Le Principe de relativité et la théorie de la gravitation/chap. 2

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CHAPITRE II.

LA RECHERCHE DU MOUVEMENT ABSOLU.


Si, par des expériences mécaniques à l’intérieur d’un système clos, il est impossible de révéler un mouvement de translation uniforme de ce système, il en est autrement lorsque le système n’est plus clos, lorsque l’observateur peut se mettre en relation avec un milieu extérieur. Il devient alors possible de mettre en évidence et de mesurer la vitesse par rapport au milieu extérieur.

Précisément, pour expliquer la propagation des ondes électromagnétiques, les physiciens avaient supposé l’existence d’un milieu doué de propriétés quasi matérielles, l’éther, remplissant tout l’espace, et pénétrant la matière. On devait donc espérer, par des expériences électromagnétiques ou optiques, révéler un mouvement de translation par rapport à l’éther. L’éther s’identifiant en quelque sorte avec l’espace, on a appelé ce mouvement le mouvement absolu.

6. L’expérience de Fizeau « entraînement des ondes lumineuses par la matière ».

Tout d’abord, une question se pose : l’éther ne serait-il pas entraîné par la matière en mouvement ? s’il en était ainsi, et si l’entraînement était total, il serait impossible de déterminer le mouvement absolu.

Fresnel a déduit de l’aberration de la lumière, par application de la théorie mécanique de la lumière, que l’éther devait être entraîné partiellement : soient l’indice de réfraction d’un corps transparent, la vitesse de ce corps ; l’éther doit être entraîné avec une vitesse  :

de sorte que, si est la vitesse de la lumière dans l’espace vide de matière et la vitesse de la lumière, pour une radiation d’indice dans le corps en mouvement, on doit avoir

(1-2)

la vitesse d’entraînement s’ajoutant à la vitesse dans le corps au repos ou se retranchant de cette vitesse selon que le sens du mouvement du corps est celui de la propagation des ondes ou le sens opposé.

Fizeau a vérifié expérimentalement la formule de Fresnel.

Fig. 2.

Une source de lumière est placée en Les ondes lumineuses, réfléchies par une lame de verre à faces parallèles, sont rendues parallèles par un objectif achromatique Deux rayons traversent les fentes et sont écartés par une bi-lame passent dans les tubes puis sont reçus sur une lentille qui les concentre en son foyer en ce point, un miroir les renvoie au point de départ et l’on observe le retour en L’un des rayons suit le chemin l’autre rayon le chemin en on observe des franges d’interférences.

Si les tubes et sont remplis d’eau et si l’on communique à l’eau des mouvements de sens opposés, on voit que le rayon traverse les tubes toujours dans le sens du mouvement, alors que l’autre rayon chemine toujours en sens contraire du sens du courant d’eau. Les franges ont, dans ces conditions, une netteté remarquable, malgré le défaut d’homogénéité inévitable des milieux traversés (inégalités des températures, des densités, etc.), parce que les deux rayons qui interfèrent ont traversé exactement les mêmes milieux.

Soient la vitesse de l’eau, le coefficient d’entraînement des ondes lumineuses, la longueur de chaque tube. Le temps employé par le rayon à parcourir les deux tubes est le temps employé par le rayon est La différence des temps a pour valeur

ou approximativement, étant négligeable devant

La différence de phase des deux rayons qui interfèrent, c’est-à-dire le déplacement des franges évalué en nombre de franges, est

On constate effectivement un déplacement des franges. Les mesures ont bien donné c’est-à-dire

L’expérience de Fizeau a été considérée comme la preuve de l’existence de l’éther et de son entraînement partiel par la matière en mouvement.

Mais H.-A. Lorentz a établi que l’expérience de Fizeau ne permet pas de conclure que l’éther est entraîné, car elle s’explique par l’entraînement des électrons qui modifient la vitesse de propagation de la lumière. Dans la théorie de Lorentz, l’éther est immobile.

D’ailleurs, même s’il y avait entraînement de l’éther, le coefficient d’entraînement par l’air serait négligeable et l’expérience de Michelson, que nous allons décrire, devrait révéler un mouvement de translation de la Terre par rapport au milieu qui propage les ondes lumineuses.

7. L’expérience fondamentale de Michelson.

La théorie mécanique de la lumière conduit à la conclusion que pour les expériences optiques dites du premier ordre, c’est-à-dire pour les observations dont la précision est de l’ordre de grandeur du rapport tout se passe dans chaque système de référence comme si celui-ci était immobile par rapport à l’éther.

Mais la théorie prévoit un effet du second ordre : pour un observateur en mouvement par rapport à l’éther, la vitesse apparente de la lumière devrait varier avec la direction  : cette variation aurait pour conséquence un effet du second ordre que Michelson a tenté de mettre en évidence par une expérience d’une extrême délicatesse.

