Le Livre d’un inconnu/18

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XVIII


Je sortis : j’avais froid ; le long des avenues
Les arbres noirs dressaient au ciel leurs branches nues,
Et j’entendais encor résonner dans mon cœur
Le timbre de sa voix argentin et moqueur.
Ô nature d’hiver, nature âpre et farouche,
Vierge dont nul baiser n’a profané la bouche,
Qui dédaignes des fleurs le parfum inconstant,
Comme je t’ai comprise, aimée en cet instant !
Comme les voix du vent qui chantaient dans les cimes
Me murmuraient des mots consolants et sublimes !

Ces voix me disaient : Viens, viens, nous te connaissons ;
Viens, nous t’apaiserons par nos graves leçons.
La fleur n’a qu’un matin, le rire n’a qu’une heure,
Mais quand la fleur pourrit le tronc rugueux demeure.
Laisse-les s’étourdir dans leurs plaisirs d’un jour ;
Le temps marche, et pour eux le deuil aura son tour,
Le temps marche, et, tandis que leurs coupes s’emplissent,
Ils ne prennent pas garde aux lustres qui pâlissent,
Aux fenêtres qu’on voit s’entr’ouvrir lentement,
Au ciel noir qui paraît par l’entrebâillement.
Oh ! l’effrayant réveil pour leur joie éphémère !
Mais toi, poète, toi, pauvre rêveur austère,
Ces visions glaçant d’effroi leurs cœurs tremblants,
Nous t’en aurons appris les secrets consolants,
Et ton œil, rassuré sous ces funèbres voiles,
Découvrira déjà la clarté des étoiles.