussière, pleuraient. Quelques-unes, ayant les cheveux épars ; quelques-unes, arrachant leurs cheveux ; quelques-unes, levant les bras, jetaient de grands cris. Quelques-unes, comme des gazelles percées par des flèches empoisonnées, pleuraient, courant précipitamment. Quelques-unes, comme des (plantes) Kadalis agitées par le vent, pleuraient, vivement agitées. Quelques-unes, renversées sur le sol de la terre, n’avaient plus qu’un souffle. Quelques-unes, comme des poissons retirés de l’eau, se roulaient à terre et pleuraient. Quelques-unes, comme des arbres dont la racine a été coupée, après être tombées violemment à terre, pleuraient.

Et le roi ayant entendu ce bruit, dit aux Çâkyas : Pourquoi ce grand bruit se fait— il entendre dans l’appartement des femmes ? Les Çâkyas s’étant informés dirent : Grand roi. on ne voit pas le jeune prince dans l’appartement des femmes.

Le roi dit : Vite fermez les portes de la ville. Cherchons le jeune prince dans l’intérieur !

Ils cherchèrent à la l’ois au dedans et au dehors ; mais, en cherchant ainsi, ils ne le virent pas.

Et Mahà Pradjâpati Gàutami, poussant des gémissements et se roulant à terre, dit au roi Çouddhodana : Vite, grand roi, faites que je sois réunie à mon fils ;  !

Alors le roi expédia aux quatre points de l’espace des messagers à cheval : Allez ! Tant que vous n’aurez pas retrouvé le jeune prince, ne revenez pas.

Et comme il avait (Hé prédit par les devins et ceux qui connaissent les signes : « Le Bôdlhsattva s’en ira par la porte de bénédiction, » les messagers, en s’en allant par cette porte, virent, au milieu de la route, la pluie des fleurs qui était tombée, et il leur vint à la pensée : C’est par cette route que le jeune homme est parti.

Après s’être un peu avancés, ils aperçurent le fils d’un dieu qui s’en allait après avoir mis sur sa tête les vêtements de Kaçi du Bodhisattva, et il leur vint à la pensée : Ce sont bien là les vêtements de Kaçi du jeune prince ; ne serait-ce pas à cause des vêtements que le prince a été privé de la vie ? Saisissez celui-ci ! Puis, ils virent derrière lui Tch’andaka qui avait pris Kantaka et les ornements et s’approchait. Alors ils se dirent l’un à l’autre : Ne faisons rien à la hâte ; voici Tch’andaka qui s’approche amenant Kantaka ; nous allons donc l’interroger.

Ils interrogèrent Tch’andaka : N’est-ce pas à cause des vêtements de Kaçi que le jeune prince a été privé de la vie ?

Tch’andaka dit : Il n’en est rien. C’est, au contraire, celui-ci qui a donné au jeune prince de » vêtements rougeâtres, et le prince lui a donné les vêtements de Kaçi.

Cependant ce fils d’un dieu ayant, avec ses deux mains, mis ces vêtements sur sa tête, s’en alla dans le monde des dieux, dans le but de les honorer.

Les messagers interrogèrent encore Tch’andaka : Qu’en penses-tu, Tch’andaka ; si nous allons jusqu’au prince, sera-t-il possible de le faire revenir ?

Celui-ci dit : Non, certainement. Il est impossible de ramener le jeune prince ferme dans son courage et son héroïsme. Voilà ce qu’il a dit : Je ne rentrerai pas dans la grande ville de Kapilavastou, avant d’avoir acquis l’Intelligence suprême parfaite et accomplie ! Et, comme le prince l’a dit, cela sera. Pourquoi ? C’est qu’il est impossible de ramener le jeune prince qui est ferme dans son courage et son héroïsme.

Alors Tch’andaka, amenant Kaṇṭaka et les ornements, entra dans l’habitation des femmes.

Puis, le jeune Çâkya Bhadrika, Mahâmâma et Anirouddha soulevèrent longtemps ces ornements ; mais ces ornements forts comme Nârâyaṇa et Ardha-Nârâyaṇa, furent impossibles à porter.

Et, comme personne n’avait pu les porter, Mahâ-Pradjâti Gâutami pensa : Tant que je verrai ces ornements, le chagrin sera dans mon cœur. Si je les jetais dans un étang ? Et alors Mahâ-Pradjâpatî Gâutami jeta ces ornements dans un étang, et, aujourd’hui encore, cet étang est connu sous le nom d’Abharaṇapouchkari (étang des ornements).

Et là il est dit :

105. Quand le sage et courageux Bôdhisattva partait, la ville de Kapila tout entière était éveillée ; tous pensaient : Le jeune prince est livré au repos ; et, heureux, ils se parlaient les uns aux autres.

