Le Mystère de Quiberon/8

La bibliothèque libre.
Dujarric et Cie, Éditeurs (p. 99-113).



CHAPITRE VII

Caractère précaire de la pacification. — Le véritable danger menaçant du côté de la Bretagne ; symptômes qui en annoncent la gravité. — Négociations sur la rive droite de la Loire ; premiers pourparlers entre Humbert et Cormatin. — Répétition des manœuvres employées sur la rive gauche ; M. Le Deist de Botidoux et la vicomtesse Turpin de Crissé. — Premières propositions rejetées. — Nouvelles propositions basées sur les conditions offertes à Charette. — Compromis avec Bois-Hardy et Chantreau. — Entrevue de Turpin et de Bancelin. — Adhésion de quelques chefs au compromis Bois-Hardy. — Armistice dénoncé par Turpin. — Conférence à La Chaufournaie ; nouvel armistice accepté par la plupart des chefs de la rive droite. — Entrevue à Moncontour ; rendez-vous pris par Hoche et Danican, Bois-Hardy et Cormatin. — Conférences de La Mabilais. — Hoche, porteur de pleins pouvoirs, refuse de s’y rendre ; motifs de ce refus ; revirement soudain de la presque totalité des chefs chouans.

Le mot de pacification, dont on affectait de se servir, n’était bon qu’à tromper l’opinion. Le traité qu’on venait de signer ne procurait pas une pacification, mais un simple armistice, nécessairement précaire, puisqu’il ne faisait que réserver la solution du litige entre la République et les royalistes.

Sans parler des clauses secrètes, dont l’exécution ou la non-exécution ramenaient les partis en présence de la grande question, les clauses patentes, en concédant la constitution d’une portion du territoire « indivisible » en territoire indépendant, avec une véritable autonomie, administrative, judiciaire, financière et militaire, établissaient un régime essentiellement provisoire, qui devait, par la force des choses, aboutir à une crise inévitable, soit à la capitulation définitive de la République, soit à une reprise d’hostilités.

Pour la Convention, c’était, il est vrai, un coup de politique important, d’avoir paralysé, fût-ce pour un temps très court, une partie des forces royalistes.

Mais le vrai danger n’était nullement conjuré, l’orage redoutable se formait en Angleterre et devait éclater en Bretagne, où les grondements sourds en annonçaient l’approche, causaient un frémissement et une agitation que les agents du gouvernement signalaient avec une inquiétude chaque jour croissante. « La Vendée s’éteignait ; la Bretagne s’allumait[1]. »

Les symptômes d’une fermentation extraordinaire frappaient tous les yeux. Dès le mois de septembre, en prenant possession de son commandement, Hoche avait pu s’en rendre compte. « À Rennes, où il arrive d’abord, il trouve la contre-révolution frémissante, déjà insolente. Qui le croirait ? personne, à aucun prix, ne voulut lui donner de logement[2]. »

Ces dispositions hostiles de la population n’avaient fait que s’accentuer. Et l’on sentait chez les chefs de la Chouannerie, à de très rares exceptions près, une résistance raisonnée, qui ne céderait pas aux moyens de persuasion et aux promesses par lesquels on finit par réussir auprès de Charette.

Sur la rive droite de la Loire, les manèges du Comité de salut public avaient été les mêmes que sur la rive gauche.

En Bretagne, c’est le représentant Bollet qui est l’âme de la mission, comme en Vendée Ruelle. Bollet a chargé le général Humbert de faire les premières avances ; et c’est auprès de Bois-Hardy que celui-ci fait l’essai de ses talents diplomatiques.

