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Le Livre des mille nuits et une nuit/Tome 15/Histoire du cinquième capitaine

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HISTOIRE RACONTÉE PAR LE CINQUIÈME
CAPITAINE DE POLICE


Il y avait une fois un sultan. Et ce sultan-là, un jour d’entre les jours, appela son vizir, et lui dit : « Vizir ! » Et celui-ci répondit : « À tes ordres ! Qu’y a-t-il, ô roi ? » Il lui dit : « Je veux que tu me fasses écrire et graver un cachet, dont le pouvoir sera tel, que, si je suis gai, je ne me fâche pas, et que si je suis fâché, je ne me réjouisse pas. Et il faut que celui qui écrira ce cachet prenne l’engagement d’y attacher le pouvoir en question. Et tu as, pour cela, un délai de trois jours ! »

Alors le vizir alla chez ceux qui d’ordinaire font les cachets et les amulettes, et leur dit : « Ecrivez-moi un cachet pour le roi. » Et il leur raconta ce que le roi avait dit et exigé. Mais aucun d’eux ne voulut prendre sur lui de faire un cachet pareil. Alors le vizir se leva et s’en alla, fâché. Et il se dit : « Je ne trouverai pas dans cette ville-ci ce qu’il me faut. Je vais aller dans un autre pays. »

Et il sortit de la ville, et, en marchant dans la campagne, il fit la rencontre d’un cheikh arabe qui battait son blé dans son champ. Et il le salua, disant : « La paix sur toi, ô cheikh des Arabes ! » Et le cheikh des Arabes lui rendit le salam, et lui dit : « Où vas-tu à présent, ya sidi, par cette chaleur-là ? » Il lui répondit : « Je voyage à cause d’une affaire concernant le roi. » Il lui demanda : « Quelle affaire est-ce ? » Il répondit : « Le roi me demande de lui faire écrire un cachet qui soit de telle sorte que, s’il est gai, il ne se fâche pas, et, s’il est fâché, il ne se réjouisse pas. » Et le cheikh des Arabes lui dit : « Rien que ça ? » Le vizir répondit « Oui ! » Il lui dit : « Bien. Assieds-toi. Et moi je vais t’apporter à manger. »

Et le cheikh des Arabes laissa un moment le vizir, et alla chez sa fille, qui s’appelait Yasmine, et lui dit : « Ô ma fille Yasmine, prépare le déjeuner pour un hôte. » Elle lui dit : « Cet hôte-là, d’où vient-il » ? » Il répondit : « De la part du sultan. » Elle lui demanda : « Et que veut-il ? » Et son père lui raconta l’affaire. Et il n’y a point d’utilité à la répéter.

Alors Yasmine, cette dame des Arabes, prépara aussitôt un plat d’œufs, dans lequel se trouvaient trente œufs et beaucoup de beurre doux, et le remit à son père, avec huit galettes de pain, en lui disant : « Donne cela au voyageur, et dis-lui : « Ma fille Yasmine, dame des Arabes, te salue et te dit que c’est elle qui t’écrira le cachet. Et elle te dit en outre : « Le mois a trente jours à peine, la mer d’aujourd’hui est pleine, et huit jours font une semaine ! » Et son père dit : « Bien. » Et il prit le déjeuner, et s’en alla.

Et, comme il marchait, le beurre du plat se répandit sur sa main. Alors il mit le plat à terre, prit un des pains, en essuya le beurre de sa main, et le mangea, ainsi qu’un œuf dont il eut envie. Après quoi il se leva, et alla porter le déjeuner au vizir, et lui dit : « Ma fille Yasmine, dame des Arabes, t’envoie le salam, et te dit que c’est elle qui t’écrira le cachet. Et en outre elle te dit : « Le mois a trente jours à peine, la mer d’aujourd’hui est pleine, et huit jours font une semaine. » Et le vizir dit : « Mangeons d’abord, et nous verrons ensuite. »

Et, lorsqu’il eut fini de manger, il dit au père de Yasmine : « Dis-lui qu’elle m’écrive le cachet, mais que le mois a manqué d’un jour, que la mer a été sèche, et que la semaine n’a eu que sept jours. »

