Le Perroquet chinois/XVII — Sur les traces de Madden
Chapitre dix-septième
SUR LES TRACES DE MADDEN.
Une heure plus tard, Bob Eden répondit au téléphone. Fort heureusement, il se trouvait seul au salon. Paula Wendell parlait à l’autre bout du fil.
— Quoi de nouveau ? demanda le jeune homme.
— Rien d’intéressant. Lorsque nous sommes rentrés en ville, Eddie, sans perdre une seconde, a fait ses paquets, payé sa note et quitté l’hôtel. Je l’ai rattrapé en courant. « Écoutez, Eddie, je voudrais vous dire un petit mot. — Impossible pour l’instant, me répondit-il en me montrant la gare. Je prends le train pour Los Angeles. » Et il eut juste le temps de grimper en wagon quand le train démarra.
— Bizarre, observa Eden. En temps ordinaire, il serait retourné avec la troupe en automobile, n’est-ce pas ?
— Certainement. Il est venu ici avec les autres. Je vous présente toutes mes excuses, patron : j’ai échoué dans ma mission. Il ne me reste qu’à dévorer ma honte.
— Vous avez fait pour le mieux.
— Oui, mais sans résultat. Dans une heure, je pars pour Hollywood en voiture. Serez-vous ici à mon retour ?
Eden soupira.
— Moi ? Je commence à croire que je resterai toujours ici.
— Quel malheur !
— Que dites-vous là ?
— Je dis que c’est fâcheux pour vous.
— Oh ! merci ! J’espère vous revoir bientôt.
Il raccrocha le récepteur et sortit dans la cour. Ah Kim flânait auprès de la cuisine. Ensemble, ils pénétrèrent dans la grange.
— Nous avons fondé nos espoirs sur du sable mouvant, dit Eden.
Il répéta sa conversation téléphonique avec Paula Wendell. Chan ne témoigna aucune surprise.
— J’aurais parié gros que ce départ devait avoir lieu. Eddie Boston connaît l’histoire de Delaney et il l’a exprimé devant Madden. À quoi bon essayer d’interroger l’acteur ? Madden lui a parlé le premier.
Bob Eden se laissa choir dans un vieux fauteuil et prit la tête entre ses mains.
— Je suis découragé, avoua-t-il. Charlie, un mur de pierre se dresse devant nous.
— Plus d’une fois dans ma carrière je me suis trouvé en pareil cas. Alors, je cogne ma vieille tête de tous côtés jusqu’à en avoir mal. Et soudain une idée jaillit de mon cerveau. Je contourne le mur…
— Que proposez-vous de faire ?
— Diriger nos recherches vers un autre but… Trois noms de ville me trottent par la tête… Pasadena, Los Angeles, Hollywood.
— Trois villes charmantes, mais comment nous y rendre ? Ah ! mais j’y pense ! Madden me disait ce matin que je devrais aller à Pasadena trouver Draycott. Il paraît que, par un étrange hasard, ils ne se sont pas rencontrés hier.
Chan sourit.
— Vous en a-t-il témoigné quelque rancune ?
— Non. Je crois qu’il ne désirait pas voir Draycott tant que Gamble était à ses trousses. Paula Wendell se rend ce soir à Los Angeles. Si je me presse, peut-être pourrai-je faire route avec elle jusqu’à Pasadena.
— À mon avis, ce serait une promenade ravissante. Hâtez-vous. Nous reprendrons notre entretien dans la petite bagnole tandis que je ferai le chauffeur de taxi jusqu’à Eldorado.
Bob Eden courut à la chambre de Madden. Par la porte ouverte, il vit le millionnaire étendu sur son lit : ses ronflements troublaient le calme après-midi. Bob Eden frappa très fort.
Madden se dressa brusquement sur son séant, les yeux grands ouverts et fixes comme quelqu’un qui s’attend à de graves ennuis. À cet instant, Eden eut pitié du grand homme. Madden se trouvait pris dans une situation inextricable. Cela ne faisait pas l’ombre d’un doute. Il luttait, malgré sa lassitude… il n’était pas heureux avec tous ses millions.
