Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 2/3-LLDA-Ch19

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Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (2p. 303-306).



CHAPITRE XIX


DISCOURS D'YOUDHISHTHIRA


Argument : Youdhishthira reproche à son frère de dire qu’il n’y a rien au-dessus de la richesse, et lui démontre que le renoncement est préférable.


575. Youdhishthira dit : Ô mon ami, je connais les enseignements supérieurs et inférieurs. Le texte sacré recommande deux choses : d’accomplir des œuvres et de pratiquer le renoncement.

576. Les préceptes sont embrouillés, mais appuyés de raisons (qui les expliquent). Je connais le moyen de préciser le sens régulier des mantras.

577. Mais toi, tu ne connais que les armes ; doué des vertus des héros, tu es tout à fait incapable de percevoir la signification réelle des écritures sacrées.

578. Si tu as le devoir en vue, je n’aurais pas dû entendre les paroles (que tu m’as adressées, et qui n’auraient pas dû être prononcées), même (par un homme) connaissant peu le sens des préceptes (religieux), (mais) habile à préciser (ce qui est) le devoir.

579. Ce que tu m’as dit en qualité de frère et d’ami, a été convenablement exprimé, ô fils de Kountî, et j’en suis satisfait, ô Arjouna.

580. Nul, dans les trois mondes, n’est ton pareil pour tout ce qui concerne les devoirs du combat, ni pour la valeur requise dans l’accomplissement des exploits héroïques.

581. À cet égard, tu peux parler des devoirs les plus minutieux, et (il est) difficile de te contredire. (Mais), ô Dhanañjaya, tu ne dois pas suspecter ma sagesse.

582. Tu ne connais que les règles de la guerre et tu n’as pas pratiqué les vieillards. Tu n’es pas au fait des conclusions de ces (hommes), qui connaissent (les écritures) en détail et dans leur ensemble.

583. L’ascétisme, le renoncement, l’absence de rites, voilà à quoi les sages ont abouti. De ces trois (choses), chacune des deux dernières l’emporte sur la précédente, pour ceux dont la pensée tend au salut.

584. Ô fils de Prithâ, si tu penses que rien n’est au-dessus de la richesse, je vais te démontrer que là n’est pas ce qu’il y a de mieux.

585. On voit les gens vertueux adonnés aux austérités et à la récitation des védas. Les rishis, dont les mondes supérieurs sont le partage, pratiquent l’ascétisme.

586. Un grand nombre d’autres, n’ayant pas d’ennemis, fermes, habitant les bois, vont au ciel en récitant les védas dans les forêts.

587. Des gens honorables, renonçant aux ténèbres qu’engendre le manque de sagesse, réprimant les voluptés, ont pris le chemin (lumineux) du nord (qui conduit) aux mondes de ceux qui pratiquent le renoncement.

588. Ceux qui ont pris possession des cimetières, (au moment de la mort réitérée qu’on subit dans le cours de la transmigration, suivent) le brillant chemin du midi (conduisant à ces) mondes (qui sont le but) de ceux qui accomplissent des œuvres.

589. Mais le refuge que ceux qui pratiquent le moksha (renoncement) ont en vue, ne saurait être décrit. On considère comme le meilleur moyen (d’y arriver), le yoga (méditation religieuse), qu’il me serait difficile de te faire connaître.

590. En songeant aux préceptes, les sages éprouvent un ferme désir de connaître ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas. « (Peut-être) est-ce ceci, (peut-être) est-ce cela, » (disent-ils).

591. (Certains d’entre eux), après avoir parcouru les textes sacrés et les préceptes des Aranyakas, n’ont pas connu l’essence (des choses), parce qu’ils ont brisé l’étui (de bois de) kadali (sur lequel ils s’appuyaient).

592. Et, par dédain pour l’unité, ils ont dit que l’âme qui fait mouvoir le corps composé des cinq éléments, était douée de désirs et de haine.

593. Incapable d’être saisie par l’œil ou expliquée par la parole, en rapport avec la cause des actions, elle circule dans la (série) des êtres (par les naissances successives).

594. Quand on a établi (son esprit) dans la vertu, lutté contre la concupiscence et rejeté le développement de l’œuvre, ne dépendant plus de rien, (on trouve) le bonheur.

595. En présence d’une telle voie, suivie par les gens de bien, et par laquelle on peut atteindre la subtilité (de l’intelligence), comment, ô Arjouna, (oses-tu) vanter la richesse, si fertile en inconvénients !

596. Ô Bharatide, des hommes d’autrefois, connaissant les préceptes, continuellement attachés aux (bonnes) œuvres, à la libéralité, au sacrifice et à l’action, ont vu (les choses) ainsi.

597. Il y a des gens habiles à argumenter, très difficiles à ramener (au bien), surtout obstinés, quoique savants dans la smriti (tradition), dont l’esprit est égaré, et qui disent : « Il n’en est pas ainsi. »

598. Contempteurs de l’immortalité, bavards, ils parcourent la terre entière et parlent dans les assemblées des hommes, où ils sont très écoutés.

599. Ô fils de Prithâ, qui (connaitra) ce que nous ne connaissons pas ? Tu dois discerner ici-bas ceux qui sont sages, gens de bien, magnanimes, et qui connaissent les préceptes (sacrés).

600. Par les austérités, on obtient certainement Ce qui est grand. Par la sagesse, on trouve Ce qui est grand. Par le renoncement, celui qui connaît la vérité, atteint toujours le bonheur, ô fils de Kountî.