Avant les invasions musulmanes, du temps
où les peuples de l’Inde jouissaient encore du
bonheur de vivre sous des chefs de leur nation,
une des plus riches provinces de ce vaste pays
était gouvernée par un prince nommé Krichna-Raya.
Ce bon roi mettait toute sa sollicitude à
se concilier l’amour et le respect de son peuple,
en s’appliquant à le rendre heureux. Pour y
parvenir, il apportait le plus grand soin dans le
choix de ses ministres et de ses confidens, et ne
s’entourait que d’hommes dont la prudence et
l’expérience connues lui étaient garans de leurs
sages conseils. Appadjy, son premier ministre,
jouissait particulièrement de sa confiance, parce
qu’il avait l’art de lui présenter la vérité sous le
voile d’allégories fines et agréables.
Un jour que dans le conseil il n’y avait pas
d’affaire importante à discuter, le roi s’adressant à son ministre favori. Appadjy ! lui dit-il, je veux
te soumettre une question : j’entends dire partout
que les hommes, dans leurs usages religieux
et civils, ne se conduisent que machinalement
et par routine, et qu’une religion ou
une coutume, une fois établie, ou mise en
vogue, est aveuglément suivie par la multitude,
quelque ridicule ou quelque absurde
qu’elle soit. Je désirerais vérifier la justesse de
cette assertion, pour connaître si le ridicule
appartient aux usages ou aux hommes qui les
suivent[1].
Appadjy, avec sa modestie ordinaire, promit
au roi de s’occuper de cette question et de lui
donner réponse dans peu de jours.
Le roi congédia l’assemblée, et Appadjy se
retira, l’esprit tout occupé de la question que
son maître lui avait proposée. De retour chez
lui, il fit appeler le berger qui veillait à la garde
de ses troupeaux ; c’était un homme d’un esprit
lourd et grossier, comme le sont ordinairement
les gens de cette classe : Berger, lui dit-il, il faut à l’instant quitter tes vêtemens de pâtre,
et prendre le costume d’un pénitent ; car tu vas
jouer le rôle de sanniassy pour quelque temps.
Commence donc par te barbouiller le corps avec
des cendres ; prends ensuite d’une main le bâton
à sept nœuds, de l’autre, le vase dont se servent
les gens de cette profession pour mettre
leur eau[2], et porte sous ton bras la peau de
gazelle, sur laquelle un sanniassy doit toujours
s’asseoir[3]. Dans cet équipage, tu te rendras
sans délai à la montagne voisine : là, tu entreras
dans la caverne qui se trouve au milieu de la
montagne, et étendant par terre la peau de gazelle,
tu t’asseoiras dessus dans la posture d’un
pénitent, les yeux fixés sur la terre, les narines
bouchées d’une main, et l’autre main appuyée
sur le sommet de la tête : sois attentif à
bien jouer ton rôle, et prends garde sur-tout de
me trahir. Il peut se faire que le roi, accompagné
de toute sa cour et d’une nombreuse
suite, vienne te visiter dans cette caverne ; mais
qui que ce soit qui se présente, fût-ce moi,
fût-ce le roi lui-même, sache que tu dois rester immobile dans la posture que je viens de te
prescrire ; et quelque tourment qu’on te fasse endurer,
quand bien même on t’arracherait tous
les poils du corps les uns après les autres, souviens-toi
de paraître entièrement insensible ; de
ne laisser échapper aucun signe de douleur, de
ne pas prononcer une seule parole, de ne détourner
tes regards sur personne, en un mot de
présenter l’apparence d’un homme entièrement
absorbé dans la méditation. Berger, tu as entendu
mes ordres : si tu as le malheur de t’en
écarter un instant, il y va de ta vie ; si au contraire
tu les exécutes fidèlement, une généreuse
récompense t’est réservée.
Le berger d’Appadjy, accoutumé toute sa vie
à faire paître les moutons, ne se sentait nullement
tenté de changer sa condition pour celle
de sanniassy ; cependant le ton de son maître
était si impératif, qu’il vit bien que toutes les
représentations seraient inutiles ; il fallut donc
obéir, et se préparer à jouer le rôle de pénitent.