— Excusez-moi de vous déranger, monsieur Madden, mais voici : l’occasion se présente pour moi de voyager jusqu’à Pasadena en automobile, avec quelques artistes de cinéma. Il vaut peut-être mieux que j’en profite, car Draycott n’a pas téléphoné…
— Chut ! fit Madden en fermant la porte. La venue de Draycott ne regarde que vous et moi. Sans doute mes façons d’agir vous intriguent-elles ?… Entre nous, le professeur Gamble me paraît jouer un drôle de jeu. Retrouvez Draycott et dites-lui de venir à Eldorado. Qu’il descende à l’Hôtel du Désert et garde sa langue dans sa poche. D’ici peu j’entrerai en communication avec lui. En attendant, qu’il se tienne tranquille, est-ce compris ?
— Parfaitement, M. Madden. Je regrette que les choses aient ainsi traîné en longueur…
— Oh ! cela va bien ! Dites à Ah Kim de vous conduire à Eldorado, à moins que vos amis ne viennent jusqu’ici vous prendre.
— Non, je devrai recourir à Ah Kim. Merci, monsieur.
— Bonne chance, répondit Madden.
Eden fourra quelques objets dans sa valise et attendit dans la cour que l’automobile fût avancée. Gamble parut bientôt.
— Vous nous quittez, M. Eden ? demanda-t-il de son air le plus aimable.
— Je ne vous donnerai pas ce plaisir… un simple petit voyage.
— Pour affaires, sans doute ?
— Sans doute, répéta Eden en souriant.
À ce moment, la voiture et son chauffeur chinois sortit du garage, et Bob Eden sauta à l’intérieur. De nouveau, les deux amis contemplèrent le soleil qui se couchait dans ses voiles d’or.
— Charlie, j’avoue mon ignorance dans le métier de détective. Comment dois-je opérer ?
— Ne vous inquiétez pas. Je rôderai à vos côtés et j’abattrai de la besogne.
— Vous ? Comment parviendrez-vous à quitter le ranch ?
— C’est très simple : demain matin je demanderai un jour de congé pour aller voir un frère malade à Los Angeles, prétexte très courant chez les domestiques chinois. Madden sera furieux, mais ne soupçonnera rien. Le train quitte Eldorado à 7 heures du matin et arrive à Pasadena à 11 heures. Pourrai-je vous demander de venir m’attendre à la gare ?
— J’irai avec plaisir. Ainsi nous commençons par Pasadena ?
— Voici mon plan de campagne : nous nous rendons à Pasadena pour surveiller les faits et gestes de Madden. Que se passe-t-il à la banque ? Madden a-t-il été mercredi à sa propriété ? Ensuite, nous partirons pour Hollywood et nous rendrons visite à Eddie Boston. Après quoi nous demanderons à la chanteuse de nous parler de Delaney.
— Fort bien. Mais de quel droit interrogerons-nous les gens ? Vous êtes un policier à Honolulu. Je doute que ce titre vous donne quelque autorité en Californie.
Chan haussa les épaules.
— Les difficultés s’aplaniront.
— Je le souhaite. Mais est-ce que nous ne jouons pas une partie dangereuse ? Si Madden avait vent de nos bizarres agissements…
— Nous risquons le tout pour le tout comme des joueurs aux abois.
— Pour moi, je perds tout espoir, soupira Eden. Je vous assure que si nous rentrons bredouille, je serai tenté de soulager votre estomac et mon esprit d’un poids considérable.
— La patience est une vertu sublime, déclara Chan, le sourire aux lèvres.
— Vous devez le savoir mieux que personne, car vous en possédez une dose formidable.
Quand ils arrivèrent aux abords de l’Hôtel du Désert, Eden fut tout heureux d’apercevoir l’auto de Paula Wendell devant la porte. Ils attendirent un moment et bientôt Will Holley vint vers eux. Ils le mirent au courant de leur plan d’action.
— Peut-être puis-je vous aider ? dit le journaliste. Madden a un gardien dans sa propriété de Pasadena… un bon vieux, appelé Peter Fogg. Il est venu ici plusieurs fois et je le connais bien. (Il griffonna quelques mots sur une carte.) Tenez, donnez-lui cela et dites que vous venez de ma part.
— Merci, répondit Eden. Nous en aurons sans doute besoin.
Paula arrivait.
— Bonne nouvelle, annonça Eden. Je vous accompagne jusqu’à Pasadena.
— Eh bien, montez, dit Paula.