Dès le 12 décembre 1794, on a pu attirer Bois-Hardy à une entrevue dans la lande de Gausson, près de Moncontour. Bois-Hardy ne s’est pas laissé convaincre du premier coup : mais un résultat a été obtenu ; on a piqué la curiosité et excité l’ardeur de Cormatin, impatient de briller au premier plan et d’accaparer l’honneur et peut-être les profits de l’aventure. Cormatin était une conquête plus précieuse que Bois-Hardy, plus facile aussi, puisqu’il s’offrait de lui-même aux attentions de Bollet et d’Humbert. On s’empressa d’entrer en rapports avec lui, et, comme il convenait aux prétentions et à l’importance du personnage, Humbert le conduisit bientôt au quartier général de Hoche, qui n’avait pas encore adopté le parti de l’abstention dans les négociations, car il le reçut et eut avec lui une longue conférence[3].

Cela n’avançait pas beaucoup les choses, car l’initiative si délibérément prise par ce baron de fraîche date, improvisé major général par Puisaye, sans antécédents bien connus ni bien rassurants, étranger au pays et toujours tenu quelque peu en suspicion, était loin d’avoir une grande force d’entraînement. On n’en était à vrai dire, qu’au prologue, destiné par les metteurs en scène, à tâter les dispositions individuelles et à sonder le caractère particulier de chacun de ceux pour qui allait être donnée la grande pièce, exactement calquée, pour l’intrigue et pour le plan, sur celle qui se jouait en même temps à Nantes. La distribution des rôles seule différait. L’emploi de Mme  Gasnier était tenu par la vicomtesse Turpin de Crissé et celui de Bureau de La Batardière, par M. Le Deist de Botidoux.

On connaît ce mot d’un personnage célèbre qui, interrogé sur la manière dont il avait passé le temps de la Révolution, répondait avec une certaine fierté, comme d’un tour de force accompli : « j’ai vécu ! » Bon nombre de gens auraient pu se vanter d’une adresse bien supérieure et dire « j’en ai vécu ». Le Deist de Botidoux paraît, comme Bureau de La Batardière, avoir appartenu à cette dernière catégorie.

Fils d’un contrôleur de la chancellerie près le Parlement de Bretagne, il s’était fait élire par la sénéchaussée de Ploërmel, député suppléant aux États-Généraux. Au 14 juillet, il se joignit « volontairement » à la délégation chargée d’obtenir du marquis de Launay, l’admission dans la Bastille, des troupes de la Milice parisienne. Le lendemain, il y revint, avec un ordre du marquis de La Salle, et le titre de son aide de camp, pour prendre le commandement de la place, au moment où commençait l’envahissement et le pillage. Admis, le 14 février 1790, à siéger à l’Assemblée, il vota, tantôt avec la droite, tantôt avec la gauche. Après la session, il prit du service comme capitaine, pour suivre La Fayette qui était alors le héros de la Révolution. Soupçonné d’espionnage, il sut se tirer d’affaire en donnant sa démission et en refusant de signer l’adresse contre le 20 juin 92. Après le 10 août, il se fit réintégrer dans son grade, en dénonçant La Tour Maubourg. Il devint alors président du club des Marseillais. Nommé commissaire ordonnateur à l’armée des Alpes, il fut dénoncé par Bazire comme « l’un des machinateurs envoyés par les Brissotins » et destitué. Il prit alors le commandement d’un bataillon fédéraliste et, après la défaite de ce parti, se fit le guide des Girondins en fuite, et fut accusé de trahison par Louvet. Au moment de l’organisation insurrectionnelle de la Bretagne, il s’était faufilé auprès de Puisaye et s’était fait confier par lui, les fonctions de secrétaire du Comité général royaliste dont le siège était à Locminé. Dans ce poste, il servît, a-t-on cru, d’agent secret aux républicains ; il est probable qu’il sut, en même temps, y servir le comte de Provence, car à la Restauration, il eut une charge de messager d’État à la Chambre des Pairs.

Son rôle dans les négociations entamées par Bollet, ne fut peut-être pas le moindre des services qui lui valurent cette récompense.

Le Deist de Botidoux et Boursault, qui, à ce moment, ne se montrait pas encore ennemi des négociations, cherchent à se mettre en rapport avec plusieurs des chefs ; ils leur écrivent. Mais leurs propositions obtiennent peu de succès. Le 16 décembre, Solilhac, Jouette, Bois-Hardy, remettent à Botidoux une dépêche pour Boursault, où ils déclarent « que la mauvaise foi passée ne permet pas de compter sur l’amnistie proposée ».

