Le Miroir de contentement

La bibliothèque libre.


Le Miroir de contentement, baillé pour estrenne à tous les gens mariez.

1619



Le Miroir de contentement, baillé pour estrenne à tous les gens mariez.
À Paris, chez Nicolas Rousset, en l’isle du Palais, devant les Augustins.
CIC IC XIX.
In-8º.

PREMIÈRE PARTIE.

Je veux chanter dessus ma lyre
Ce que j’ay eu peine d’escrire,
Et ramasser de tous mes sens
Les plus melodieux accens.
Je veux, à quatre escus pour teste,
Faire une solennelle feste
À tous les enfans d’Apollon ;
Je veux le luth, le violon,
La harpe et la douce pandore,
La flutte et le tambour ancore,
Les perles des musiciens,
Jeunes, vieux, nouveaux, anciens ;
Je veux le concert plus habile
De la veille Sainte-Cécile1,
Les chantres du roy journaliers
Et les orgues des Cordeliers2,
Pour chanter en note amoureuse
De Jean la vie bien heureuse,
Jean tousjours gay, roy des contens,
Jean tout confit en passe-temps,
Jean qu’on ne verra tant qu’il vive
Jamais que porter la lessive,
Jean qui ne voudroit s’obliger,
Pour tout l’or du monde, à changer
Son port de lessive en office
Qui lui donnast autre exercice.
—-Ô Muse, eslite du trouppeau
Qui habite sur le couppeau3
Du mont Parnasse, je te prie,
Dy-moy de Jean l’estre et la vie.
—-Le temps de sa nativité
Fut un jour de Sainct-Jean d’esté.
Aussi, neuf mois devant, la lune
Avoit monstré sa face brune,
Quand sa mère en songeant croyoit
Que de son flanc issir voyoit
Un chat qui, d’une course brève,
Monta au feu Sainct-Jean en Grève4 ;
Mais le feu, ne l’espargnant pas,
Le fit sauter du haut en bas,
Si que, pour attiedir sa peine,
Il se relança dans la Seine,
Où Neptune au festin estoit
D’une Nymphe qui le traictoit.
Ce fut un asseuré presage
Que Jean aymeroit ce rivage,
Et que ses exploits les plus beaux
Il feroit aux rives des eaux ;
Bref, sa retraite journalière
Seroit au bord de la rivière.
—-Or, le jour que ce pauvre oizon
Parut dessus nostre orizon,
Et que l’estoile matinière
Descouvrit son heure première,
Sa mère estoit en un grenier
Logée près d’un menestrier,
Qui faict que Jean sçait la practique
De toute sorte de musique,
De rondeaux, ballades, chansons,
Les voltes5 de toutes façons,
Les courantes, la sarabande,
Et des branles toute la bande,
Mesmes celuy des bons maris,
Qu’on souloit danser à Paris,
Des Bretons la druë carole6,
Et la pavane à l’Espagnole7.
S’il faut danser les Matassins8,
Il n’a les pieds dans des bassins ;
Dispos pour danser la fissaigne9
Autant qu’une chèvre brehaigne.
—-Quand Jean fut un peu grandelet,
On luy apprit son chappelet ;
Car Jean a la mine trop bonne
Pour estre un docteur de Sorbonne.
Il sçait son Pater, son Ave,
Son Confiteor, son Salve ;
Il sçait un peu son nom escrire.
Du reste, il ne s’en faict que rire,
Parce qu’on dit à tout propos :
Les plus sages sont les plus sots.

LA SECONDE PARTIE.