Imaginons que d’un point dans l’éther immobile parte un signal lumineux instantané. Une seconde plus tard, l’ébranlement Fig. 3.
formera une surface d’onde sphérique de rayon ayant pour centre le point Un observateur parti de en même temps que le signal, dans la direction et avec la vitesse sera à la distance au bout d’une seconde ; il ne se trouvera donc plus au centre de la sphère et, pour lui, la lumière ne se propagera pas avec la même vitesse dans toutes les directions : la vitesse de la lumière, relativement à cet observateur, devra être dans la direction de la vitesse dans la direction opposée et dans la direction perpendiculaire. L’observateur devra pouvoir constater et mesurer cet effet. Voici comment Michelson a réalisé l’expérience.

Michelson s’est servi de son interféromètre, dont nous allons rappeler le principe. Un faisceau de lumière parallèle tombe sous Fig. 4.
l’incidence de 45° sur une lame de verre dont la première face est légèrement argentée ; cette lame réfléchit une partie du faisceau et laisse passer l’autre partie. Après réflexion normale sur les miroirs et qui sont placés sur deux bras rectangulaires, on obtient deux faisceaux qui se superposent suivant la direction et qui interfèrent ; ils sont reçus dans une lunette Tout se passe comme si le rayon avait parcouru le chemin étant l’image, appelée plan de référence, du miroir produite par la lame argentée.

Une lame sert de compensateur, de manière que chaque rayon traverse trois épaisseurs de lame ; en faisant tourner on change le chemin optique et l’on déplace les franges.

Si et le plan de référence sont parallèles, on voit, en lumière monochromatique et en pointant à l’infini, des anneaux circulaires.

Si les deux bras de l’appareil ont même longueur, c’est-à-dire si et coïncident, en inclinant légèrement on voit des Fig. 5.
franges rectilignes localisées sur ce sont les franges d’égales épaisseurs de la lame d’air comprise entre et En lumière blanche, on voit une frange centrale noire et, de part et d’autre de la frange centrale, quelques franges irisées.

La Terre est en mouvement dans l’éther ; donc, pour l’observateur entraîné avec elle, la vitesse de la lumière doit dépendre de la direction.

Considérons de nouveau la surface sphérique sur laquelle doit se trouver un ébranlement lumineux au bout de l’unité de temps. La Terre se trouve en par ce point, menons des parallèles aux Fig. 6.
deux bras de l’appareil : et sont les vitesses de la lumière, relativement à l’observateur, suivant les directions des deux bras de l’interféromètre ; ces vitesses, ainsi que les vitesses suivant les directions opposées (retour des rayons) étant inégales, la frange centrale ne doit pas occuper la position qu’elle aurait si la vitesse était la même suivant les deux bras, et cette frange doit se déplacer quand on tourne l’appareil, qui est mobile sur une plate-forme.

Supposons qu’en faisant tourner l’appareil on n’observe aucun déplacement des franges par rapport au réticule de la lunette ; si l’on considère la théorie précédente comme exacte, on doit penser que est resté au centre de la sphère, c’est-à-dire qu’à ce moment particulier, la Terre est immobile dans l’éther, que sa vitesse de translation sur son orbite se trouve, par hasard, compenser exactement la vitesse du système solaire dans l’éther. Mais alors, six mois plus tard, la Terre, ayant sur son orbite une vitesse égale, mais opposée à celle qu’elle avait la première fois, aura, par rapport à l’éther, une vitesse égale au double de sa vitesse de translation sur son orbite, c’est-à-dire une vitesse 60 km : sec. Pour observer l’effet, on devra placer l’appareil de manière que la différence des temps mis par la lumière à parcourir les deux bras, aller et retour, soit la plus grande possible, et pour cela orienter l’un des bras dans la direction de la translation de la Terre sur son orbite : on observera les franges en les repérant avec le réticule, puis on permutera les rôles des deux bras en faisant tourner la plate-forme de on devra alors observer un déplacement des franges par rapport à leur position précédente. Calculons ce déplacement :

Soit le trajet optique de la lumière entre la face semi-argentée de la lame et chacun des miroirs ; si le bras est parallèle au mouvement de la Terre, le temps que met la lumière à aller au miroir et à revenir sur est

(2-2)

Le temps employé pour parcourir le bras aller et retour, est

(3-2)

d’où

(4-2)

Si l’on tourne de 90° la plate-forme de l’appareil, les faisceaux permutent leurs rôles ; la différence des temps est

(5-2)

Pour obtenir, mesuré en nombre de franges, le déplacement des franges de part et d’autre de la position qu’elles occuperaient si la Terre était immobile, il suffit de diviser chacune des différences par la période de la lumière employée. Le déplacement total dans la rotation est le double de chacun de ces deux déplacements :

(6-2)

L’expérience, faite par Michelson (1881), a été répétée par Michelson et Morley (1887), puis par Morley et Miller (1904-1905) dans des conditions d’extrême précision : par des réflexions successives, le trajet de la lumière entre la lame et les miroirs avait été porté à 22m. La vitesse de la Terre par rapport au milieu devant, au moins une fois dans le cours de l’année, atteindre ou dépasser 30 km : sec, le déplacement des franges, avec la lumière du sodium, devait à ce moment atteindre ou dépasser 3/4 de la distance séparant deux franges consécutives.