Eden salua ses amis et l’auto se mit en marche.
— Vous devriez faire poser un taximètre sur votre voiture.
— Quelle sottise, je suis, au contraire, très contente de vous avoir. Votre poids donne plus d’aplomb à mon auto.
— Vous savez tourner un compliment. Voulez-vous que je conduise ?
— Non, merci ! je préfère garder le volant ; je connais la route.
— Vous êtes une personne très capable.
— Je ne l’ai pas prouvé lorsqu’il s’est agi de Eddie Boston. Vous m’en voyez navrée.
— Ne vous tourmentez pas. Eddie est un drôle d’oiseau. Chan et moi, nous allons essayer de mettre la main dessus.
— Où en est le grand mystère ? demanda la jeune fille.
— Toujours au même point.
Ils s’entretinrent du crime inexplicable commis par Madden, tandis que le crépuscule tombait autour d’eux. Bientôt ils traversèrent une vallée fertile tout embaumée du parfum des orangers en fleurs. Dans une petite auberge de Riverside, ils dînèrent et dansèrent et, trop tôt, au gré de Bob Eden, ils arrivèrent à Pasadena. La jeune fille arrêta l’automobile devant l’Hôtel Maryland où devait descendre son compagnon de voyage. Eden protesta.
— Continuons. Je veux d’abord vous voir en sûreté à Hollywood.
— Merci. Je me débrouillerai bien toute seule. Désirez-vous me retrouver demain ?
— Je désire toujours vous retrouver demain. Chan et moi, nous nous rendons demain à Hollywood. Où pourrons-nous vous rencontrer ?
— Elle lui répondit qu’elle serait vers une heure au studio de sa société. Avec un joyeux au revoir, elle disparut au bas de Colorado Street brillamment éclairée.
Eden, après une bonne nuit de repos, se rappela, tout en prenant son petit déjeuner qu’un de ses amis de collège, nommé Spike Bristol, habitait Pasadena. L’annuaire des téléphones lui apprit l’adresse de son camarade et il sortit à sa recherche.
Bristol occupait une belle situation d’agent de change.
— Et comment marchent les affaires ? demanda Eden après les premières salutations.
— À merveille ! Tous les copains s’adressent à moi.
— Ah ! Maintenant je comprends pourquoi tu étais si heureux de me voir.
— Certes, je puis t’offrir quelques actions très avantageuses.
— Je m’en doute, mais nous en parlerons une autre fois. Aujourd’hui, je viens te trouver pour une affaire personnelle. Spike, connais-tu P. J. Madden ?
— Oui. Nous ne sommes pas intimes. Il ne m’invite pas à dîner, mais entre grands financiers on se connaît. Voici à peine deux jours, je lui ai rendu service. Ceci doit rester entre nous. Mercredi matin, il vint me trouver avec cent dix mille dollars de titres négociables. Nous les avons vendus le jour même et nous l’avons payé argent comptant.
— Voilà, mon vieux Spike, ce que je désirais savoir. Je voudrais maintenant parler à un employé de la banque de Madden pour savoir l’emploi du temps du millionnaire mercredi.
— Serais-tu Sherlock Holmes, par hasard ?
— Temporairement, je travaille de concert avec la police, répondit Eden en pensant à Chan. Depuis quelques jours, je loge au ranch de Madden et j’ai tout lieu de croire que le millionnaire se trouve en butte au chantage. C’est son affaire et aussi la mienne. Il s’agit d’une transaction entre mon père et Madden. Connaîtrais-tu un employé de la Garfield Bank ?
— Un de mes bons amis est caissier dans cet établissement, mais, tu sais, ces gens-là ne sont pas bavards. Essayons tout de même.
Ensemble, ils pénétrèrent dans le temple de marbre de la Garfield bank. Spike eut une longue conversation avec son ami le caissier et bientôt il appela Eden et le présenta.
— Que désirez-vous savoir ? demanda l’employé.
— Madden est venu ici mercredi. N’est-ce pas ?
— En effet, Madden vint ici mercredi. Nous ne l’avions pas vu depuis deux ans et sa visite nous a causé quelque émotion. Il passa un bon moment devant le coffre-fort.
— Était-il seul ?