106. Gôpâ, éveillée ainsi que tout l’appartement des femmes, regarde le lit, et ne voyant pas le Bôdhisattva dans l’appartement du prince des hommes, jette un cri : Ah ! nous sommes trahies ! où est allé le Bôdhisattva ?

107. Le roi, ayant entendu ce bruit, se laisse tomber à terre en jetant un cri : Ah ! mon fils unique !

Aspergé avec des aiguières, il revient à lui par les soins de centaines de Çâkyas.

108. Gôpâ, tombée de sa couche à terre, arrache ses cheveux et disperse ses ornements. « Hélas ! cela m’avait été bien dit autrefois par le guide (des hommes) ! Mais elle a été prompte, la séparation d’avec tout ce qui m’est cher !

109. « Beau, le plus beau (de tous), aux membres sans défaut et bien proportionnés ; brillant, parfaitement pur, cher aux créatures, gagnant les cœurs, fortuné, heureux, digne d’être honoré au ciel et sur la terre, où es tu allé, après t’être dérobé à ma couche ?


110. Je ne boirai plus de breuvage agréable, je ne mangerai plus de mets savoureux, je dormirai sur la terre, je porterai pour couronne les cheveux nattés des ascètes, abandonnant l’usage du bain, je pratiquerai les coutumes des pénitents, tant que je ne verrai pas le Bôdhisattva rempli de qualités !

111. Tous les jardins sont sans fleurs et sans fruits ; les guirlandes pures, sombres et fanées, semblent couvertes de poussière ; ce séjour ne brille plus, pareil à un désert, depuis qu’il a été abandonné par le meilleur et le plus grand des hommes.

112. Ô mélodieux accords des instruments et des voix les plus douces ! appartement des femmes rempli d’une profusion d’ornements, jour voilé par des treillis d’or, je ne vous regarderai plus, privée de celui qui est rempli de qualités !

113. La sœur de la mère (du Bôdhisattva), prise du plus violent chagrin, console Gopâ en disant ;  : Ne pleure pas, fille des Çâkyas ! Autrefois il avait été dit par le plus grand des hommes : Je ferai en sorte, dans le monde, qu’on soit délivré de la vieillesse et de la mort !

114. Et le grand Rĭchi, qui a pratiqué mille vertus, était parvenu à la distance de six Yodjanas, au milieu de la nuit. Il avait donné à Tch’andaka le meilleur des chevaux et les ornements (en disant) : Prends-les et retourne à la ville de Kapila.

115. À mon père et à ma mère redis ces paroles de moi : « Le jeune prince est parti, ne vous affligez pas davantage. Quand il aura atteint l’Intelligence suprême, je reviendrai (a-t-il dit) ; et, après avoir entendu la Loi, vos esprits seront apaisés. »

116. Tch’andaka a dit encore, en pleurant, au guide (des créatures) : Je n’ai ni pouvoir, ni force, ni courage. S’ils me frappent, les parents rassemblés du meilleur des hommes (en disant) : Tch’andaka, où a-t-il été conduit, le Bôdhisattva, rempli de qualités ?

117. Ne crains rien, Tch’andaka, a répondu le Bôdhisattva. Devenus joyeux aussi, mes parents rassemblés verront toujours en toi un précepteur ; ils se conduiront avec toi avec la même bienveillance qu’avec moi.

118. Tch’andaka ayant pris le meilleur des chevaux et les ornements, arrivé au jardin du meilleur et du plus grand des hommes : Le garde du jardin, pris d’un élan de joie, dit aux Çâkyas l’heureuse nouvelle :

119. « Le jeune prince, avec le meilleur des chevaux et Tch’andaka est arrivé au jardin ; il ne faut plus le pleurer. » Le roi l’ayant appris, entouré des Çakyas, est venu pris d’un élan de joie.

120. Gôpâ qui connaissait l’esprit ferme du Bôdhisattva ne se réjouit pas et n’ajouta pas foi à ce discours. Il est impossible qu’étant parti, le jeune prince, sans avoir l’Intelligence, soit revenu ici.

121. Le roi ayant vu le cheval excellent et Tch’andaka, poussa un grand cri et tomba étendu à terre, « Ah ! mon fils, si habile à chanter et à jouer des instruments ! Où es-tu allé après avoir abandonné toute royauté ? »

122. Tch’andaka parle-moi franchement ici : Quel est le dessein du Bôdhisattva et où est-il allé ? Par qui a t-il été conduit ? Par qui ont été ouvertes les portes ? Comment a-t-il été honoré par les dieux ?

123. Tch’andaka dit : Écoutez-moi, seigneur des rois. À minuit, dans la ville où jeunes et vieux donnaient profondément, le Bodhisattva à la voix douce m’a dit : Tch’andaka, donne-moi promptement le roi des chevaux.