La précision des mesures était environ du centième de frange.

On n’a jamais obtenu aucun déplacement des franges, à aucune époque de l’année. Tout se passe comme si la Terre était immobile.

Le désaccord entre l’expérience et la théorie est brutal. Nos raisonnements sont cependant exacts, si l’on admet les notions habituelles d’espace et de temps, et les lois ordinaires de la mécanique. Ces lois ne sont donc pas valables pour les phénomènes optiques[1] ; il faut renoncer à toute tentative de fonder sur la mécanique classique une théorie des phénomènes optiques et électromagnétiques.

8. La contraction de Fitzgerald-Lorentz.

Fitzgerald et Lorentz ont, indépendamment l’un de l’autre, émis une hypothèse qui rend compte du résultat négatif de l’expérience de Michelson.

Cette expérience nous apprend que la lumière met le même temps à parcourir (aller et retour) les deux bras de l’appareil, quelle que soit l’orientation. Pour égaliser rigoureusement les temps (2-2) et (3-2), il suffit de supposer que le bras dirigé dans la direction de la vitesse s’est contracté, et que sa longueur est devenue L’hypothèse est donc la suivante :

Pour tous les corps, les dimensions linéaires parallèles au mouvement dans l’éther subissent un raccourcissement, dû uniquement à ce mouvement, dans le rapport Les dimensions perpendiculaires à la vitesse absolue ne sont pas altérées.

Pour une vitesse de 30 km : sec, la contraction serait très faible (5µµ par mètre), mais elle deviendrait considérable aux très grandes vitesses, et pour tous les objets seraient réduits à deux dimensions. L’observateur ne s’apercevrait jamais de la contraction, car tous les instruments de mesure la subiraient, et il la subirait lui-même. Il serait impossible de mettre en évidence le mouvement absolu.

9. Le point de vue de Lorentz.

Lorentz, dans l’hypothèse de la contraction de la matière, a cherché à sauvegarder les bases de la mécanique classique et la notion de temps absolu dont elle dérive. La contraction serait une contraction réelle produite par le mouvement absolu dans l’éther, elle serait la même pour toute matière.

Effectivement, MM. Morley et Miller ont constaté que si l’on remplace la dalle en pierre, sur laquelle était fixé l’appareil, par une dalle en bois, le résultat de l’expérience interférentielle est toujours négatif.

Mais comment admettre que la contraction, si elle est réelle, soit la même pour tous les corps, c’est-à-dire soit indépendante de la substance, quelle que soit la rigidité de celle-ci ? se produit-elle aussi pour les gaz, et alors où est la limite entre un gaz raréfié et l’espace vide ?

Est-il possible d’admettre que la contraction soit une propriété de la matière ? ne traduirait-elle pas plutôt une propriété métrique de l’espace dans lequel nous apparaît la matière ? La théorie d’Einstein nous donnera la réponse (voir plus loin no 22).

10. Le point de vue d’Einstein. Principe de relativité.

Pour éviter les difficultés qui résultent de l’hypothèse de Lorentz (du moins sous la forme qui précède), pour rendre compte, d’une façon générale, de l’insuccès de toutes les expériences électromagnétiques ou optiques par lesquelles on a cherché à révéler le mouvement absolu, pour exprimer les faits de la façon la plus simple, Einstein a énoncé les principes suivants :

1o Les lois des phénomènes physiques sont les mêmes dans tous les systèmes en translation uniforme les uns par rapport aux autres.

Ce principe constitue l’extension aux phénomènes électromagnétiques et optiques du principe de relativité de la mécanique (no 5).

2o Pour tous les systèmes en mouvement de translation uniforme (c’est-à-dire dans lesquels ne règne aucun champ de force d’inertie), la vitesse de la lumière est la même dans toutes les directions ; cette vitesse ne dépend pas de l’état de mouvement de la source lumineuse  ; l’indépendance de la vitesse de la lumière et de l’état de mouvement de la source lumineuse est conforme à l’expérience, ainsi que de Sitter l’a établi par l’observation des étoiles doubles très éloignées.

Le mouvement de la Terre sur son orbite peut être considéré, pendant la courte durée d’une expérience, comme rectiligne et uniforme. Deux systèmes de référence liés à la Terre à deux époques de son mouvement annuel constituent deux systèmes en translation uniforme, l’un par rapport à l’autre. À toute époque de l’année, pour l’observateur entraîné avec la Terre, la vitesse de la lumière est la même dans toutes les directions, et, par suite, les franges d’interférence gardent une position invariable quand on fait tourner la plate-forme de l’appareil de Michelson.

Séparateur

  1. D’autres expériences, dans le domaine de l’électromagnétisme, destinées à révéler le mouvement absolu, ont également conduit à des résultats complètement négatifs.