Le Perroquet chinois/XIII — Ce que vit M. Cherry

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Traduction par Louis Postif.
Ric et Rac (p. 182-192).

Chapitre treizième

CE QUE VIT M. CHERRY.

— Bonsoir, dit Bob Eden. J’espère qu’on ne vous dérange pas ?

D’un pas lourd, l’homme descendit de la plate-forme.

— Bonsoir, Monsieur et Mademoiselle. Il serra gravement la main de Bob et celle de Paula. Vous ne me dérangez nullement. J’approche de la quarantaine… je ne suis plus leste comme autrefois.

— Nous passions par ici… commença Bob.

— Les visiteurs sont plutôt rares, interrompit le bonhomme. Je m’appelle Cherry… William Cherry… Mettez-vous donc à l’aise. Les fauteuils manquent de confort, Mademoiselle.

— Cela n’a pas d’importance, dit Paula en s’asseyant sur le marchepied de la voiture.

— Nous nous reposerons une minute avec plaisir, fit Eden.

— Voici l’heure du dîner, observa M. Cherry, soucieux de se montrer hospitalier. Si on cassait la croûte ? J’ai une boîte de haricots et un bout de lard…

— Impossible, lui répondit Eden. Nous vous remercions de votre amabilité, mais nous devons retourner sans tarder aux Sept Palmiers.

Bob Eden s’assit sur le sable chaud. Le brave homme alla à l’arrière de la voiture et en rapporta bientôt une caisse à savon vide. L’ayant en vain offerte à son hôte, il la prit lui-même en guise de siège.

— Vous habitez une jolie maison de campagne ! observa Bob.

— Une maison ? L’autre le regarda d’un œil critique. Voilà trente ans que je n’ai couché dans une maison. Dites plutôt un abri temporaire.

— Vous y êtes depuis longtemps ?

— Trois ou quatre jours. Mes rhumatismes me tourmentent, mais je repars demain.

— Où allez-vous ?

— Plus loin.

— Où cela se trouve-t-il donc, plus loin ?

— Quelque part, là-bas…

— Qu’espérez-vous trouver là-bas ? demanda Paula.

— Une fois, j’ai découvert une mine de cuivre, mais on m’en a dépouillé. Cependant, je ne me lasse pas de chercher.

— Y a-t-il longtemps que vous vivez dans le désert ?

— Vingt ou vingt-cinq ans.

— Et avant cela ?

— J’ai prospecté en Australie et travaillé dans les soutes des grands transats.

— Vous êtes né en Australie ?

— Moi, non… dans l’Afrique du Sud. Je suis Anglais.

— Comment diable avez-vous échoué en Australie ?

— Oh ! je ne m’en souviens plus, jeune homme. Pendant quelque temps, j’ai fait le boucanier dans l’Amérique du Sud et au Mexique. Sans doute quelque chose m’attira en Australie… J’y suis allé… comme je suis venu ici. C’était… là-bas, et je suis parti.

— Vous avez dû en voir des choses !

— Certes. Un docteur me recommandait ces jours derniers de porter des lunettes. Pas la peine, docteur, j’ai vu tout, répondis-je en me sauvant.

Un silence. Bob Eden se demandait comment arriver à son affaire.

— Vous… vous dites que vous êtes ici depuis trois ou quatre jours ?

— Oui.

— Vous souvenez-vous de l’endroit où vous vous trouviez mercredi soir ?

M. Cherry dévisagea sévèrement le jeune homme.

— Et si je vous dis que je ne m’en souviens plus ?

— Je puis vous rafraîchir la mémoire. Vous étiez au ranch de Madden, près d’Eldorado.

Lentement M. Cherry enleva son chapeau mou et de ses doigts noueux retira un cure-dents de la bande de cuir intérieure. D’un air de défi, il commença de se curer les dents.

— Je m’y trouvais peut-être. Et après ?

— Je désirerais parler avec vous de ce qui se passa au ranch cette nuit-là.

Cherry le regarda de près.

— C’est la première fois que j’ai l’honneur de vous voir. Je crois pourtant connaître tous les shériffs et représentants de la police à l’ouest des Montagnes Rocheuses.

— Ainsi vous admettez implicitement qu’il s’est produit au ranch de Madden un événement susceptible d’intéresser la police ? répliqua vivement Eden.