Alors le cheikh des Arabes retourna auprès de sa fille, et lui dit : « Le vizir te dit de lui écrire le cachet, mais que le mois a manqué d’un jour, que la mer a été sèche, et que la semaine n’a eu que sept jours. » Alors la jeune fille lui dit : « N’as-tu pas honte, ô mon père, de ce que tu as fait ? Tu as déposé le déjeuner sur la route, tu as mangé une galette et un œuf, et tu as porté à l’hôte les œufs sans leur beurre ! » Il lui répondit : « Hé ouallahi, c’est vrai ! Mais, ô ma fille, le plat était plein et s’est répandu sur ma main ; alors je me suis assis, et j’ai essuyé le beurre avec une galette que j’ai mangée ; et j’ai alors eu envie d’un œuf, que j’ai avalé. » Elle dit : « Ça ne fait rien. Préparons le cachet. »

Alors elle prépara le cachet, et le composa en ces termes : « Tout sentiment, de peine ou de joie, nous vient d’Allah ! » Et elle envoya le cachet au vizir qui le prit, après les remercîments, et partit le porter au roi.

Et le roi, après avoir pris le cachet et lu ce qui y était écrit, demanda au vizir : « Qui a fait ce cachet-là ? » Il répondit : « Une jeune fille nommée Yasmine, dame des Arabes. » Et le roi se leva sur ses deux pieds, et dit au vizir : « Viens, mène-moi chez le père afin que j’épouse la fille. »

Alors le vizir prit le roi par la main et partit avec lui. Et ils allèrent trouver le cheikh des Arabes, et lui dirent : « Ô cheikh des Arabes, nous venons chercher l’alliance avec toi. » Il leur répondit : « Famille et aisance ! Mais par le moyen de qui ? » Le vizir répondit : « Par le moyen de la dame des Arabes, Yasmine, ta fille, que notre maître le roi, qui est devant tes yeux, veut épouser. » Il dit : « Bien. Nous sommes vos serviteurs. Mais ma fille sera mise dans un plateau de la balance, et l’or dans l’autre. Et poids contre poids. Car Yasmine est chère au cœur de son père. » Et le vizir répondit : « Il n’y a point d’inconvénient. » Et ils allèrent chercher l’or, et le mirent dans un plateau de la balance, tandis que le cheikh des Arabes mettait sa fille dans l’autre plateau. Et quand la jeune fille et l’or s’équilibrèrent, on écrivit, séance tenante, le contrat de mariage. Et le roi donna une grande fête au village des Arabes. Et, la nuit même, il entra chez la jeune fille, dans la maison de son père, et lui prit sa virginité, et se réjouit avec elle. Et, au matin, il partit avec elle, et la mit dans son palais.

Or, lorsqu’elle fut restée quelque temps dans ce palais-là, la belle fille Arabe Yasmine commença à descendre vers la maigreur, et à dépérir de langueur. Alors le roi appela le médecin, et lui dit : « Monte vite, et examine sett El-Arab, Yasmine. Je ne sais pas pourquoi elle maigrit comme ça et dépérit. » Et le médecin monta, et examina Yasmine. Puis il descendit, et dit au roi : « Elle n’est pas habituée au séjour des villes, car elle est une fille de la campagne, et sa poitrine se rétrécit par manque d’air. » Et le roi demanda : « Et qu’est-ce qu’il faut faire ? » Le hakim répondit : « Fais lui bâtir un palais sur la mer, où elle pourra respirer le bon air ; et elle deviendra plus belle qu’elle n’était. » Et le roi donna aussitôt l’ordre aux maçons de bâtir un palais sur la mer. Et, lorsque le palais fut achevé, on y transporta la languissante Yasmine, dame des Arabes…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA NEUF CENT QUARANTE-QUATRIÈME NUIT

Elle dit :

… la languissante Yasmine, dame des Arabes.