Tous ses préparatifs faits, il se rendit
à la caverne indiquée ; et bien résolu d’exécuter
les ordres de son maître, il y attendit l’événement.
Cependant Appadjy s’était rendu au palais :
il y trouva le roi environné de tous ses courtisans, et s’étant approché d’un air grave et sérieux :
Grand Roi ! lui dit-il, pendant qu’environné de vos
sages conseillers, vous vous occupez des moyens
d’assurer le bonheur de vos peuples, pardonnez
à mon zèle si je vous interromps pour vous annoncer
que le jour est venu où, satisfaits de
vos vertus, les Dieux ont voulu vous donner
une preuve éclatante de leur protection et de
leur faveur. Au moment où je vous parle, une
grande merveille est cachée dans votre royaume,
non loin de votre résidence. Au milieu de la
montagne qui s’élève à peu de distance de votre
capitale, se trouve une caverne : là, un pénitent,
descendu sans doute du séjour du grand Vichnou,
a daigné venir établir sa demeure ; absorbé
dans la contemplation des perfections de Para-Brahma,
il est entièrement insensible à toutes
les choses d’ici-bas ; il n’a d’autre nourriture que
l’air qu’il respire : et aucun des objets qui frappent
les sens ne fait sur lui la moindre impression ;
en un mot, on peut dire que le corps
seul de ce grand personnage habite ce monde
terrestre, tandis que son âme, ses pensées et
toutes ses affections sont étroitement unies à la
divinité, et je ne doute pas que les Dieux, en
l’envoyant visiter votre royaume, n’aient voulu
vous donner une preuve éclatante de leur faveur et de leur Bienveillance pour vous et pour
vos peuples.
Le roi et ses favoris, qui avaient écouté avec
le plus vif intérêt le discours d’Appadjy, furent
tous saisis d’admiration et d’étonnement en entendant
un récit si extraordinaire ; et le prince,
de l’avis unanime de tous ses courtisans, résolut
d’aller sans délai rendre visite au prétendu pénitent
pour obtenir la faveur de sa bénédiction.
Il voulut faire cette visite dans tout l’éclat et
avec toute la pompe de la royauté, accompagné
de sa cour et escorté de ses troupes. Il fit
en même temps sonner de la trompette dans sa
ville royale pour annoncer aux habitans le sujet
de sa visite et les inviter tous à le suivre. On ne
tarda pas à se mettre en marche. Jamais cortège
aussi brillant n’avait accompagné le roi ; jamais
multitude aussi innombrable ne s’était vue rassemblée.
Le plaisir et la joie étaient peints sur tous
les visages, et chacun se félicitait d’avoir vécu
jusqu’à ce jour pour avoir le bonheur de contempler
un des plus grands personnages qui
eût jamais paru sur la terre.
Le roi arriva enfin avec son escorte à la montagne :
aux approches de la caverne où il savait
que le saint personnage, séparé de tout commerce
avec le monde, vivait dans une union intime avec la divinité, il se sentit déjà saisi d’une
crainte religieuse, et il ne loucha le seuil de ce
lieu sacré qu’avec les marques du plus profond
respect : bientôt il aperçut l’objet qu’il cherchait
avec tant d’empressement ; il s’arrêta quelque
temps pour le contempler en silence ; il vit
une forme humaine assise sur une peau de
gazelle, d’un côté une courge remplie d’eau,
et de l’autre un bâton de bambou à sept nœuds.