— Je n’admets rien du tout.

— Vous êtes au courant du drame qui eut lieu au ranch de Madden mercredi soir et je tiens à le savoir.

— Je ne parlerai pas, répondit Cherry avec entêtement.

Eden changea de tactique.

— Que faisiez-vous au ranch de Madden ?

— Rien du tout. Comme je vous l’ai dit, j’erre dans le désert et, de temps à autre, je m’aventure de ce côté-là. Moi et le vieux domestique Louie Wong, nous sommes de bons amis. Quand je m’arrête au ranch, il me donne à manger et me laisse coucher dans la grange. Il s’ennuie dans cette grande maison et les visites le distraient.

— Un bon vieux, ce Louie Wong, suggéra Eden.

— Une pâte d’homme.

Eden ajouta d’une voix lente :

— Eh bien ! apprenez que Louie Wong a été assassiné.

— Assassiné ?

— Frappé dans le côté, dimanche dernier, près de la grille du ranch… On ne connaît pas l’assassin.

— Une canaille ! grommela Cherry indigné.

— C’est bien mon avis. Je ne suis pas un policier, mais je fais tout mon possible pour découvrir le meurtrier. Ce dont vous avez été témoin mercredi soir a certainement décidé du sort de Louie Wong. J’ai besoin de votre aide. Parlerez-vous à présent ?

M. Cherry retira son cure-dents de sa bouche et l’examina pensivement.

— Oui, je parlerai. J’espérais me tenir éloigné des tribunaux et des juges. Très peu pour moi de ce monde-là ! Cependant, je suis un honnête homme et n’ai rien à cacher. Je parlerai donc, mais je ne sais par où commencer.

— Voulez-vous que je vous aide ? proposa Eden, avec empressement. L’autre soir, au ranch de Madden, vous avez peut-être entendu un homme crier : « Au secours ! Au secours ! À l’assassin ! Lâchez ce revolver ! Au secours ! », enfin des appels de ce genre…

— Oui, je n’ai rien à dissimuler. Voilà exactement les paroles que j’ai entendues.

— Et après cela… vous vîtes quelque chose ?

Le bonhomme acquiesça d’un signe de tête.

— Je fus témoin d’un drame. Louie Wong n’a pas été le seul homme assassiné au ranch de Madden.

Eden remarqua que Paula ouvrait de grands yeux effrayés.

M. Cherry replaça le cure-dents dans sa bouche, mais n’en parla pas moins clairement.

— La vie joue parfois des tours pendables. Je considérais ce meurtre comme un secret de plus entre moi et le désert. Je me disais : « Personne ne te connaît, on ne te questionnera point. » Erreur ! Bon gré, mal gré, il me faudra raconter ce que j’ai vu. Cela ne m’inquiète pas outre mesure ; cependant, je préférerais ne pas me présenter devant le tribunal.

— Je puis vous épargner cet ennui. Vous disiez avoir été témoin d’un meurtre…

— Mercredi dernier, dans la soirée, je me suis rendu au ranch de Madden. En pénétrant dans la cour, je constate qu’il n’y a rien à faire : de la lumière à toutes les fenêtres, une grande limousine devant la grange, à côté du vieux tacot de Louie : le patron est là. Harassé de fatigue, je me dispose tout de même à attendre Louie. Peut-être obtiendrai-je un petit repas et un coin pour coucher sans laisser soupçonner ma présence au millionnaire.

« Je dépose donc mon baluchon dans la grange et me dirige vers la cuisine. Louie ne s’y trouve point. Sur le point de m’éloigner, j’entends un cri venant de la maison, une forte voix d’homme très distincte : « Au secours ! Lâchez ce revolver ! Je vous reconnais ! Au secours ! Au secours ! » Jugeant inutile de me créer des ennuis, je demeure quelques instants indécis… De nouveau les cris retentissent… cette fois, ce n’est pas une voix humaine, mais la voix de Tony, le perroquet chinois. Ces paroles, prononcées par l’oiseau, prenaient un accent plus horrible encore. Puis j’entends une détonation… on a tiré un coup de revolver. Le coup semble venir d’une chambre éclairée, à l’une des ailes de la maison… une fenêtre est ouverte. Je m’approche et un nouveau coup retentit, suivi d’un gémissement. Sûrement le coup a porté. Je m’avance tout près de la fenêtre et je regarde à l’intérieur.

