Le Lalita-Vistara, ou Développement des jeux/Chapitre XVI

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Traduction par Philippe-Édouard Foucaux.
Texte établi par Musée Guimet, Paris (Annales du Musée Guimet, tome 6p. 205-209).

CHAPITRE XVI

C’est ainsi, Religieux, que, par la bénédiction du Bôdhisattva, Tch’andaka fit ce récit qui apaisait le chagrin du roi Çouddhôdana, celui de Gôpà, la fille des Çâkyas, celui de toutes les femmes du g-ynécée et de toute la foule des Çàkvas. Ainsi donc, Religieux, le Bodhisattva ayant donné au fils d"un dieu qui avait la figure d’un chasseur les vêtements de Kaci, et lui ayant pris les vêtements rougeâtres, se fit ainsi lui-même religieux errant, par sympathie pour le monde, par commisération pour les créatures, et en vue de la maturité complète des êtres.

Le Bodhisattva se rendit ensuite à l’endroit où était l’ermitage d’une Bràhmanî de la famille de Gâkya, qui l’invita à rester d à prendre de la nourriture.

Le Bodhisattva alla ensuite à l’ermitage de la Brâhmani Padmâ ; par elle aussi, il fut invité à rester et à prendre de la nourriture.

Il alla ensuite à l’ermitage du Brahmarchi Raivata, qui l’invita de la même manière.

De même aussi Ràdjaka, fils de Dâtrimadnndika, invita le Bodhisattva. Ainsi, Religieux, le Bodhisattva arriva successivement à la grande ville de Vâiçâli.

Eu ce temps-là aussi Aràtn Kàlàina, avec une grande réunion de Çrâvakas et trois cents disciples, avait établi sa demeure dans la ville de Vâiçâlî, et enseignait à ses disciples la loi qui conduit à la pauvreté accompagnée de la restriction des sens. Quand il vit de loin le Bodhisattva qui s’avançait, il fut rempli d’étonnement, et dit à ses disciples : Voyez donc, voyez donc la beauté de celui-ci !

Ceux-ci dirent : Nous la voyons bien ; c’est vraiment une grande merveille.

Alors, Religieux m’étant approché de l’endroit où était Aràta Kâlàma, je lui parlai ainsi : Ârâta Kâlâma, il faut que j’exerce l’état de Brahmatchari.

Il répondit : Exerce-le donc, ô Gâutama, dans l’enseignement de la loi ainsi formulé et dans lequel un fils de famille qui a la foi acquiert, avec peu de peine, la science complète.

Puis, Religieux, il me vint à la pensée : J’ai en moi l’intention, j’ai le courage, j’ai le souvenir, j’ai la méditation profonde, j’ai la sagesse. Je demeurerai donc seul, calme et diligent dans la solitude pour obtenir cette loi et la rendre évidente.

Et, en conséquence, Religieux, seul, calme et diligent, demeurant dans la solitude, avec peu de peine, j’obtins et rendis évidente cette loi.

Ensuite, Religieux, je me rendis à l’endroit où était Arata Kâlâma, et lui dis : Ainsi donc, ô Arâta, toute cette doctrine a été comprise et rendue évidente par toi. Il me répondit : Cela est ainsi, Gàutama. Je lui dis : Moi aussi, je l’ai rendue évidente cette loi, après l’avoir comprise. Il répondit : Ô Gautama, de même que je connais cette Loi, toi aussi tu la connais ; et tout ce que tu en sais, je le sais aussi ; de sorte que tous les deux nous la connnuniquons à cette foule de disciples.

Ainsi, Religieux, Ârâta Kâlâma m’honoia du plus grand honneur, et m’établit au milieu de ses disciples afin de poursuivre le même but.

Puis cela me vint à la pensée : Cette doctrine d’Arâta n’est pas libératrice, ne délivre pas complètement. Il faut donc que je m’occupe, pour l’épuisement complet de la douleur, d’en rechercher une autre supérieure à celle-ci.

Ensuite, Religieux, après avoir demeuré à Vâiçâlî aussi longtemps qu’il me plut, je m’avançai dans le pays de Magadha. En faisant des excursions dans ce pays, m’étant approché delà ville d’Ràdjagriha, j’arrivai du côté où est le Pândava, le roi des monts. Je demeurai là sur le penchant du roi des monts, tout seul, sans compagnon, gardé par plusieurs centaines de millions de dieux.