Jean, petit mignon de l’Aurore,
Chante la beauté qu’il adore
En se levant de grand matin ;
Puis, d’une chanson bien gentille
Qu’il dit des sergens de la ville,
Passe en musique l’Arétin10.
—-Le dos recouvert de sa hotte,
D’une mine qui n’est point sotte,
Semble un orgueilleux limaçon
Qui, de sa coquille les bornes
Outrepassant, monstre ses cornes
Au soleil de brave façon.
—-Ceste hotte, pour des bretelles,
A deux lizières assez belles,
L’une rouge, l’autre de gris ;
Car la corde à la longue affole,
Et lui avoit sié l’espaule
Et son pourpoint de petit gris.
—-Jean n’est curieux de la mode,
Mais, vestu comme un antipode
D’un haut de chausse plein de trous,
Plus large en bas qu’à la ceinture,
Ne craint point que la ligature
Luy face mal sur les genoux.
—-Haut de chausse fait d’une cotte
Qu’Urgande portoit à la crotte
L’espace de neuf ou dix ans,
Frangé par bas, et si honeste
Que jamais n’eut coup de vergette,
Faict en despit des courtisans.
—-Je pense avoir leu dans l’histoire,
Si j’ay encor bonne memoire,
Ce fut en l’an cinquante-neuf
Qu’on osta les chausses bourrées11
Où les armes estoyent fourées ;
Lors ce haut de chausse estoit neuf.
—-Si vous le voyez plein de tailles,
C’est qu’il a veu maintes batailles
À Dreux, Jarnac et Moncontour ;
À Sainct-Denys fut sa deffaicte :
Un goujat l’eut pour sa conqueste,
Qui ne le portoit qu’au bon jour.
—-Il estoit aux troupes des reistres
Lors que deux ou trois cens belistres
Furent deffaits dedans Auneau12 ;
Puis il vint à la Fripperie,
Où Jean, qui hait la braverie
L’eut en eschange d’un moyneau.
—-C’est son compagnon plus fidèle :
Soit qu’il travaille à la Tournelle,
Soit qu’il ballie sa maison,
Soit que par fois il aille au Louvre,
De ce haut de chausse il se couvre,
Qui est propre en toute saison.
—-Pour conserver ceste relique,
Qui sert tant à la republique,
Jean, qui sçait bien son entregent13,
Porte une soutane de toile
Faicte du reste d’un gros voile
Dont un nocher luy fit present.
—-On prendroit Jean, en ceste guise,
Pour un senateur de Venise,
Ou pour un jeune Pantalon14,
Ou pour un bachat en Turquie,
Car sans orgueil sa sequenie15
Lui bat presque sur le talon.
—-Jean vient au bord de la rivière,
Trouve une troupe lavandière
De femmes battans les drappeaux :
Il baise l’une, et s’escarmouche
Avec l’autre un peu plus farouche,
Luy baisant ses tetins jumeaux.
—-Cupidon, aux rives de Seine,
Rid de ceste amour incertaine,
Car Jean n’est en place arresté ;
Et de vray, qui voit la caresse
De Jean, il n’y a point d’adresse ;
Jean se loue de tout costé.
—-Jean n’eust jamais l’ame captive,
Jean rid tousjours, pourveu qu’il vive,
Il ne voudroit pas estre un roy ;
Jean n’offence jamais personne,
Jean ne craint point qu’on l’emprisonne,
Jean ne faussa jamais sa foy.
—-Après le bonjour ordinaire,
Jean, chargé comme un dromadaire,
Le linge encore degoutant,
S’en va par la plus courte voye
À la maison où on l’envoye
Se descharger, tousjours chantant.
—-Poussé d’une mesme alegresse,
Jean s’en retourne de vitesse,
Du fromage et du pain portant,
Et de vin nouveau la choppine
Pour le desjuner de Bertine ;
Mais Jean en est participant.
—-Ô Dieu ! quels bons mots ils se dient
Quant à desjeuner se convient !
Si nous les avions tous escrits,
Ils nous feroient crever de rire.
Relisez les Fleurs de bien dire16 :
L’auteur de Jean les a appris.
—-Ainsi Jean passe la journée,
Jean passe ainsi toute l’année,
Sans un seul grain d’ambition.
Que le monde coure ou qu’il trotte,
Que Jean ne perde point sa hotte,
Il est exempt de passion.
—-Hotte qui luy vaut un empire,
Hotte que Jean seule respire,
Hotte coulante de fin or
Plus que le Tage en abondance,
Hotte l’espoir et l’asseurance,
Et de Jean l’unique thresor.
—-Sçachez Platon et Aristote ;
Qui ne cognoit Jean et sa hotte
Ignore la perfection,
Et la plus belle intelligence
De tout le bonheur de la France,
Qu’il faut chercher d’affection.
—-Aussi, pour tant de grands services
Et quantité de bons offices,
Elle avoit le cul tout percé ;
Mais Jupiter, très favorable,
Pour un signe au ciel remarquable
Entre les astres l’a placé.
—-Jean heureux, heureuse ta hotte
Qui te fait chanter gaye notte !
Certes, je ne m’estonne pas
Si tant de Jeans font bonne vie,
Gays, joyeux, et auroit envie
Tel d’estre Jean qui ne l’est pas.

Continuation du bonheur et contentement de Jean sur le
subject de son mariage avec Jeanne la Grise.