Cherry fit une pause.

— Alors ? demanda Bob Eden, haletant.

— Alors je vois une chambre à coucher, et l’homme, debout, tient encore à la main le revolver fumant. Malgré son air farouche, il semble effrayé de son acte. Un corps gît sur le parquet, de l’autre côté du lit, mais je ne distingue que ses souliers. L’homme se tourne vers la fenêtre, l’arme toujours à la main.

— Qui donc ? demanda Bob Eden. Qui tenait un revolver ? Martin Thorn ?

— Thorn ? Vous voulez dire le petit secrétaire à l’air sournois ? Non. Je parle de son patron, Madden, P. J. Madden en personne.

Il y eut un instant de silence angoissant.

— Diable ! s’écria Eden. Madden ? Vous prétendez que Madden… Impossible ! Êtes-vous sûr de ce que vous avancez ?

— Absolument sûr. Je le connais fort bien. Je l’ai vu au ranch il y a trois ans. Un homme fort, à la figure rouge et aux fins cheveux gris… je ne pourrais me tromper à son sujet. Il resta debout, l’arme à la main, et se tourna du côté de la fenêtre. Je me reculai dans l’ombre. À cet instant précis, Thorn, l’homme dont vous parlez, se précipita dans la pièce en s’écriant : — Qu’avez-vous fait là ? — Je viens de le tuer ! — Espèce d’imbécile ! fit Thorn. Ce n’était point nécessaire ! — Madden laissa tomber le revolver. — Et pourquoi pas ? Il me faisait peur. — Vous avez toujours eu la frousse de ce type-là, ricana Thorn. Vous n’êtes qu’un lâche. L’autre fois, à New-York… — Madden le foudroya du regard. — Ne me parlez plus de cela. À présent, réfléchissez à ce qu’il convient de faire.

Le bonhomme s’arrêta et regarda ses auditeurs.

— Alors, Mademoiselle et Monsieur, je déguerpis. Que pouvais-je faire de mieux ? Cette affaire ne me concernait point et je ne tenais nullement à témoigner devant les juges. Retire-toi dans la nuit, me dis-je, la nuit bienveillante qui te protège depuis tant d’années. Décampe : à d’autres les soucis ! Je courus à la grange reprendre mon baluchon et, au moment où j’en sortais, une automobile pénétrait dans la cour. Je me faufilai par la grille et, une fois sur la route, je me crût en sûreté. Comment vous êtes parvenus à me dénicher ? pour moi, c’est un mystère. Mais je suis honnête et n’ai rien à me reprocher sur la conscience. Voilà toute l’histoire… toute la vérité. À vous de m’épargnez la barre des témoins !

Bob se leva et fit quelques pas sur le sable.

— Bigre ! Cette affaire est grave… Vous savez que Madden est un des personnages les plus éminents d’Amérique…

— Aussi ne le ferez-vous jamais pincer pour le crime qu’il a commis. Il trouvera toujours le moyen de se défiler… Il invoquera le cas de légitime défense.

— Que non ! Du moins si vous répétez votre histoire. Il faut que vous m’accompagniez à Eldorado…

— Attendez un peu. Je n’ai nullement l’intention d’aller étouffer en ville… à moins que ce ne soit indispensable. Je vous ai dit ce que j’ai vu et je le répéterai devant quiconque voudra l’entendre. Mais je ne vous accompagne point à Eldorado… Ne comptez pas là-dessus.

— Voyons…

— Dites-moi, connaissez-vous l’identité de l’homme étendu derrière le lit ? Avez-vous retrouvé son cadavre ?

— Non, mais…

— Je m’en doutais. Dans ce cas, vous commencez seulement votre besogne. Que vaut mon témoignage contre la parole de P. J. Madden, si vous ne fournissez aucune preuve à l’appui de mes affirmations ? Opérez d’abord vos recherches.

— Vous avez peut-être raison.

J’ai certainement raison, rectifia M. Cherry. Je vous ai rendu service ; à présent, si vous voulez m’obliger, utilisez les renseignements que je viens de vous donner, mais ne me mêlez point à cette histoire. En cas de besoin, vous me trouverez dans une semaine aux Aiguilles… où je vais me reposer un peu chez mon vieil ami, Slim Jones. Ma proposition est raisonnable. Qu’en pensez-vous, Mademoiselle ?

