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Le Pyrrhonisme de l’histoire/Édition Garnier/6

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Le Pyrrhonisme de l’histoireGarniertome 27 (p. 246-248).
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CHAPITRE VI.
de l’histoire d’hérodote.

[1]Presque tout ce qu’il raconte sur la foi des étrangers est fabuleux, mais tout ce qu’il a tu est vrai. On apprend de lui, par exemple, quelle extrême opulence et quelle splendeur régnaient dans l’Asie Mineure, aujourd’hui, dit-on, pauvre et dépeuplée. Il a vu à Delphes les présents d’or prodigieux que les rois de Lydie avaient envoyés au temple, et il parle à des auditeurs qui connaissaient Delphes comme lui. Or quel espace de temps a dû s’écouler avant que les rois de Lydie eussent pu amasser assez de trésors superflus pour faire des présents si considérables à un temple étranger !

Mais quand Hérodote rapporte les contes qu’il a entendus, son livre n’est plus qu’un roman qui ressemble aux fables milésiennes.

C’est un Candaule qui montre sa femme toute nue à son ami Gygès ; c’est cette femme qui, par modestie, ne laisse à Gygès que le choix de tuer son mari, d’épouser la veuve, ou de périr.

C’est un oracle de Delphes qui devine que, dans le même temps qu’il parle, Crésus, à cent lieues de là, fait cuire une tortue dans un plat d’airain.

[2]C’est dommage que Rollin, d’ailleurs estimable, répète tous les contes de cette espèce. Il admire la science de l’oracle et la véracité d’Apollon, ainsi que la pudeur de la femme du roi Candaule ; et, à ce sujet, il propose à la police d’empêcher les jeunes gens de se baigner dans la rivière. Le temps est si cher, et l’histoire si immense, qu’il faut épargner aux lecteurs de telles fables et de telles moralités.

L’histoire de Cyrus est toute défigurée par des traditions fabuleuses. Il y a grande apparence que ce Kiro ou Cosrou, qu’on nomme Cyrus, à la tête des peuples guerriers d’Élam, conquit en effet Babylone amollie par les délices. Mais on ne sait pas seulement quel roi régnait alors à Babylone : les uns disent Balthazar ; les autres, Anaboth. Hérodote fait tuer Cyrus dans une expédition contre les Massagètes. Xénophon, dans son roman moral et politique[3], le fait mourir dans son lit.

On ne sait autre chose, dans ces ténèbres de l’histoire, sinon qu’il y avait depuis très-longtemps de vastes empires et des tyrans, dont la puissance était fondée sur la misère publique ; que la tyrannie était parvenue jusqu’à dépouiller les hommes de leur virilité pour s’en servir à d’infâmes plaisirs au sortir de l’enfance, et pour les employer, dans leur vieillesse, à la garde des femmes ; que la superstition gouvernait les hommes ; qu’un songe était regardé comme un avis du ciel, et qu’il décidait de la paix et de la guerre, etc.

À mesure qu’Hérodote, dans son histoire, se rapproche de son temps, il est mieux instruit et plus vrai. Il faut avouer que l’histoire ne commence pour nous qu’aux entreprises des Perses contre les Grecs. On ne trouve, avant ces grands événements, que quelques récits vagues, enveloppés de contes puérils. Hérodote devient le modèle des historiens, quand il décrit ces prodigieux préparatifs de Xerxès pour aller subjuguer la Grèce, et ensuite l’Europe. Il exagère sans doute le nombre de ses soldats ; mais il les mène avec une exactitude géographique de Suse jusqu’à la ville d’Athènes. Il nous apprend comment étaient armés tant de peuples différents que ce monarque traînait après lui : aucun n’est oublié, du fond de l’Arabie et de l’Égypte jusqu’au delà de la Bactriane ; et de l’extrémité septentrionale de la mer Caspienne, pays alors habité par des peuples puissants, et aujourd’hui par des Tartares vagabonds. Toutes les nations, depuis le Bosphore de Thrace jusqu’au Gange, sont sous ses étendards.

On voit avec étonnement que ce prince possédait plus de terrain que n’en eut l’empire romain. Il avait tout ce qui appartient aujourd’hui au Grand Mogol en deçà du Gange, toute la Perse, et tout le pays des Usbecks, tout l’empire des Turcs, si vous en exceptez la Roumanie ; mais, en récompense, il possédait l’Arabie. On voit par l’étendue de ses États quel est le tort des déclamateurs en vers et en prose de traiter de fou Alexandre[4], vengeur de la Grèce, pour avoir subjugué l’empire de l’ennemi des Grecs. Il alla en Égypte, à Tyr, et dans l’Inde, mais il le devait ; et Tyr, l’Égypte et l’Inde, appartenaient à la puissance qui avait ravagé la Grèce.

  1. Ce chapitre faisait aussi, dans l’Encyclopédie, partie de l’article Histoire.
  2. Dans l’Encyclopédie, en 1765, il y avait : « Rollin, qui répète tous les contes de cette espèce, admire la science, etc. »
  3. La Cyropédie.
  4. Voyez l’article Alexandre, dans le Dictionnaire philosophique.