Or, lorsqu’elle eut demeuré quelque temps dans le palais, elle redevint grasse et cessa de languir. Et, comme elle était un jour accoudée à sa fenêtre, à regarder la mer, un pêcheur vint jeter son filet au pied du palais. Et, lorsqu’il le retira, il ne vit dedans que des briques et des coquillages. Et il devint fâché. Alors Yasmine lui adressa la parole, et lui dit : « Ô pêcheur, cette fois-ci, si tu veux jeter le filet dans la mer sur ma chance, je te donnerai un dinar d’or pour ta peine. » Et le pêcheur répondit : « Bien, ô dame ! » Et il jeta le filet dans la mer, sur la chance de la dame des Arabes, Yasmine, le tira et, l’ayant ramené, y trouva un flacon de cuivre rouge. Et il le montra à Yasmine, qui aussitôt s’enveloppa du drap de lit comme d’un voile, et descendit vers le pêcheur et lui dit : « Tiens, voici le dinar, et donne-moi le flacon. » Mais le pêcheur répondit : « Non, par Allah ! je ne prendrai pas le dinar, en échange de ce flacon, mais un baiser sur ta joue. »

Or, au moment même où ils parlaient ensemble de la sorte, le roi les rencontra. Et il prit le pêcheur, et le tua avec son épée, et jeta son corps dans le fleuve. Puis il se tourna vers la dame des Arabes, Yasmine, et lui dit : « Et toi non plus, je ne veux plus te voir. Va-t’en où tu voudras ! »

Et elle s’en alla. Et, deux jours et deux nuits, elle marcha avec faim et soif. Et elle arriva alors dans une ville. Et elle s’assit à la porte d’une boutique de marchand, depuis le matin jusqu’à l’heure de la prière de midi. Alors le marchand lui dit : « Ô dame, toi tu es assise ici depuis ce matin. Pourquoi ça ? » Elle répondit : « Je suis une étrangère. Je ne connais personne dans cette ville-ci. Et je n’ai rien mangé ni bu depuis deux jours. » Alors le marchand appela son nègre, et lui dit : « Emmène cette dame-ci, et conduis-la à la maison. Et dis-leur, à la maison, de lui donner à manger et à boire. » Et le nègre l’emmena, et la conduisit à la maison, et dit à l’épouse du marchand, sa maîtresse : « Mon maître te dit de donner à cette dame de quoi bien manger et boire. » Et la femme du marchand regarda Yasmine, et la vit, et en devint jalouse, parce que l’autre était plus belle. Et elle se tourna vers le nègre, et lui dit : « Bien. Fais monter cette dame dans le poulailler, sur la terrasse. » Et le nègre prit Yasmine par la main, et la fit monter dans le poulailler en question, sur la terrasse.

Et Yasmine resta là jusqu’au soir, sans que la femme du marchand s’occupât d’elle en aucune façon, ni pour le manger ni pour le boire. Alors la dame des Arabes, Yasmine, se souvint du flacon en cuivre rouge qui était sous son bras, et se dit : « Voyons, peut-être y a-t-il là dedans un peu d’eau à boire ! » Et, pensant ainsi, elle prit le flacon et en tourna le couvercle. Et aussitôt une cuvette avec son aiguière en sortirent. Et Yasmine s’y lava les mains. Puis elle leva les yeux, et vit sortir du flacon un plateau rempli de mets et de boissons. Et elle mangea et but et fut contente. Alors elle tourna de nouveau le couvercle du flacon, et dix jeunes esclaves blanches en sortirent, les castagnettes dans les mains, qui se mirent à danser dans le poulailler. Et lorsqu’elles eurent fini leur danse, chacune d’elles jeta dix bourses d’or sur les genoux de Yasmine. Puis elles rentrèrent toutes dans le flacon.

Et la dame des Arabes, Yasmine, resta ainsi dans le poulailler trois jours entiers, mangeant, et se divertissant avec les jeunes filles du flacon. Et chaque fois qu’elle les faisait sortir, elles lui jetaient, après la danse, des bourses remplies d’or ; tant et tant qu’à la fin le poulailler fut rempli d’or jusqu’au plafond.