Cela ne décourage pas Boursault qui monte en chaire dans l’église de Moncontour, pour prêcher la pacification.

Son éloquence ne convertit personne. Bois-Hardy y répond en s’emparant des bourgs de Jugon et de Plédéliac, où il brûle les papiers des administrations et enlève l’argent des caisses publiques. Avec Chantreau, il attaque Guémené. Le 21 décembre, il surprend la 17e demi-brigade, la désarme et prend le bourg du Faouët ; ce qui n’empêche pas Humbert de lui écrire encore le 24, pour lui demander une entrevue.

La réponse de Bois-Hardy indique qu’on avait d’abord espéré séduire les chefs par des avantages personnels : « Ma cause est celle des miens et celle de la France entière. Nous ne pouvons accéder à aucune proposition et nous attendrons pour nous décider, à voir le gouvernement que de vrais Français ont le droit d’attendre. »

Ces rebuts devenaient humiliants pour le gouvernement qui faisait les avances. Aussi Boursault et Bollet se crurent-ils obligés de blâmer publiquement les démarches d’Humbert. Mais c’était seulement pour sauver la face. Car Humbert, qui certainement n’eut pas agi sans autorisation, poursuit ses démarches. Il avait paraît-il, accepté ce rôle assez ingrat, d’être mis en avant et désavoué en cas de besoin.

Il est d’ailleurs apparent par la lettre de Cormatin à Puisaye (citée plus haut) et par le changement subit d’attitude de Boursault, qu’on s’était décidé à donner aux propositions une forme plus acceptable et qu’on commença alors à faire miroiter la promesse des stipulations secrètes par lesquelles, au même moment, on faisait céder l’inflexibilité de Charette.

On obtint ainsi, Cormatin aidant, un résultat, mais vraiment assez maigre. Bois-Hardy et Chantreau signèrent un compromis, aux termes duquel ils s’engageaient à ne pas faire acte d’hostilité sans prévenir huit jours à l’avance[4]. Cette convention n’avait d’effet que pour une partie des Côtes-du-Nord. Mais il restait dans la Bretagne cinq ou six corps royalistes qui continuaient la guerre. Et dans le Bas-Maine, les chefs Scépeaux, Dieusye, Coquereau, Turpin, Terves et autres, ne voulaient rien entendre.

On multipliait cependant les efforts pour les amener à composition. Turpin voit, par une glaciale nuit d’hiver, arriver sous sa tente, le président du district de Segré, Bancelin, ami de Hoche. Il lui était envoyé par sa cousine, Mme  Turpin de Crissé, l’ardente entremetteuse de ces négociations. L’entrevue fut cordiale ; le royaliste donna même son lit au républicain, transi de froid et de fatigue. Quelques jours après, Turpin, avec trois ou quatre autres chefs, Scépeaux, Dieusye, Terves, se décidait à signer le compromis conclu avec Bois-Hardy.

Ces adhésions et les agissements de Cormatin étaient généralement très mal vus dans le parti. Cadoudal et d’Allègre s’en montraient particulièrement très irrités. Pour répondre à leurs reproches, Cormatin avait exhibé des pleins-pouvoirs de Puisaye : on eut le soupçon qu’ils étaient faux, et ils l’étaient en effet. D’Allègre fut envoyé à Londres pour éclaircir ce fait[5].

Cormatin alors avait pris un grand parti ; il avait lancé sa proclamation pour préparer les esprits dans le sens des négociations. Puis il s’était mis en route, sous le prétexte de remettre à Canclaux la lettre de Puisaye, dont il savait qu’un double se trouvait depuis plusieurs semaines entre les mains de Boursault[6].