— Je n’y trouve rien à redire, répondit la jeune fille en souriant.

— Je vous remercie de votre amabilité, M. Cherry, et je ne veux point vous voir suffoquer en ville. Vos confidences peuvent m’être très précieuses et, si possible, je vous éviterai de venir témoigner au tribunal.

Le brave homme se leva péniblement et tendit la main à Bob.

— Topez-là ! Vous êtes un homme d’honneur. Je n’essaie point de sauver Madden… Je me présenterais à la barre s’il le fallait… J’espère toutefois n’y être point appelé.

M. Cherry, au revoir. Enchanté d’avoir fait votre connaissance.

— Moi de même. J’aime bavarder de temps à autre. De plus, le plaisir de regarder une jolie demoiselle… Je n’ai pas besoin de lunettes pour cela.

Ils prirent congé du mineur qui demeura debout près du tram. Un moment, ils marchèrent en silence.

— Vous avez entendu les paroles de ce brave homme ? demanda bientôt Eden.

— Je ne puis y ajouter foi.

— Vous y croirez plus aisément lorsque je vous aurai dévoilé certains faits. Vous connaissez déjà une partie du mystère du ranch de Madden ; il n’y a pas de raison que vous n’en sachiez autant que moi.

— Je vous écoute.

— Voici je suis venu ici pour conclure une affaire avec P. J. Madden. Inutile d’entrer dans les détails. La première nuit que je passai au ranch…

Un par un, il relata les événements survenus dans la demeure du millionnaire, en commençant par le cri du perroquet dans la nuit.

— À présent, vous voilà renseignée. Quelqu’un a été tué avant Louie. Qui ? Nous l’ignorons. Par qui ? Aujourd’hui, nous tenons la réponse à cette question.

— Tout cela me paraît incroyable.

— Vous n’ajoutez pas encore foi au récit de Cherry ?

— Ces individus qui vagabondent dans le désert deviennent parfois un peu bizarres. Et puis… il a la vue mauvaise ; il parlait de ce docteur de Redlands…

— Je sais. Cependant je crois que Cherry a dit la vérité. Après ces quelques jours passés auprès de Madden, je le soupçonne capable de tout. Il est cruel, et si quelqu’un le gêne… bonne nuit ! Un homme se trouvait sur son chemin… il n’y resta pas longtemps. Qui ? À nous de le découvrir.

— Nous ?

— Eh oui… vous êtes mêlée à cette affaire à présent, que vous le vouliez ou non.

Je crois bien que cela me plaira, répondit Paula Wendell.

Ils remisèrent leurs chevaux harassés aux Sept Palmiers et, après un léger repas à l’auberge du pays, ils prirent le train pour Eldorado. Charlie et Will Holley attendaient dans la gare.

— Allo ! fit le journaliste. D’où venez-vous, Paula ? Eden, voici Ah Kim. Madden l’a envoyé vous chercher.

— Bonsoir, Messieurs, s’écria joyeusement Eden. Avant de retourner au ranch, arrêtons-nous au bureau du grand journal l’Eldorado Times. Je vous apprendrai du nouveau.

Lorsqu’ils entrèrent dans le bureau, où Ah Kim pénétra avec une répugnance visible, Eden referma la porte et annonça :

— Mes amis, les nuages se dissipent. Je tiens enfin des certitudes. Miss Wendell, avant d’aller plus loin, je vous présente Ah Kim. Nous l’appelons ainsi depuis quelques jours. En réalité, vous avez l’inestimable honneur de faire la connaissance du détective sergent Charlie Chan, de la police d’Honolulu.

Le Chinois s’inclina.

— Enchantée, sergent, dit la jeune fille.

Elle s’assit sur le coin de la table de Holley.

— Ne me regardez pas de cet œil, Charlie, fit Eden en plaisantant. Vous me fendez le cœur. Nous pouvons avoir confiance en Miss Wendell. Elle en sait, du reste, plus long que vous en ce qui concerne l’affaire du ranch. Messieurs, veuillez vous asseoir.

Intrigués au plus haut point, Chan et Holley trouvèrent des sièges.