La tête inclinée et les yeux fixes dirigés vers la
terre, les narines bouchées d’une main, le sommet
de la tête couvert par l’autre main, le pénitent
entièrement absorbé dans la méditation,
avait le corps aussi immobile que le rocher sous
lequel il avait trouvé un asile. À cette vue, le
roi s’approcha dans un saint recueillement, et
pénétré du plus profond respect, il se prosterna
trois fois aux pieds du sanniassy et lui adressa la
parole en ces termes :
« Grand pénitent, béni soit le destin qui m’a
fait vivre jusqu’à ce jour pour me permettre de
jouir du bonheur ineffable de voir vos pieds
sacrés. Je ne sais d’où peut me venir une pareille
félicité. Le peu de bonnes œuvres que j’ai pratiquées
durant cette génération, ne peuvent
pas me l’avoir méritée, et je ne saurais l’attribuer
qu’aux vertus de mes ancêtres ou à quelques œuvres d’éclat que j’ai peut-être pratiquées
dans une génération précédente, et dont
je n’ai pas le souvenir dans celle-ci. Quoi qu’il
en soit, le jour où j’ai vu vos pieds sacrés
est assurément le plus beau et le plus heureux
jour de ma vie. Désormais je n’ai plus rien à désirer
dans le monde, j’ai reçu la plus grande faveur
qui puisse être accordée à un mortel : par
cette vue, tous les péchés que j’ai commis dans
cette génération et dans les générations précédentes
me sont remis, et je suis désormais aussi
pur que l’eau même du Gange. »
Le prétendu sanniassy entendit ce discours
flatteur sans témoigner la moindre sensibilité et
sans changer de contenance ni de posture. Cette
impassibilité ne fit qu’accroître l’étonnement et
l’admiration de la multitude qui l’entourait. Quel
grand personnage, disait-on tout bas, qui ne
daigne ni répondre à un si grand roi, ni même
jeter sur lui un seul de ses regards ! On a bien
raison de dire que le corps seul de ce saint
pénitent habite ce bas monde, et que son âme,
ses pensées et toutes ses affections sont intimement
unies à Para-Brahma.
Le roi Krichna-Raya ne pouvait se lasser d’admirer
ce grand sanniassy ; il lui adressa encore
quelques complimens aussi exagérés que celui qu’on vient de rapporter. Il espérait fixer sur lui
au moins un des regards du saint homme ; mais
tout fut inutile. Le pénitent continua de rester immobile
dans la même posture, comme un homme
absorbé tout entier dans la contemplation.
Le prince se disposait à reprendre la route
de son palais, lorsque son ministre, auteur de
cette comédie, l’arrêta : Grand roi, lui dit-il, après
être venu si loin pour visiter le saint personnage
qui va désormais devenir à juste titre l’objet
de la vénération publique, le quitterez-vous
sans avoir reçu de lui sa bénédiction ou quelque
autre don qui puisse amener le bonheur sur
le reste de vos jours ? Ce pénitent, plongé dans
la méditation, ne peut vous adresser la parole ;
cependant vous devez tâcher d’obtenir de lui
quelque don, ne fût-ce qu’un des poils dont il a
le corps tout couvert.
Le roi goûta l’avis de son premier ministre ;
il s’approcha du sanniassy, et lui arracha adroitement
un des poils qui lui couvraient la poitrine.
Je veux le conserver toute ma vie, dit-il ;
je le ferai enchâsser dans une boîte d’or que je
porterai toujours suspendue à mon cou, comme
le plus précieux de tous mes joyaux, ne doutant
point qu’une pareille relique ne soit pour moi
un talisman contre tous les accidens, et la garantie d’un bonheur certain pour le reste de ma vie.
Les ministres et les autres courtisans qui environnaient
le roi voulurent l’imiter : ils s’approchèrent
du pénitent l’un après l’autre, et
chacun d’eux lui arracha un des poils de la
poitrine, promettant, tous, de le conserver le
reste de leur vie, et d’en faire le plus précieux
de leurs ornemens. Dès qu’on sut ce que venaient
de faire le roi et ses courtisans, l’escorte
du prince et toute cette multitude presque innombrable
qui l’avait accompagné voulut suivre
cet exemple. Chacun prétendit emporter
une relique du sanniassy. Ce pauvre homme se
trouva bientôt environné par la foule, qui lui
arracha l’un après l’autre tous les poils qu’il
avait sur le corps. Mais il soutint cet horrible
supplice sans proférer la moindre plainte, sans
changer de posture et sans détourner les regards.
De retour dans son palais, le roi s’empressa
de raconter à ses femmes la merveille dont il
venait d’être témoin et leur montra la relique
qu’il avait apportée, c’est-à-dire le poil qu’il
avait arraché de la poitrine du sanniassy. Les
reines considérèrent long-temps avec admiration
la précieuse relique et témoignèrent le plus vif
regret de ce que les lois rigoureuses imposées à leur sexe ne leur eussent pas permis d’accompagner
leur mari à la caverne ; elles sollicitèrent,
comme la plus grande des faveurs, la grâce de
faire transporter ce pénitent dans le palais, pour
avoir aussi le bonheur de le contempler et de
choisir de leurs propres mains un des poils
qui couvraient le corps de ce saint personnage.