— Non. Son secrétaire Thorn, que nous connaissons très bien, l’accompagnait, ainsi qu’un petit homme d’âge mûr dont je ne me souviens pas très bien.
— Ah ! Alors vous dites que Madden a passé un long instant devant son coffre-fort. Est-ce tout ?
Le caissier hésita.
— Il a télégraphié à son bureau de New-York de déposer une grosse somme à notre crédit à la Federal Reserve Bank… mais j’aimerais autant ne pas en dire davantage.
— Et vous lui avez remis cette forte somme ?
— Je n’ai pas à vous répondre : je n’ai déjà que trop parlé.
— Vous avez été très aimable et vous ne le regretterez pas. Merci.
Bob Eden et Spike Bristol sortirent.
— Spike, je te remercie du service que tu viens de me rendre, dit Bob à son ami. Je te quitte ; au revoir.
— Tu m’abandonnes comme une vieille pantoufle ? Viens au moins déjeuner avec moi ?
— Une autre fois, mon vieux. Je suis pressé aujourd’hui. La gare est de ce côté, n’est-ce pas ?
— Oui. Au revoir.
Du train de onze heures débarqua un Charlie Chan, habillé comme Eden l’avait vu pour la première fois à San Francisco.
— Tiens ! Bonjour Charlie !
— De nouveau je me sens un homme respectable, dit Chan en souriant. J’ai retrouvé mes vêtements à Barstow. Pas de cuisine à faire aujourd’hui. La vie est belle !
— Madden s’est fâché lorsque vous êtes parti ?
— Je n’ai pas attendu son réveil. De bonne heure j’ai glissé sous sa porte un petit billet drôlement rédigé. À présent, il se lamente sans doute à la pensée de ne plus me revoir. Il éprouvera une joyeuse surprise lorsque je rentrerai au bercail.
— Charlie, j’ai bien travaillé ce matin, dit Eden.
Et il le mit au courant de sa visite à Spike Bristol et à la banque.
— Quand Madden est rentré au ranch l’autre soir, il devait distribuer son or de tous les côtés. Holley a sans doute raison : on fait chanter le millionnaire.
— La chose semble possible. Toutefois, voici mon opinion : Madden ayant tué un homme, craint d’être découvert et se munit d’argent pour fuir en cas de besoin. Que pensez-vous de ce raisonnement ?
— Il me paraît juste, Chan.
— Si nous allions voir le gardien de la propriété de Madden ? proposa le détective.
Un taxi jaune les conduisit par les rues luxueuses de cette riche cité jusqu’à Orange Grove Avenue. Quand ils pénétrèrent dans l’ombre des poivriers bordant la rue habitée par les millionnaires, Charlie contempla, avec ébahissement, les superbes demeures.
— Quelle vision imposante pour un homme né au bord d’une rivière boueuse, dans une hutte au toit de chaume. Ici, les riches vivent comme des empereurs. Ce luxe leur procure-t-il le bonheur ?
— Charlie, je me demande si nous agissons prudemment en allant voir le gardien de Madden. Si cet homme racontait notre visite à son maître ?
— Comptons sur notre bonne étoile.
— Cette entrevue est-elle réellement indispensable ?
— Je tiens à voir tous ceux qui connaissent Madden. Ce garde peut nous fournir des détails intéressants.
— Que lui dirons-nous ?
— Une chose tout à fait vraisemblable. Madden en butte au chantage… en notre qualité de policiers…
— Comment le prouver ?
— Je lui montre rapidement l’insigne de la police d’Honolulu que j’ai épinglé à l’intérieur de mon veston. Tous ces insignes se ressemblent… à moins que les personnes prises de soupçon ne veuillent y regarder de près.
— Vous pensez à tout, Chan.
Le taxi s’arrêta devant le grand immeuble de la rue. Chan et Eden gravirent la large avenue de la propriété et aperçurent un homme occupé à tailler les rosiers d’une pergola. En dépit de son costume de jardinier, on eût dit un professeur. Il avait l’œil vif et le sourire agréable.
— M. Fogg ? demanda Eden.
— Oui, Monsieur, pour vous servir.
Bob Eden lui remit la carte de Holley et le sourire de Fogg s’élargit.
— Venez vous asseoir sous la véranda. À quoi dois-je l’honneur de votre visite ?