Alors, un matin, à l’aurore, m’étant habillé et ayant pris le manteau et le vase aux aumônes, j’entrai dans la grande ville de Ràdjagrîha, par la porte des eaux chaudes, pour demander l’aumône. Avec une belle démarche en avançant ou en reculant, en regardant à droite et à gauche, en me ramassant sur moi-même, et en m’étendant, avec une belle démarche, en portant le manteau léger, le manteau vêtement de religieux et le vase aux aumônes ; avec des sens non agités, un esprit qui ne va pas au dehors, comme il convient à un homme transformé, comme celui qui porte un vase d’huile, et ne regardant pas au delà de la longueur d’un joug.

Les habitants de Ràdjagrîha m’ayant vu, furent remplis d’étonnement. Quel est donc celui-ci ? Serait-ce Brahmâ ? Çakra, le maître des dieux ? ou bien Vâiçravana, ou bien quelque divinité de la montagne ? Telle était leur pensée.

Ici il est dit ;


1. Possédant un éclat infini et sans tache, le Bôdhisattva lui-même se fait ici religieux errant. L’esprit apaisé, la conduite bien réglée, il demeure sur le flanc de Pândava, le roi des monts.

2. Le Bôdhisattva voyant que la nuit était passée, ayant revêtu le vêtement le plus beau à voir, après avoir pris le vase aux aumônes, avec un esprit humble il entra à Ràdjagrîha pour l’aumône.

3. Lui qui est comme l’or natif formé d’éléments purs, armé des trente-deux signes, les troupes d’hommes et de femmes le regardent, et il n’y en a pas qui se rassasie de le voir.

4. Après avoir purifié la rue ornée de vêtements précieux et de grains, la foule va derrière lui. Quel est cet être, tel qu’on n’en avait jamais vu auparavant, par la splendeur duquel la ville resplendit tout entière !

5. Des milliers de femmes montées sur les maisons ou remplissant les portes, les fenêtres et la rue, après avoir laissé leurs maisons vides, regardent le plus éminent des hommes, sans désirer autre chose.

6. On ne fait plus ni achat ni vente, ou ne boit plus de liqueur enivrante, et l’on ne se réjouit plus dans les maisons ni dans la rue, occupé que l’on est à regarder le plus éminent des hommes.

7. Un homme étant allé à la hâte au palais, joyeux, dit au roi : Sire, le plus grand des avantages a été obtenu par vous. Brahmâ lui-même, ici, dans la ville s’en va demander l’aumône.

8. Quelques-uns ont dit : C’est Çakra le roi des dieux ; d’autres disent : C’est Souyama le fils d’un dieu, ou bien c’est un dieu Santouchita déguisé. D’autres disent : C’est un dieu d’entre les Sounirmitas.

9. Quelques-uns encore disent : C’est Tchandra ou Soûrya, ou bien c’est Kàhou, Bâli ou Vomatchilri. Quelques-uns enfin disent ces paroles : C’est celui qui demeure sur le Pândava, le roi des monts.

10. Le roi, rempli de la plus grande joie, après avoir entendu ce discours, se tenant à un œil-de-bœuf, regarde l’être par excellence, le Bôdhisattva brillant par sa splendeur comme l’or le plus pur.

11. Le roi Vimbasàra, après lui avoir donné une aumône, dit à l’homme (qui l’avait averti) : Regarde bien où il va. Celui-ci après avoir regardé, eu se dirigeant vers le meilleur des monts, dit : Sire, il est allé sur le penchant du mont.

12. Le roi Vimbasàra ayant vu que la nuit était passée, s’en alla, entouré d’une grande foule, au pied du Pàndava, le roi des monts, et vit ce mont resplendissant de lumière.

13. Après être descendu de son char, il marche à pied, et, rempli du plus profond respect, il considère le Bôdhisattva. Inébranlable comme le mont Mêrou, après avoir étendu des touffes de gazon, il s’est assis, le Seigneur des hommes.

14. Le roi, après avoir salué ses pieds avec la tête et l’avoir entretenu de divers sujets, lui dit : Je te donne la moitié de mon royaume, jouis ici des qualités du désir, ne t’en va pas errer !

15. Le Bôdhisattva répond d’une voix douce : Seigneur de la terre, puisses-tu vivre longtemps ! Moi-même, après avoir abandonné un royaume désirable, j’ai, indifférent, embrassé la vie religieuse, en vue du calme.

16. — En possession de la fleur de la jeunesse brillant par la belle couleur de ton corps, tu es plein d’ardeur ; accepte une richesse abondante et une réunion de femmes ; reste ici dans mon royaume ; jouis des objets du désir !