— Ce matin, je réclamais un peu de lumière, continua Eden. Je l’ai enfin trouvée. Mon voyage à Barstow est des plus fructueux, Charlie. Miss Wendell et moi, au cours d’une promenade à cheval au Défilé de la Solitude, avons rencontré et interviewé le petit bonhomme à barbe noire… notre rat du désert.

— Cela devient intéressant, fit Holley.

Les yeux de Chan étincelèrent.

— Vous aviez deviné juste, Charlie, un meurtre avait été commis au ranch avant notre arrivée… et je connais l’assassin.

— Thorn ! suggéra Holley.

— Non, Messieurs. Mercredi soir, le grand patron, Madden en personne, a tué un homme : nouvelle distraction des gros magnats !

— Impossible ! déclara Holley.

— Vous en doutez ? Eh bien, écoutez-moi.

Eden répéta le récit de Cherry, le vieux vagabond.

Chan et Holley prêtèrent l’oreille dans un silence plein d’étonnement.

— Où se trouve ce vieux mineur ? demanda Chan, quand Eden eut terminé.

— Voilà le défaut de la cuirasse, Charlie. J’ai laissé échapper le témoin. Il suit son chemin, toujours plus loin. Mais je sais de quel côté il dirige ses pas et nous pouvons le rejoindre en cas de besoin. Nous avons d’autres affaires à régler avant cela.

— Je crois bien, acquiesça Holley. Tout de même, cela m’étonne de Madden.

— Voici un des cas les plus bizarres de ma carrière, avoua Chan. Dans la plupart des crimes, on vous montre un cadavre étendu sur le parquet ; le policier à l’aide de témoignages fournis par l’enquête s’efforce de découvrir l’assassin. Ici il se passe quelque chose d’anormal : je connais le nom du meurtrier et j’ignore le nom de la victime. Quel est le mobile du crime ? Autre question sans réponse.

— Peut-être devrions-nous en référer au shériff, proposa Bob.

— Que se passera-t-il alors ? dit Charlie Chan en fronçant le sourcil. Le capitaine Bliss arrive sur ses grands pieds, commettant une bévue à chaque pas. Le shériff se trouve en présence d’une situation inextricable. La puissance de Madden épouvante ces hommes et le millionnaire s’en tire indemne. Je vous en prie, Messieurs, laissez le shériff de côté, à moins que vous n’ayez perdu confiance dans le détective sergent Chan.

— Pas un instant, Charlie, nous n’avons douté de votre compétence, protesta Bob. Nous vous laissons la direction de l’affaire.

— Merci. Une énigme aussi embrouillée stimule la fierté professionnelle. J’irai au fond des choses ou je perdrai la face. Ayez seulement la bonté d’observer mes mouvements.

— Je n’y manquerai point. Voulez-vous que nous retournions au ranch maintenant ?

Devant l’Hôtel du Désert, Bob Eden tendit la main à Paula Wendell.

— Mademoiselle, je viens de passer une journée délicieuse… un seul nuage au tableau…

— Lequel ?

— Wilbur. Je commence à trouver ce garçon insupportable.

— Pauvre Jacques ! Vous le jugez mal. Bonne nuit !… et…

— Et quoi ?

— Soyez prudent… là-bas, au ranch…

— Je prends toujours soin de ma petite personne. Bonne nuit !

Sur la route sombre, Chan demeura silencieux. Dans la cour du ranch, Eden et lui se séparèrent. Quand le jeune homme pénétra dans le patio, il y trouva Madden, vêtu d’un pardessus, assis devant un feu mourant.

Le millionaire sursauta, puis se leva d’un bond.

— Bonsoir. Eh bien ?

— Eh bien ? répéta Eden, qui avait entièrement oublié le but de sa mission à Barstow.

— Avez-vous vu Draycott ? murmura Madden.

— Oh…

Le jeune homme hésita à ce souvenir. Il devait proférer un nouveau mensonge. Quand cela se terminerait-il ?

— Il se trouvera demain à la porte de la Banque de Pasadena… à midi juste.

— Entendu. Demain, je serai parti avant que vous ne soyez debout. Vous n’allez pas vous coucher tout de suite ?

— Si, je me sens très las.

Madden entra dans la grande salle. Bob Eden regarda les épaules larges et la stature colossale de cet homme… de ce millionnaire qui semblait tenir le monde dans sa main et qui, poussé par la crainte, avait tué un de ses semblables.