— M. Fogg, nous allons vous poser quelques questions qui, peut-être, vous paraîtront bizarres. Vous y répondrez si vous le jugez bon. M. Madden se trouvait-il à Pasadena mercredi dernier ?
— Oui, Monsieur.
— Vous l’avez vu ?
— Quelques minutes seulement. L’automobile l’a amené jusqu’à la porte. Il pouvait être six heures du soir. Il m’a dit deux mots, mais il est demeuré dans sa voiture.
— Que vous a-t-il dit ?
— Après s’être inquiété de savoir si tout allait bien, il ajouta qu’il reviendrait bientôt passer quelques jours ici avec sa fille.
— Sa fille ?
— Oui.
— Lui avez-vous demandé des nouvelles de sa fille ?
— Bien sûr. J’ai exprimé poliment l’espoir qu’elle se portait bien. Il me répondit qu’elle était en parfaite santé et ravie de venir ici.
— Madden était-il seul ?
— Non. M. Thorn, comme toujours, l’accompagnait. Il y avait dans la voiture un autre homme que je ne connais pas.
— Ils n’entrèrent donc pas dans la maison ?
— Non. J’ai eu l’impression que M. Madden voulait d’abord entrer, puis il changea d’idée.
Bob Eden regarda Chan.
— M. Fogg, avez-vous remarqué quelque chose d’anormal dans les manières de M. Madden. Était-il comme d’habitude ?
Fogg fronça le sourcil.
— Je dois vous dire que cette pensée m’est venue après son départ : il paraissait extrêmement nerveux et inquiet.
— M. Fogg, je vais vous confier quelque chose, mais je compte sur votre discrétion. Si nous n’étions pas des gens honnêtes, Will Holley ne nous aurait pas envoyés vers vous. Nous avons tout lieu de croire qu’il est victime d’une bande de maîtres-chanteurs. M. Chan…
Chan ouvrit son veston et pendant une fraction de seconde le soleil de Californie brilla sur la plaquette d’argent du policier.
— Cela ne me surprend guère, observa Peter Fogg. J’en suis tout de même bien fâché. M. Madden m’a rendu un grand service. Autrefois j’étais avocat à New-York et je dus abandonner ma profession pour raison de santé. Les docteurs me conseillaient le climat californien : j’acceptai donc le premier emploi qui s’offrit à moi. M. Madden m’a toujours témoigné une grande bonté, et si je puis vous aider à le tirer des griffes de ses ennemis, je le ferai volontiers.
— Vous venez de dire que cela ne vous surprend guère de voir M. Madden entouré d’aigrefins. Vous avez certainement quelques raisons pour parler ainsi ?
— Aucune, mais un homme si riche et si éminent doit inévitablement susciter des jalousies.
Pour la première fois, Chan parla à M. Fogg :
— Peut-être savez-vous pour quel motif M. Madden craint un individu nommé Jerry Delaney ?
Fogg leva les yeux vers Chan, mais ne répondit pas.
— Jerry Delaney ! répéta Bob Eden. Avez-vous déjà entendu ce nom, M. Fogg ?
— Voici ce que je puis vous dire. À certains moments, le patron se laisse aller devant moi à des confidences. Voilà quelques années, il fit installer des sonnettes d’alarme dans toute la maison. Je rencontrai M. Madden dans le vestibule pendant que les électriciens travaillaient aux fenêtres.
« — De cette façon, me dit-il, nous aurons le temps d’aviser si quelqu’un essaie de pénétrer chez moi.
« — Un grand homme comme vous doit avoir quantité d’ennemis, M. Madden ?
« Il me regarda d’un air bizarre.
« — Je ne crains qu’un seul être au monde… un seul.
« Je sentis croître mon aplomb et l’interrogeai :
« — Qui donc, M. Madden ?
« — Jerry Delaney. Souvenez-vous de ce nom si jamais il m’arrivait quelque chose.
« Je le promis. Comme il s’éloignait, je poussai l’audace jusqu’à lui demander :
« — Pourquoi redoutez-vous ce Delaney ?
« Il ne répondit pas tout de suite. Son regard se posa sur moi pendant quelques secondes et il ajouta :
« — Jerry Delaney pratique un métier inavouable et il y réussit trop bien.
« M. Madden passa dans la bibliothèque et je ne le questionnait pas davantage. »