Il fallut de grandes instances pour fléchir le
roi ; enfin il consentit aux désirs de ses femmes,
et voulant, dans cette circonstance, honorer le
sanniassy autant qu’il était en lui, il envoya sa
cour et toutes ses troupes, infanterie et cavalerie,
pour l’escorter. Quand on fut arrivé à la caverne,
encore environnée de la multitude, qui
se disputait les poils du sanniassy, quatre personnes
des plus distinguées s’approchèrent de
lui, et après lui avoir exposé le sujet de leur
mission, prirent entre leurs bras le pénitent immobile
et le placèrent dans un superbe palanquin,
dans la même posture où il était dans sa caverne.
Le berger fut ainsi emmené et promené
avec pompe dans les rues de la ville, au milieu
d’une foule innombrable, qui poussait des cris
de joie et faisait retentir l’air des louanges du
saint personnage.
Le pauvre pâtre était à jeun depuis deux jours ;
il avait enduré un supplice cruel ; il s’était senti arracher, les uns après les autres, tous les poils
qu’il avait sur le corps. On pense bien qu’il était
loin d’être satisfait de toute cette comédie ; il
ne fallait rien moins que la crainte de la colère
de son maître, et l’espoir que cette farce jouée
à ses dépens allait bientôt finir, pour le contenir
et l’empêcher de déclarer ce qu’il était réellement.
Qu’avais-je à faire, se disait-il en lui-même,
de me charger d’un rôle qui m’expose
à tant de souffrances ? J’aimerais cent fois mieux,
au milieu de mon troupeau, entendre les rugissemens
des tigres des forêts, que d’entendre les
cris de joie et les acclamations de cette multitude
insensée. Auprès de mes moutons, à l’heure
qu’il est, j’aurais déjà fait mes deux repas, et
depuis deux jours je suis à jeun, ignorant encore
quand et comment se terminera cette scène.
Pendant que le prétendu sanniassy s’abandonnait
à ces tristes réflexions, on arriva au palais
du roi, et il fut transporté dans un superbe appartement,
où il ne tarda pas à recevoir la visite
des princesses. Elles vinrent d’abord se prosterner
à ses pieds les unes après les autres, et
après l’avoir admiré quelque temps en silence,
chacune d’elles désira posséder un de ses poils
pour l’enchâsser dans une boîte d’or et le placer
parmi ses plus précieux joyaux. Vainement en cherchèrent-elles sur les parties visibles de son
corps ; la multitude presque infinie de dévots qui
les avaient précédées, les avaient tous arrachés.
Enfin, après avoir regardé sur toute l’étendue de
son corps, elles en découvrirent par-ci par-là, dans
les replis de sa peau, quelques-uns qui avaient
échappé aux yeux de la foule. Leur dévotion satisfaite,
elles admirèrent encore quelque temps
le pénitent, toujours immobile et absorbé dans
la méditation, et quand enfin elles se furent retirées,
le roi ordonna que le sanniassy fût laissé
seul pendant la nuit, pour jouir tranquillement
du repos dont il devait avoir besoin après tant
de fatigues et de souffrances.
Cependant Appadjy ne tarda pas à trouver les
moyens de s’introduire, sans être vu, dans l’appartement
où son pauvre berger avait été laissé,
accablé de faim et de souffrances. Il se hâta de
le consoler : Berger, lui dit-il, ton temps d’épreuve
est fini ; tu as bien joué le rôle que je
t’avais prescrit, et je suis content de toi. Je t’ai
promis une récompense, tu peux être certain
que je tiendrai ma parole ; en attendant, quitte
cet extérieur de sanniassy pour reprendre tes
vêtemens de berger, et va chercher le repos et la
nourriture dont tu dois avoir un si grand besoin ;
demain matin, tu retourneras aux soins de ton troupeau. Le berger ne se le fit pas répéter ; il partit
sur-le-champ par le passage dérobé que son
maître lui montra, bien résolu de ne plus jamais
être la dupe de pareilles jongleries.