Le véritable but de son voyage était double. Il voulait d’abord essayer de faire pression sur les chefs du Bas-Maine, et Humbert l’accompagnait à cet effet ; mais les royalistes lui avaient imposé un autre compagnon, Solilhac, chargé de le surveiller et aussi sans doute de faire connaître partout la ligne de conduite généralement adoptée par la Bretagne. Aussi les divers commandants royalistes lui refusèrent-ils l’accès de leurs arrondissements. Le second projet qu’il poursuivait était de se mêler aux négociations de La Jaunaye ; on a vu déjà dans quelles conditions il fut exclu des pourparlers ; mais les délégués conventionnels n’avaient aucune raison de refuser son adhésion, et aucun des royalistes ne put l’empêcher de signer le traité.

Au moment même où Charette écoutait des propositions, l’armistice antérieurement consenti par les chefs du Bas-Maine était dénoncé et Turpin avait repris les armes. Hoche qui, à ce moment encore, poussait au système des négociations, avait lancé une espèce de manifeste contre Turpin, qu’il qualifiait de chef de voleurs et menaçait de l’échafaud (30 pluviôse an III-18 février 95). Mais presque aussitôt il s’excusait auprès de Mme  Turpin de Crissé « de ce mouvement de colère » ; et celle-ci y répondait en redoublant d’efforts pour amener une entente.

Le traité qu’avait enfin signé Charette, était entre les mains des négociateurs un instrument précieux, avec lequel, habilement manié, on se flattait de vaincre toutes les résistances[7].

Bancelin et le conventionnel Bezard se remettent en mouvement avec une nouvelle ardeur, utilement secondés par l’action persévérante de Mme  Turpin de Crissé, qui finit par décider Scépeaux, Gourlet, Dieusye, Ginguené, Coquereau, Meaulne, Plouzin et un certain nombre d’autres chefs de la rive droite, à accepter une conférence à La Chaufournaie, près Segré, et à signer un armistice, en vue de parvenir à un accord.

Tout cela restait bien précaire et bien fragile, car peu après, une troupe de Chouans, voulant protéger un débarquement de poudres, se heurta à une colonne républicaine, et un combat eu lieu, qui fut assez sanglant.

On a vu tout à l’heure Hoche s’excusant d’un mouvement de colère. Humbert, en cette circonstance, se montra plus conciliant encore ; il se hâta d’écrire pour exprimer « ses regrets de ce triste malentendu ».

Enfin, le 28 février (10 ventôse), les signataires de l’armistice de La Chaufournaie, adhèrent au traité de Charette.

Pour obtenir de nouvelles adhésions, l’infatigable Bancelin parcourt de nouveau les cantons de Château-Gontier et de Craon. Le général républicain Le Bley fraternise avec les Chouans de son territoire. À Laval, le général Duhesme les comble de prévenances. Le conventionnel Brue et l’adjudant général Ménage s’accordent avec les chefs de bandes sur les confins du Morbihan. Avec les chefs de cette dernière contrée, qui restaient dans une attitude d’intransigeance, les représentants arrivent à nouer des rapports assez pacifiques pour obtenir d’eux la remise de prisonniers faits dans une escarmouche.

À Moncontour, une entrevue a lieu le 20 mars, entre Bois-Hardy, Chantreau, Cormatin, d’une part, Hoche et Danican, de l’autre.

Les choses sont au point où une entente générale paraît assurée. Tous les chefs ont promis de se trouver au château de La Prévalaye, qui leur est assigné comme quartier général pour les conférences qui doivent s’ouvrir avec les délégués républicains, réunis au château voisin de La Mabilais.

Tous sont en effet au rendez-vous, le 10 germinal an III (30 mars 95). Il y avait là le comte de Silz, de Scépeaux, le chevalier de Tinténiac, Cadoudal, de Busnel, Louis de Frotté, de Dieusye, Guillemot, de Bellevue, Cormatin, de Chantreau, de Bois-Hardy, de Solilhac, Terrien dit Cœur-de-Lion, d’Andigné, de Mayneuf, de Lantivy, de Geslin, Gourlet, Guinard et de La Nourais. La Bretagne, le Maine, la Normandie se trouvaient représentés par leurs principaux chefs.

À ce moment, il se passe une chose extraordinaire.