Or, au bout de ce temps, le nègre du marchand monta sur la terrasse pour satisfaire un besoin. Et il vit la dame Yasmine, et s’en étonna, car il la croyait déjà partie, suivant le dire de l’épouse du marchand. Et Yasmine lui dit : « Est-ce que ton maître m’a envoyée ici pour que vous me nourrissiez, ou que vous me laissiez plus morte qu’auparavant, de faim et de soif ? » Et l’esclave répondit : « Ya setti, mon maître croit qu’on t’a donné du pain, et que tu t’en es allée le même jour. » Puis il se hâta de courir chez son maître, à la boutique, et lui dit : « Ya sidi, la pauvre dame que tu as envoyée avec moi à la maison, il y a trois jours, est restée tout ce temps-là sur la terrasse, dans le poulailler, sans rien manger ni boire. » Et le marchand, un homme de bien, devint fâché, et quitta sur l’heure sa boutique, et alla dire à sa femme : « Comment, ô maudite ! tu ne donnes rien à manger à cette pauvre dame ! » Et il la prit, et se mit à la battre, jusqu’à ce que son bras fût fatigué de la battre. Puis il prit du pain, et autre chose encore, et monta sur la terrasse, et dit à Yasmine : « Ya sett, prends et mange. Et ne nous blâme pas pour l’oubli ! » Elle répondit : « Qu’Allah augmenté ton bien ! C’est comme si tes faveurs étaient arrivées à leur destination ! Maintenant, si tu veux compléter tes bienfaits, je te demanderai une chose ! » Il dit : « Parle, ô dame ! » Elle dit : « Je voudrais que tu me bâtisses un palais hors de la ville, qui soit deux fois plus beau que celui du roi. » Il répondit : « Il n’y a pas d’inconvénient. Certainement ! » Elle dit : « Voilà de l’or. Prends-en autant que tu veux. Si les maçons travaillent d’ordinaire pour un drachme, dans leur journée, tu leur en donneras quatre pour hâter la construction. » Et le marchand dit : « Bien. »

Et il prit l’argent, et alla assembler les maçons et les architectes, qui lui bâtirent, en peu de temps, un palais deux fois plus beau que celui du roi. Et il revint alors au poulailler, auprès de la dame des Arabes, Yasmine, et lui dit : « Ya setti, le palais est fini. » Elle lui dit : « Voici de l’argent. Prends-le et va acheter des meubles en satin pour le palais. Et fais venir des domestiques nègres, qui soient étrangers et ne sachent pas l’arabe ! » Et le marchand alla acheter les meubles en satin, et se procurer les domestiques nègres en question, qui ne savaient ni ne pouvaient comprendre l’arabe, et revint au poulailler dire à la dame des Arabes, Yasmine : « Ô ma maîtresse, tout est complet maintenant. Aie la bonté de venir prendre possession de ton palais. » Et la dame des Arabes, Yasmine, se leva et, avant de sortir du poulailler, elle dit au marchand : « Le poulailler où je suis est plein d’or jusqu’au plafond. Prends-le pour toi, comme cadeau de moi, à cause de la complaisance que tu as eue envers moi. » Et elle prit congé du marchand. Et voilà pour lui !

Quant à Yasmine, elle fit son entrée dans le palais. Et, ayant acheté un magnifique habit de roi, elle s’en vêtit et s’assit sur le trône. Et elle devint semblable à un beau roi. Et voilà pour elle !

Quant à son époux, le roi qui avait tué le pêcheur et l’avait renvoyée elle-même, au bout d’un certain temps il se calma et se souvint d’elle pendant la nuit. Et le matin il appela son vizir, et lui dit : « Vizir ! » Et le vizir répondit : « Présent ! » Il dit : « Allons, déguisons-nous et sortons à la recherche de la dame des Arabes, Yasmine, mon épouse. » Et le vizir dit : « J’écoute et j’obéis. » Et ils sortirent du palais, sous un déguisement, et marchèrent deux jours à la recherche de la dame des Arabes, Yasmine, interrogeant et s’informant. Et ils arrivèrent ainsi dans la ville où elle se trouvait. Et ils virent son palais. Et le roi dit au vizir : « Ce palais est nouveau ici, car je ne l’ai point vu dans mes précédents voyages. À qui peut-il appartenir ? » Et le vizir répondit : « Je ne sais pas. Peut-être appartient-il à quelque roi envahisseur qui a conquis la ville, sans que nous le sachions. » Et le roi dit : « Par Allah ! c’est peut-être vrai. Aussi, pour nous en assurer, nous allons envoyer un crieur par la ville annonçant que personne ne doit allumer de lumière cette nuit dans sa maison. De cette manière, nous saurons si les gens qui habitent ce palais sont nos sujets obéissants, ou bien des rois conquérants. »

