Le Livre d’un inconnu/17

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XVII


Quand je te vois donnant à tous en dépensière
Ces sourires, hélas ! qui me semblaient mon bien ;
Quand, prés d’un étranger épiant ton maintien,
Je te trouve si libre et si tôt familière ;
Quand je t’entends redire à d’autres en riant
Ces mille riens qu’amant jadis trop confiant
Je prenais pour l’aveu secret de ta tendresse,
Ces doux propos que loin de toi, dans son ivresse,
Se répétait mon cœur cent et cent fois encor,
Comme un avare en paix comptant son cher trésor ;

Ô Dieu ! quand je te vois ainsi, le doute horrible
Renaît, et je me dis que ce n’est pas possible,
Que mon amour a dû se faire illusion,
Que ce rêve, que cette adorable union
D’un enjouement naïf et d’un cœur si sincère,
N’est qu’une décevante et trompeuse chimère ;
Que le souffle banal de ce monde où tu vis,
Sa morale odieuse et ses honteux avis,
N’ont pu sans la ternir effleurer ta pensée ;
Et que dans ce baiser où ma vie est passée,
Dans ce premier baiser, dans ce baiser trompeur,
Tes lèvres se donnaient peut-être sans ton cœur,
Et les soupçons hideux me reviennent en foule.
Alors je sens qu’en moi quelque chose s’écroule :
Croyance, espoir, tout sombre en ce cruel moment,
Et, dans l’affreux chaos de cet effondrement,
La Volupté, sirène étrange aux yeux d’opale,
Surgit, comme au sabbat maudit la lune pâle,
Et j’entends s’éveiller à son appel malsain
Tous les mauvais désirs qui hurlent dans mon sein.
Oh ! oui, je t’aime alors, mais d’un amour infâme :
Je voudrais posséder ce corps, ce corps de femme ;
Je voudrais le couvrir de mes baisers lascifs,
Et le sentir frémir aux plaisirs convulsifs

De la chair qui consent lorsque l’âme, éperdue,
Recule : oh ! te tenir, presser ta gorge nue,
Voir ta bouche béante et pâmée et tes yeux
Noyés dans cette extase, âcre et délicieux
Poison qui, comme un flot impur, aux lèvres monte.
Puis, ayant étouffé mon amour dans la honte,
Me réveiller, les sens éteints, le cœur usé :
Tel le prêtre idolâtre, enfin désabusé,
De son culte stupide et vain ne se console
Qu’en traînant dans la fange et souillant son idole.