« Le général Hoche avait reçu dans l’intervalle, des pouvoirs du Comité de salut public, qui lui accordaient toute latitude pour mettre fin aux troubles de l’Ouest ; mais il refusa d’assister aux conférences. Les représentants Bollet, Lanjuinais, Guermeur, Jary, Grenot, Corbel, Defermon, Guezno, Chaillou le pressent de se joindre à eux en cette occasion solennelle. Hoche persiste dans son refus et n’en donne officiellement aucune raison plausible. Le conventionnel Boursault, qui était sur les lieux, mais qui ne prit aucune part à ces négociations, affirme dans ses notes, que le général répugnait à sanctionner les clauses secrètes auxquelles avaient adhéré à La Jaunaye, les commissaires de la Convention[8]. »

Ces deux abstentions sont singulières.

Boursault et Hoche ont admis dans le principe, le système d’un traité avec les insurgés de l’Ouest ; et tous les deux s’abstiennent quand il s’agit de conclure ce traité.

Il est évident que les motifs de l’un et de l’autre sont différents.

Boursault a pris part aux premières négociations. On peut dire qu’il s’en est retiré, — ou plutôt qu’on l’en a écarté, — au moment où elles ont pris la forme de concessions et de promesses incompatibles avec le maintien intégral des institutions républicaines. La présence à Rennes de ce conventionnel intransigeant, à côté de ses collègues occupés à transiger, est assez anormale : elle montre bien que ce qui se faisait était l’œuvre d’un parti dominant, devant lequel les autres étaient obligés de s’effacer. Mais en somme, l’attitude personnelle de Boursault s’explique assez facilement.

Hoche a suivi de près la marche des négociations en Vendée ; après le traité signé à La Jaunaye et après l’entrée de Charette à Nantes, il a continué à seconder les démarches faites en Bretagne, en vue d’un accord pareil. Le 20 mars encore, il prenait part à la conférence de Moncontour et signait le compromis qui était le préliminaire des conférences de La Mabilais.

Il en rendait compte en ces termes, au Comité de salut public.


« Plusieurs lettres des généraux Rey et Valleteaux m’ayant donné beaucoup de défiance sur les intentions des Chouans et même sur la fidélité du général Humbert, je résolus, quoique malade, de vérifier les faits, et à cet effet, je me transportai avec le général Danican à Moncontour, où je savais être rassemblés tous les chefs ; j’eus hier deux très longues conférences avec les principaux chefs, pendant lesquelles je m’efforçai de découvrir ce que je voulais savoir. La majorité paraît vouloir la paix aux conditions accordées à Charette ; quelques jeunes têtes très bouillantes et sortant des bois, paraissent avoir des prétentions très exagérées. Enfin, après les explications nécessaires de leur part et de la mienne, conformément aux arrêtés de vos collègues, nous signâmes les pièces dont je joins ici un exemplaire. »


Dix jours après, alors précisément qu’il a reçu (en conséquence de sa lettre évidemment) des pleins pouvoirs qui font de lui l’arbitre des conditions, il prend le parti de se retirer sous sa tente et refuse obstinément de se trouver au rendez-vous accepté, assigné par lui, où doivent être ratifiées les conditions accordées à Charette, conformément aux arrêtés des représentants délégués.

C’est, — dit Boursault, — parce qu’il répugnait à sanctionner les clauses secrètes. Cette allégation se complète par cette autre affirmation du même Boursault, qu’il mit sous les yeux de Hoche le texte de ces clauses secrètes, copié par lui-même, sur l’original à Nantes, et que Hoche refusa d’y croire.

Cette explication ne saurait être admise.

Il est impossible que Hoche, présent à Nantes, à côté de Frotté, chez Mme  Gasnier-Chambon, pendant les conférences de La Jaunaye, en soit reparti sans avoir appris, soit de la médiatrice, son hôtesse, soit de son camarade Canclaux, soit de quelqu’un des représentants négociateurs, soit de quelqu’un des royalistes qui l’incitaient à jouer le rôle de Monck, par quelles stipulations secrètes avait été obtenue la signature de Charette.