Qu’est-ce que j’entend par la ville
Du mariage d’une fille
Si heureuse, qu’à ceste fois
Pas ne voudroit faire un eschange
De Jean contre le pont au Change17
Ny tous les thresors des grands roys ?
—-Ceste fille fut caressée
Autrefois et fort pourchassée
Par gens qui ne font que causer :
Chacun l’appeloit son cœur gauche,
Chacun vouloit faire desbauche,
Chacun promettoit l’espouzer.
—-Cela s’appeloit par leurs signes
Mariages de Jean des Vignes18,
Quand chacun trousse son pacquet
Le lendemain des espousailles,
Qui precèdent les fiançailles.
Tout cela n’estoit que caquet.
—-Jean, le jour d’une bonne feste,
Vestu d’habit assez honneste
Alloit prendre son passetemps.
Il rencontre Jeanne la Grise,
Il cause avec elle, il devise :
Il la cognoissoit dès long-temps.
—-Jean luy presente son service,
Tournant son chapeau, puis luy glisse
L’une des mains sur son devant.
Jeanne, qui estoit amoureuse
De Jean, s’estimoit trop heureuse
De ce qu’il parloit si avant.
—-Jean, pour n’encourir vitupère,
En fit la demande à son père,
Un maistre juré chiffonnier :
Car la mère estoit en service,
Ou, ce me semble, estoit nourrice
Chez la fille d’un cordonnier.
—-Jean le Gris se nommoit le père,
Philippote Maucreux la mère,
Qui prindrent à fort grand honneur
D’avoir, pour marier leur fille,
Si noblement en ceste ville
Fait rencontre d’un tel seigneur.
—-Pour contracter ce mariage,
Jean n’y voulut point de langage,
Car le conseil en estoit pris.
Ou n’apporta papier ne plumes :
Il fut faict aux uz et coustumes
De la prevosté de Paris.
—-Huict jours après, sur les quatre heures,
Ils partirent de leurs demeures
Pour s’en aller à Sainct-Merry.
Poussez de mesme cœur et d’ame,
Là Jean prist Jeanne pour sa femme,
Jeanne prist Jean pour son mary.
—-Sortis de la messe nopcière,
Jean s’en va chez une trippière
Prendre une teste de mouton.
La langue on avoit jà ostée
Pour une jeune desgoutée
Qui avoit mal à son ploton19.
—-Outre un pied de bœuf, il achette
Un plat de trippes, dont il traitte
Les parents de chasque costé ;
Et, pour faire la nopce entière,
Il eust douze grands pots de bière,
Car le vin luy eust trop cousté.
—-Après la pance vint la dance,
Et Jean, qui entend la cadence
Plus que s’il estoit de mestier,
Leur fournit des chansons si belles
Que jamais il n’en fut de telles,
Et se passa de menestrier.
—-Suivit, pour clorre la journée,
La collation ordonnée
De fromage et deux plats de fruict.
Par ainsi, la nopce achevée,
Jean emmeine son espousée,
Se retirant sans faire bruict.
—-Arrivé qu’il fut en sa ruë,
Tout le voisinage il salue
D’une chanson, comme il souloit.
Aussi, pour son nouveau mesnage,
Il eut de tout le voisinage
Plus de bonsoirs qu’il ne vouloit.
—-Je laisse à part la mignardise
Dont Jean flattoit Jeanne la Grise,
Les caresses, les doux propos,
Les baisers, le geste folastre,
Pour amoureusement combattre
Avant que prendre leur repos.
—-Ce sont les secrets d’hymenée,
Cachez dessous la cheminée,
Qu’il ne faut jamais publier.
Publier les faicts de la couche
En ceste mignarde escarmouche,
Ce seroit par trop s’oublier.
—-Vivez contens, couple fidelle,
Car vostre lignée immortelle
Par tout le monde s’estendra :
Juppiter vous a fait la grace,
Entre autres, que jamais la race
Des Jeans et Jeannes ne faudra.

L’Historiographe au Lecteur.

Ces vers je composois pour esgayer mon ame
Comblée de l’ennuy d’une grand fluxion
Qui me causa la fiebvre, et la fiebvre une flamme
Qui de vivre longtemps m’osta l’affection.
La Muse en eust pitié, qui de l’eau d’Hippocrène
Estaignit ce brazier, et me rendit l’esprit
Pour chanter le bonheur de Jean en bonne estrène,
Que j’ay reduit en vers, comme elle me l’apprit.




1. Ce concert se donnoit aux Grands-Augustins par la confrérie des musiciens de Sainte-Cécile. V. Lebeuf, Hist. du dioc. de Paris, t. 2, p. 464 ; Merc. gal., juin 1679, p. 184.

2. C’étoient les plus belles de Paris. Daquin et Marchant furent, au XVIIe siècle, organistes aux Cordeliers.

3. Ce vieux mot signifioit colline, monticule. Le nom de la rue Copeau, très montante, comme on sait, vient de là.

4. V. pour ce feu de la Saint-Jean sur la place de Grève, et sur les auto-da-fé de chats qu’on y faisoit, une longue note de notre édition des Caquets de l’Accouchée.