Le lendemain matin, le roi, croyant retrouver
le prétendu pénitent dans le lieu où on l’avait
laissé la veille, se rendit avec les principaux de
ses officiers pour lui réitérer les hommages de
son profond respect. Quel fut leur étonnement
lorsqu’ils trouvèrent qu’il avait disparu ! Cependant
ce dénouement inattendu ne fit qu’augmenter
leur foi et leur dévotion. Dès-lors ils
ne doutèrent plus que ce ne fût une divinité
bienfaisante, qui, sous une forme humaine,
avait daigné faire une visite passagère en ces
lieux pour donner au roi et à ses peuples une
marque particulière de protection, et qui, dans
le silence de la nuit, était retournée dans le séjour
de félicité d’où elle était descendue. L’histoire
de son apparition et de sa disparition
fit, durant quelques jours, le sujet de toutes
les conversations à la cour, à la ville et dans
tout le royaume. À la fin on s’ennuya de répéter
toujours la même histoire, et elle paraissait oubliée,
ou du moins ne s’en entretenait-on plus
que comme de tout autre événement extraordinaire.
Un jour, Appadjy se trouvait à la cour, le roi
lui rappela la question qu’il lui avait auparavant
proposée. Appadjy, lui dit-il, eh ! bien,
qu’as-tu décidé ? Qui doit-on accuser de ridicule,
les usages ou les hommes ? Est-il vrai que,
dans leurs pratiques religieuses et civiles, les
hommes ne suivent que la routine, qu’ils ne
font que ce qu’ils voient faire aux autres ? Et
pourrais-tu me prouver qu’il suffit que quelqu’un
donne le ton pour que la multitude suive
aveuglément et sans réflexion la route qui lui a
été tracée ?
Appadjy n’attendait que l’occasion de parler ;
il entendit avec plaisir le roi lui rappeler cette
question, et quand il eut reçu la permission de
s’exprimer sans déguisement : Grand roi ! lui dit-il,
cette question est jugée sans retour, c’est vous-même
qui l’avez résolue. Vous souvient-il d’une
visite que vous n’avez pas dédaigné de faire, il y
a quelques jours, à la caverne de la montagne
voisine pour y voir le grand pénitent qui était
venu y faire sa demeure ? Eh ! bien, ce saint
homme, ce personnage illustre n’est rien de plus
que le berger qui, depuis bien des années, est
occupé à faire paître mes troupeaux, un rustre
qui, par ses manières grossières et dégoûtantes,
ne peut inspirer que du mépris pour sa personne. C’est pourtant à un pareil être que vous
et toute votre cour avez rendu des honneurs divins,
et cela sur mon seul témoignage. La multitude,
sans autre examen, s’est décidée aveuglément
d’après votre exemple ; et sans rien connaître
de l’objet de sa dévotion, elle s’est livrée
à tous les excès d’un zèle fanatique envers un
pâtre et un homme sans naissance, sans éducation
et presque sans raison. Reconnaissez, par
cet exemple frappant, que la conduite des hommes,
dans leurs pratiques religieuses et civiles,
n’est en effet qu’une pure routine, et pardonnez-moi,
si, par mon artifice, votre propre
exemple a justifié la vérité de cet ancien proverbe :
« Quelque ridicules que puissent paraître
les coutumes et les usages, les hommes qui les
suivent le sont encore davantage. »
Le roi Krichna-Raya, loin de s’offenser de la
liberté dont son ministre avait usé pour lui découvrir
la vérité d’une manière frappante sur
un point aussi important, l’avança davantage
dans son affection et sa confiance, et continua
toujours de le regarder comme le plus fidèle
de ses sujets et le meilleur de ses amis.
FIN DU CONTE CINQUIÈME.
↑Question proverbiale fort en usage dans le pays et connue de tout le monde : Djatra-maroulo ? Djéna-maroulo ?
Sont-ce les usages qui sont ridicules ou bien les hommes qui les suivent ? À quoi l’on répond : Djéna-maroulo, ce sont les hommes qui sont ridicules.