17. Je ressens la joie la plus vive de t’avoir vu, dit encore le roi de Magadha au Bôdhisattva. Sois donc mon compagnon ; Je te donnerai tout un royaume florissant ; jouis des objets du désir.

18. Ne demeure plus dans la forêt déserte, ne reste plus sur la terre recouverte de gazons. Quand ton corps est dans la plus belle fleur de la jeunesse, demeure ici dans mon royaume, jouis des objets du désir.

19. Le Bôdhisattva, compatissant et secourable, lui répond d’une voix douce par ces paroles bienveillantes et sans détour : Que la bénédiction, ô protecteur de la terre, soit toujours avec toi ! Quant à moi, je ne suis plus sollicité par les qualités du désir.

20. Les désirs sont pareils au poison, amenant des péchés sans tin. Les êtres précipités dans l’enfer, les Prêtas et ceux qui sont à l’état de bête, sont méprisés par les sages, car les désirs sont indignes d’estime, ils ont été abandonnés par moi comme un grumeau de flegme desséché.

21. Les désirs tombent comme les fruits des arbres ; ils courent comme les nuages pluvieux dans le ciel ; changeants et inconstants comme le vent, ils sont trompeurs et destructeurs de tout ce qui est bon.

22. Ceux qui n’ont pas obtenu l’objet de leurs désirs, so.it brûlés et de même ceux qui l’ont obtenu ne trouvent pas le contentement. Quand ils naissent sans qu’on en soit maître, les désirs violents produisent alors une grande douleur.

23. Les désirs, ô protecteur de la terre, qu’ils soient divins ou humains, même louables, quand même un seul homme les satisferait tous, il n’en obtiendrait pas plus pour cela une satisfaction complète.

24. Mais ceux, ô protecteur de la terre, qui sont calmes et retenus, qui ont la pensée remplie de la loi vénérable et sans défaut, qui sont satisfaits (parce qu’ils sont) instruits par la sagesse, ceux-là sont rassasiés, et il n’y a plus pour eux aucune satisfaction dans les qualités du désir.

25. Pour ceux, ô protecteur de la terre, qui caressent leur désir, il n’y a pas de fin pour ce qui est composé antérieurement. Car, comme un homme qui a bu de l’eau salée augmente sa soif, il en est de même pour qui caresse ses désirs.

26. Et aussi, ô protecteur de la terre, regarde ce corps, instable, sans essence et machine de douleur, dégouttant toujours par neuf portes impures. Il n’y a plus en moi, ô maître des hommes, aucun élan de désir.

27. Moi aussi, après avoir abandonné bien des objets désirables, ainsi que des milliers de femmes agréables à voir, dégoûté des choses de ce monde, je me suis éloigné, dans le désir d’obtenir l’Intelligence suprême, la plus grande des félicités !

28. Le roi dit : Quel est le pays d’où tu es venu, ô religieux mendiant ? Où es-tu né ? Où est ton père ? Où est ta mère ? Es-tu Kchatriya ou Brahmane ou roi ? Parle, ô religieux, pour qui la sagesse n’est pas un fardeau.

29. Le Bôdhisattva dit : Tu as entendu parler ô protecteur de la terre, de la ville de Kapila des Çâkyas, riche et florissante entre toutes ; le nom de mon père est Çouddhodana. C’est là que je me suis fait religieux errant, dans le désir (d’acquérir) des qualités.

30. Le roi dit : Bonheur à toi ! t’avoir vu est une heureuse vue. Quelle que soit ta naissance, nous sommes disciples de ton père. Sois donc bienveillant pour moi. C’est de bon cœur qu’il est invité celui qui est délivré de l’entraînement de la passion.

31. Quand par toi sera obtenue l’Intelligence, qu’il y ait pour moi une part (de la loi) ô maître de la loi. C’est déjà pour moi le plus grand des profits que tu demeures ici dans mon royaume, être existant par toi-même !

32. Et ayant de nouveau salué les pieds (du Bôdhisattva) et tourné trois fois autour de lui en présentant le côté droit, le roi entouré de ses gens rentra à Ràdjagrïha.

33. Le protecteur du monde, après être entré dans la ville de Magadha, après y avoir demeuré autant qu’il lui plut, lui qui a un esprit apaisé ; après avoir fait les affaires des dieux et des hommes, s’en alla sur le bord de la Nâirajñanâ.


Chapitre appelé : Visite de Bimbasâra, le seizième.