Le Livre d’un inconnu/31

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XXXI


Oui, peut-être, peut-être est-ce là le remède
À ce mal inconnu qui m’étouffe et m’obsède,
Peut-être qu’un travail pénible et régulier,
Si je pouvais encore apprendre à m’y plier,
En fatiguant mon corps apaiserait mon âme.
Peut-être, mais, hélas ! ces biens que je réclame,
Ces rêves d’avenir, vains espoirs confondus,
Peut-on les ressaisir quand on les a perdus ?
Espoir menteur, mon cœur trop aisément t’accueille :
Comment rendre à la fleur pâmée, et qui s’effeuille
Aux brûlantes ardeurs d’un torride soleil,
La fraîcheur du bouton que l’aube à son réveil

Entr’ouvrait de ses doigts humides de rosée !
D’autres moissons naîtront de la terre arrosée
Par les pleurs de l’hiver, et d’autres cœurs un jour
Aimeront, languiront, souffriront à leur tour,
Car la souffrance vit, meurt, et se renouvelle
Sans cesse, et comme Dieu lui-même est éternelle.
Mais ils sont pour toujours partis les doux printemps
Que mon cœur saluait, ivre de ses vingt ans,
Et les fleurs qui m’aimaient dans mes jeunes années
Sont à jamais, hélas ! à tout jamais fanées.