124. Et moi, je cherche à éveiller les troupes d’hommes et la foule des femmes. Mais dormant d’un sommeil profond, ils n’entendent pas ma voix. Je donne en pleurant le roi des chevaux (en disant) : Allez donc où il vous plaira !

125. Les portes, munies de machines, sont ouvertes par Çakra ; les quatre gardiens du monde soutiennent chacun un pied du cheval. Le héros étant monté, la voûte qui compose les trois mille (mondes) fut ébranlée. Dans le ciel immense, il s’avançait.

126. Une grande lumière jaillissait, détruisant l’obscurité et les ténèbres. Des fleurs tombaient, des centaines d’instruments mélodieux résonnaient ; les dieux le louaient ainsi que les Apsaras. Il s’avançait à travers le ciel, entouré par les troupes des dieux.

127. (Cependant) Tch’andaka ayant pris le meilleur des chevaux et les ornements, était arrivé, en pleurant, à l’appartement des femmes. Gôpâ, en voyant Tch’andaka et le meilleur des chevaux, s’évanouit et tomba étendue à terre.

128. La troupe tout entière des femmes s’empresse, et, prenant de l’eau, en baigne la fille des Çâkyas en disant : en vérité, elle va mourir ; accablée par le chagrin, si la séparation de deux êtres qui s’aiment a lieu.

129. Ayant fait un effort, la fille désolée des Çâkyas, se suspend au cou du roi des chevaux, et se rappelant les jeux amoureux d’autrefois, exprime son chagrin de diverses manières :

130. Ô toi qui faisais ma joie ! Ô mon (époux), le premier des hommes, au visage pareil à la lune sans tache ! Ô mon (époux) beau entre les plus beaux, doué de signes excellents, revêtu d’un éclat sans tache !

131. Ô mon (époux) aux membres sans défauts, bien né, qui t’es élevé régulièrement, qui es sans égal ! ô mon (époux) doué des plus éminentes qualités, honoré par les dieux et les hommes, souverainement compatissant !

132. Ô mon (époux) doué de force, possédant la vigueur de Nârâyaṇa, vainqueur des troupes d’ennemis ! ô mon (époux) à la voix très douce qui résonne comme le chant du Kalabiñgka, qui as la voix douce de Brahmâ !

133. Ô mon (époux) à la gloire infinie, qui t’es élevé par cent œuvres méritoires ! possesseur de vertus sans taches ! mon (époux), aux grâces infinies, bien orné d’une foule de qualités, qui fais la joie des troupes de Rĭchis !

134. Ô mon (époux) né, bien né dans le jardin de Loumbini où résonne le bourdonnement des abeilles ; mon (époux) au nom glorieux, honoré au ciel et sur la terre ! Arbre de science et de vertus sans tache !

135. Ô mon (époux) des saveurs la plus douce ! aux lèvres rouges comme le (fruit du) Bimba, aux yeux (longs comme les pétales) de lotus, (à la peau) couleur d’or ! mon (époux), aux dents pures, bien rangées, et pareilles (pour la blancheur) au lait de génisse et à la gelée matinale !

136. Ô mon (époux) au beau nez, aux beaux sourcils au milieu desquels est le signe Oûrnâ sans tache ! ô mon (époux) à l’épaule bien arrondie, au ventre en arc, aux jambes de gazelle, à la taille arrondie !

137. mon époux), aux cuisses pareilles à la trompe de l’éléphant ! Aux mains et aux pieds très purs ! Aux beaux ongles rouges comme le cuivre !

138. Ô toi (qui valais) pour moi les concerts de voix et d’instruments ! Parfumé par les fleurs les plus choisies ! Toi des belles saisons la plus belle ! ô (toi i[ui avais) pour moi le parfum des fleurs et faisais la joie de l’appartement des femmes !

139. Ah ! Kanthaka coursier) de noble race, compagnon de mon époux, où l’as-lu conduit ? Ah ! Tch’andaka sans pitié, tu n’as pas appelé au moment où partait le meilleur des hommes !

140. Il s’en va d’ici celui qui vient en aide ! Pourquoi, en cette circonstance, n’as-tu pas dit une seule parole ? Il s’éloigne aujourd’hui de la ville excellente, le guide compatissant des hommes !

141. Comment est-il parti, celui qui vient en aide ? Par où est-il sorti d’ici, du palais royal ? Quelle que soit la contrée où il est allé, une déesse des bois et des bocages sera sa compagne fortunée !

142. À moi cruellement affligée, Tch’andaka, on avait montré un trésor ; ravisseur de mes yeux, rends-moi la vue ! Un père et une mère, Tch’andaka, doivent être toujours loués et honorés par tous (les enfants) ;

143. S’il est parti, en les abandonnant, à plus forte raison (abandonne t-il) le plaisir d’être avec une femme ! Ah ! maudite soit la séparation d’avec ceux qu’on aime ; c’est comme le spectacle de la danse dont le caractère est l’instabilité !