Il est impossible que le Comité de salut public eût envoyé à Hoche des pleins pouvoirs à l’effet de traiter aux conditions accordées à Charette, en lui laissant ignorer la partie essentielle de ces conditions.

Il est même impossible, si l’on y réfléchit, que Boursault ait pu croire à cette ignorance de Hoche ; mais il a eu l’impression que c’était quelque chose se rapportant à ces clauses secrètes qui motivait le changement subit d’attitude de Hoche.

Il faut donc qu’un fait très grave se soit produit au dernier moment, pour changer les dispositions du général en chef et pour le déterminer, lui, chargé spécialement des pleins pouvoirs du gouvernement, à cette chose énorme, de se refuser même à paraître auprès des représentants délégués. Et puisque, à priori, il acceptait la base des conditions accordées à Charette, il faut bien que ce fait fut de nature à altérer profondément la portée prévue de ces conditions.

On se trouve donc poussé jusqu’à cette supposition forcée, que les clauses secrètes concédées pour enlever l’adhésion de Charette, couvraient une intrigue ténébreuse qui était l’œuvre d’une minorité momentanément dominante dans le gouvernement et dont le succès exigeait un mystère impénétrable à ceux contre qui elle était dirigée ; et que, parmi ceux-ci, on comptait Hoche, dans une catégorie plus sévèrement signalée que celle des républicains comme Boursault.

Il faut constater de plus que le revirement de Hoche correspond à un revirement pareil et simultané de la plupart des principaux chefs de la Normandie et de la Bretagne.

Eux aussi s’étaient rendus à La Prévalaye dans l’intention de souscrire aux conditions acceptées par Charette ; eux aussi, au dernier moment, s’arrêtent et refusent de signer.

C’est, de toute évidence, qu’à ce dernier moment, ils ont été avertis que ces clauses secrètes tendaient directement contre les vues et les combinaisons qu’ils suivaient.

La conformité de leur conduite avec celle de Hoche prend ici un caractère singulièrement significatif.


  1. Michelet, Histoire de la Révolution, p. 1913.
  2. Michelet, Histoire de la Révolution, p. 1915.
  3. Ce fait est intéressant à noter. On verra que l’attitude de Hoche, celle de Boursault et de quelques autres, se modifia à partir du moment où la question des clauses secrètes commença à être agitée. — La conférence, qui dura cinq heures, donna lieu à une communication de Hoche au Comité de salut public, du 23 nivôse an III (12 janvier 95). — Vie de Hoche, par Rousselin, t. 2, p. 120.
  4. C’est Bois-Hardy qui donne l’exemple des accommodements. On verra, six mois plus tard, sa femme s’employer au profit des menées du comte de Provence.
  5. Il est très singulier, ces faits d’abus de mandat et de supposition de pouvoirs ne pouvant être mis en doute, que Puisaye se soit cru obligé de défendre Cormatin contre les reproches auxquels sa conduite a donné lieu. Cette préoccupation peut se rapporter à ce qui a été signalé plus haut, à propos des Mémoires de Puisaye. Mais relativement à ce cas spécial, il y aurait peut-être une recherche intéressante à faire.
  6. Il a été question plus haut, p. 67, de ce qui se rapporte à cette proclamation et à la lettre de Puisaye à Canclaux.
  7. « Charette et les officiers sous ses ordres, avaient cru devoir accepter les conditions offertes avec insistance par la République. Il n’y avait donc pas déshonneur à faire ce que la Vendée accomplissait dans un sentiment de patriotisme. La Bretagne, du reste, savait déjà pertinemment par ses chefs, à quelles conditions Charette avait traité, et les clauses secrètes de La Jaunaye n’étaient pas pour eux un mystère. On en voit même plus d’une trace dans leur correspondance. » (Crétineau-Joly et R. P. Drochon, t. 3, p. 237.)
  8. Crétineau-Joly et R. P. Drochon, La Vendée militaire, t. 3, p. 259.