5. Les voltes, dont la plus fameuse étoit celle de Provence, avoient été, depuis Charles IX et Henri III, danses fort à la mode. Guil. du Sable a dit dans son Coc à l’âne, l’une de pièces de sa Muse chasseresse, Paris, 1611, in-12 :

Considerant le temps qui court,
Il faut, pour estre aimé en cour,
Bien basler et danser la volte.

6. Cette danse, qui s’exécutoit en rond, et que Jacques Yver appelle pour cela « la ronde carole » (Printemps d’Yver, journ. 3), avoit donné naissance au mot caroleur, qui se trouve dans le roman de la Rose, et à caroler, qui se lit dans les poésies de Froissart. Elle n’étoit point particulière aux Bretons, qui même lui préferoient de beaucoup leur trihori. On la dansoit beaucoup à Paris, où se trouvoit même un carrefour qui lui devoit son nom de Notre-Dame-de-la-Carole.

7. Ce vers confirme l’opinion de Furetière, qui veut, en dépit de Ménage et d’un passage d’Antonio Massa Gallesi (De exercitatione jurisperitorum, liv. 3), que la pavane vienne d’Espagne, et non pas de Padoue. Elle étoit depuis longtemps à la mode. Marguerite de Valois fut l’une des dernières qui la dansèrent bien. (V. Mél. d’une gr. biblioth., t. 30.)

8. Encore une danse espagnole, mais plus vive que la pavane. C’étoit une imitation de la pyrrhique antique, et, comme elle, elle se dansoit avec des épées. « L’on voyoit, lit-on au livre VII de Francion, qu’ils se battoient de la même façon que s’ils eussent dansé le ballet des Matassins, ou l’on fait cliqueter les épées les unes contre les autres, ce qui est une abrégée de la danse armée des anciens. » Molière, en la plaçant dans le ballet de Pourceaugnac, lui fit singulièrement perdre de son caractère.

9. Nous ne savons quelle est cette danse. Peut-être faut-il lire la sissaigne, et alors j’y reconnoîtrois facilement la sissonne, qui commençoit à être célèbre alors, et dont le pas principal se danse encore sous le nom altéré de pas de six sols.

10. C’est Guy, l’inventeur de la gamme, qu’on appeloit l’Arétin, à cause d’Arezzo, sa patrie.

11. Il est parlé ici de ces chausses d’avanturiers, habillés à la pendarde, dont Brantôme a dit : « D’autres plus propres avoient du taffetas en telle quantité, qu’ils doubloient ces chausses et les appeloient Chausses bouffantes. » Édit. du Panthéon littéraire, t. 1, 578–580.

12. En 1587, le duc de Guise, qui avoit déjà battu les reîtres à Vimory le 26 octobre, les défit encore à Auneau, en Gatinais, le 11 novembre, et amena ainsi leur capitulation à Lancy.

13. Expression déjà depuis long-temps à la mode (V. de La Noue, Dict. de rimes (1596), p. 299), et dont Beroalde se moque ainsi : « Je m’étonne, fait-il dire à Ramus parlant à César sur cette expression : Qu’est-ce que faire la pauvreté ? je m’étonne que vous, qui êtes latin, ne le savez ; et surtout vous qui, entre les galants, savez mieux votre cour. J’ai pensé dire, comme nos docteurs, votre entregent ; mais il me sembleroit dire entrejambe, tant cela est fat. » Le Moyen de parvenir, édit. Charpentier, 1841, p. 39.)

14. C’est-à-dire encore un jeune seigneur de Venise, car on sait que le Pantalon, qui devint plus tard un des types burlesques de la comédie italienne, fut d’abord la personnification du riche vénitien.

15. Souquenille. Ce mot, que Nicot abrège encore davantage, puisqu’il écrit simplement squenie, se trouve orthographié comme il est ici au liv. 1er, chap. 49, de Rabelais. Ronsard l’écrit souquenie.

16. Fleurs de bien dire, recueillies des cabinets des plus rares esprits de ce temps, pour exprimer les passions amoureuses de l’un comme de l’autre sexe. Paris, Guillemot, 1598, pet. in-12. — V., sur une autre édition de ce livre de François Desrues, une note de notre édition du Roman Bourgeois, p. 88.

17. Les forges d’orfèvres et les boutiques de changeurs qui s’y trouvoient faisoient de ce pont la rue la plus riche de Paris.

18. Le proverbe dit : Mariage de Jean des Vignes, tant tenu, tant payé ; c’étoit ce que nous appelons une passade. Quitard, Dict. des Prov., p. 475.

19. V., sur le sens de ce mot, le Dictionnaire comique de Le Roux, qui ne l’emploie que pour le sexe masculin. Il cite à l’appui un vers du Parnasse satyrique.