Et donc le crieur alla par la ville crier l’ordre en question. Et, lorsque vint la nuit, le roi se mit à parcourir les divers quartiers avec son vizir. Et ils virent que nulle part il n’y avait de lumière, sinon dans le palais splendide qu’ils ne connaissaient pas. Et ils y entendirent des chants et le son des théorbes, des luths et des guitares. Alors le vizir dit au roi : « Tu vois, ô roi ! Je t’avais bien dit que ce pays ne nous appartenait plus, et que ce palais était habité par les rois envahisseurs ! » Et le roi répondit : « Qui sait ? Viens, allons nous informer auprès du portier du palais. » Et ils allèrent interroger le portier. Mais comme ce portier était un Barbarin, et qu’il ne savait ni ne comprenait un mot d’arabe, il leur répondait à chaque question : « Ghanou ! » Ce qui, en langue barbarine, signifiait : « Je ne sais pas ! » Et le roi et son vizir s’en allèrent, et ne purent dormir cette nuit-là, parce qu’ils avaient peur.

Et, le matin, le roi dit au vizir : « Dis au crieur de crier encore une fois par la ville que personne n’allume de lumière cette nuit. De cette manière nous aurons une certitude. » Et le crieur cria ; et la nuit vint ; et le roi se promena avec son vizir. Mais ils trouvèrent que l’obscurité régnait dans toutes les maisons, excepté dans le palais, où la lumière était deux fois plus vive que la veille, et où tout était dans l’illumination. Et le vizir dit au roi : « Maintenant, tu as la certitude au sujet de ce que je t’avais dit, concernant la prise de ce pays par les rois étrangers. » Et le roi dit : « C’est vrai ! mais qu’allons-nous faire ? » Le vizir dit : « Nous allons aller dormir, et demain nous verrons ! »

Et, le lendemain, le vizir dit au roi : « Viens, nous allons aller nous promener, comme tout le monde, du côté du palais. Et moi je te laisserai en bas, et je monterai seul, par ruse, pour voir avec mes yeux et entendre avec mes oreilles de quel pays est le roi. »

Et donc, lorsqu’ils furent chez le portier du palais, le vizir trompa la vigilance des gardes et réussit à monter dans la salle du trône. Et, lorsqu’il vit la dame des Arabes, Yasmine, il la salua, croyant qu’il saluait un jeune roi. Et elle lui rendit le salam, et lui dit : « Assieds-toi. » Et, lorsqu’il se fut assis, la dame des Arabes, Yasmine, qui l’avait bien reconnu et n’ignorait pas la présence du roi, son époux, dans la ville, tourna le couvercle du flacon, et les rafraîchissements furent servis ; et dix belles esclaves blanches sortirent du flacon et se mirent à danser aux castagnettes. Et, après la danse, chacune d’elles jeta dix bourses pleines d’or sur les genoux de Yasmine. Et elle les prit et les donna toutes au vizir, en lui disant : « Prends-les comme cadeau, parce que je vois que tu es pauvre. » Et le vizir lui baisa la main et lui dit : « Qu’Allah t’accorde la victoire sur tes ennemis, ô roi du temps, et qu’il prolonge pour nous tes jours ! » Puis il prit congé, et descendit près du roi qui était assis à côté du portier.

Et le roi lui dit : « Qu’as-tu fait là-haut, ô vizir ? » Il répondit : « Hé ouallah ! je t’ai bien dit que la terre t’a été prise ! Songe qu’il m’a donné cent bourses, en cadeau, et m’a dit : « Prends cela pour toi, parce que tu es un pauvre ! » Voilà ce qu’il m’a dit, celui-là ! Peux-tu, après ça, douter qu’il ait pris cette ville et ce pays ? » Et le roi dit : « Non, penses-tu cela, vraiment ? En ce cas, je vais, moi aussi, essayer d’endormir la vigilance des gardes barbarins, et monter en haut pour voir ce roi-là ! » Et il fit ce qu’il avait dit.