144. Pris par leurs pensées, les ignorants, par l’effet de leurs vues mauvaises, sont soumis à la naissance et à la transmigration. Autrefois ceci a été dit par lui : Pour qui est un composé soumis à la vieillesse et à la mort, il n’y a pas d’amis !

145. Qu’elle se remplisse, son espérance ! qu’il touche la meilleure des Intelligences ! Puis, devenu Bouddha auprès du meilleur des arbres, possédant l’Intelligence sans passion, qu’il revienne ici dans la meilleure des villes !

146. Tch’andaka, le cœur profondément affligé, ayant entendu ces paroles de Gôpâ, répond avec des larmes dans la voix :

147. Gôpâ, écoutez-bien mes paroles : À l’heure de minuit, en secret, toute la troupe des femmes étant profondément endormie, celui qui s’est élevé par des centaines de mérites m’a dit alors :

148. Donne-moi Kantaka ! Après avoir entendu ces mots je vous regardai endormie sur votre couche et je criai bien haut :

149. « Levez-vous, Gôpâ ! voici votre bien- aimé qui s’en va ! » Un dieu étouffa ce cri et pas une femme ne s’éveilla. J’amenai, en pleurant,

150. Le roi des chevaux paré de tous ses ornements, Kantaka s’avance avec une splendeur terrible ; le bruit (de ses pas) retentit jusqu’à un Krôça, et cependant, personne n’entend dans la ville excellente

151. Plongée dans le sommeil par les divinités. Couverte d’or, d’argent et de pierres précieuses, la terre, fortement frappée par les pieds de Kantaka rend un son doux, effrayant et solennel,

152. Mais aucun homme n’entend. En ce moment on était dans l’astérisme Pouchya ; la lune et les étoiles brillent au firmament : dans le ciel, des dizaines de millions de dieux, les mains jointes.

153. Et baissant la tête, saluaient respectueusement, accompagnés de troupes de Yakchas et de Râkehas. Les quatre gardiens du monde, grands magiciens, soutenaient les pieds de Kantaka avec leur mains pures et sans tache comme les filaments du lotus.

154. Celui qui s’est élevé par l’éclat des vertus monta sur (le cheval) pareil (à la fleur) du lotus rouge et du Varchika. La terre est fortement ébranlée de six manières, les champs de Bouddha sont éclairés d’une lumière pure.

155. Çakra, le maître des dieux, l’époux de Çatchi lui-même, ouvre les portes en ce moment. Précédé de centaines de millions de dieux, il (le Bôdhisattva) s’avance, adoré par les immortels et les Nâgas.

156. Dès qu’il est connu que Kanthaka s’en va portant le guide du monde à travers le ciel, les troupes des dieux et des Dânavas avec les compagnons d’Indra qui portent rie cheval) de Sougata qui s’avance,

157. Les Apsaras dans les paroles d’un chant de bénédiction, célèbrent les qualités du Bôdhisattva ; elles donnent de la force à Kanthaka, et font entendre leur voix douce qui ravit le cœur :

158. Kanthaka ! emporte le guide du monde, vite, vite ! N’aie pas d’inquiétude ; il n’y a pour toi rien à craindre, ni obstacle ni danger, puisque tu portes le guide du monde.

159. Chacun des dieux, à part soi, se réjouit : « C’est moi qui porte le guide du monde ! » Et, de tous côtés, il n’y a pas un espace (de terre) qui ne soit foulé par les pieds des millions de dieux.

160. Vois, Kanthaka, au milieu du ciel, cette route qui s’étend, diversement décorée : embellie par divers reposoirs précieux, embaumée par la fumée des parfums des plus suaves essences divines.

161. Kanthaka, pour cette belle action, dans la demeure bien construite des dieux Trâvastriiîieats, entouré et précédé d’Apsaras, tu jouiras des plaisirs divins.

162. Bonne fiôpà ! ne pleurez donc plus. Soyez contente et remplie de la plus grande joie. Vous verrez bientôt le meilleur des hommes ayant obtenu l’Intelligence, précédé des dieux.

163. Les hommes qui ont fait de bonnes œuvres, Gôpâ, ne sont pas de ceux qu’il faut pleurer. Puisqu’il s’est élevé par l’éclat de cent mérites, il faut se réjouir à cause de lui, il ne doit pas être pleuré !

164. Gôpâ, la pompe déployée quand le prince honoré des hommes et des dieux est sorti, cette pompe, quand même on parlerait pendant sept jours, on ne pourrait la décrire !

165. Pour vous, le plus grand profit, incompréhensible pour la pensée, c’est que celui qui apporte au monde le secours a été servi par vous. Tel qu’est le meilleur des hommes, vous-même aussi vous serez telle !


Chapitre appelé : Sortie de la famille, le quinzième.