Or, lorsque la dame des Arabes, Yasmine, le vit ; elle le reconnut, mais ne fit semblant de rien. Et elle se leva de son trône en son honneur, et lui dit : « Aie la bonté de t’asseoir ! » Et lorsque le roi vit que celui qu’il croyait être un roi étranger se levait droit en son honneur, son cœur se rassura, et il se dit à lui-même : « C’est certainement un sujet, et non pas un roi ; sans quoi il ne se lèverait pas comme ça pour quelqu’un qu’il ne connaît pas ! » Et il s’assit sur le siège ; et les rafraîchissements vinrent ; et il but et fut content. Alors il s’enhardit tout à fait, et demanda à la dame des Arabes, Yasmine : « Vous autres, quelle est votre qualité ? » Et elle sourit, et répondit : « Nous sommes des gens riches. » Et, parlant ainsi, elle tourna le couvercle du flacon, et, à l’instant, dix merveilleuses esclaves blanches en sortirent, qui dansèrent aux castagnettes. Et, avant de disparaître, chacune d’elles jeta dix bourses pleines d’or sur les genoux de Yasmine.

Et le roi s’émerveilla du flacon, à la limite de l’émerveillement…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.

MAIS LORSQUE FUT
LA NEUF CENT QUARANTE-CINQUIÈME NUIT

Elle dit :

… Et le roi s’émerveilla du flacon, à la limite de l’émerveillement, et dit à la dame des Arabes, Yasmine : « Peux-tu me dire, ô mon frère, où tu as acheté ce prodigieux flacon-là ? » Elle répondit : « Moi, je ne l’ai pas acheté avec de l’argent. » Il demanda : « Alors, avec quoi l’as-tu acheté ? » Elle dit : « Moi, j’ai vu ce flacon chez quelqu’un, et j’ai dit à ce quelqu’un : « Donne-moi ce flacon, et demande-moi ce que tu voudras ! » Et il me répondit : « Ce flacon n’est ni à vendre ni à acheter. Mais si tu veux que je te le donne, viens faire une fois avec moi le faire du coq avec la poule ! Et après je te donnerai ce flacon. » Et moi je lui ai fait ce qu’il voulait de moi. Et il m’a donné le flacon. »

Or, Yasmine ne parlait ainsi que parce qu’elle avait une idée.

Aussi, quand le roi eut entendu ses paroles, il lui dit : « C’est bien, et la chose est aisée. Car, moi aussi, si tu veux me donner le flacon, je consens à ce que tu me fasses la même chose deux fois au lieu d’une ! » Et la dame des Arabes dit : « Non, deux fois, ce n’est pas assez ! Qu’Allah ouvre la porte du gain ! » Il lui dit : « Alors, viens, et fais-le-moi quatre fois, pour ce flacon-là ! » Elle lui dit : « Bien, lève-toi et entre dans cette chambre, pour cette affaire. » Et ils entrèrent, l’un derrière l’autre, dans la chambre.

Alors, la dame des Arabes, Yasmine, voyant que le roi se mettait pour de bon dans la posture de cette vente-là, se mit à rire tellement qu’elle se renversa sur son derrière. Puis elle lui dit : « Maschallah, ô roi du temps ! Tu es roi et sultan, et tu veux te faire enculer pour un flacon ! Comment alors, étant dans ces idées, as-tu pris sur toi de tuer le pêcheur qui m’avait dit : « Donne-moi un baiser, et prends le flacon ? »

En entendant ces paroles, le roi fut étourdi et stupéfait. Puis il reconnut la dame des Arabes, Yasmine, et se mit à rire, et lui dit : « Est-ce que c’est toi ? Et tout ça c’est par toi ? » Et il l’embrassa et se réconcilia avec elle. Et dès lors ils vécurent ensemble en pleine harmonie, contents et prospérant. Et louanges à Allah, Ordonnateur de l’harmonie, et Dispensateur de la prospérité et du bonheur !

— Et le capitaine de police Nour Al-Dîn, ayant ainsi raconté l’histoire de la dame des Arabes, Yasmine, se tut. Et le sultan Baïbars se réjouit beaucoup et se dilata de l’avoir entendu, et lui dit : « Par Allah, cette histoire est extraordinaire ! » Alors un sixième capitaine de police, qui s’appelait Gamal Al-Dîn, s’avança entre les mains de Baïbars, et dit : « Moi, ô roi du temps, si tu me le permets, je te raconterai une histoire qui te plaira ! » Et Baïbars lui dit : « Certes ! tu as la permission. » Et le capitaine de police Gamal Al-Dîn, dit :