Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 14

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Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 1p. 84-97).
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XIV.

On pouroit dire par exemple qu’il y auroit plus d’aparence de raison de croire Philostrate dans ce qu’il récite dans le VIII livre de la vie d’Apollonius que de croire tous les Evangelistes ensemble dans ce qu’ils disent des miracles de J. C. parceque l’on sait au moins que Philostrate[1] étoit un homme d’esprit, éloquent et discret, qu’il étoit favori et Secrétaire de l’Impératrice Julie, femme de l’Empereur Severe, et que ç’a été à la sollicitation de cette Impératrice qu’il a écrit ses 8 livres de la vie et des actions merveilleuses d’Apollonius ; marque certaine que cet Apollonius s’étoit rendu fameux par quelques grandes et extraordinaires Actions puisqu’une Impératrice étoit si curieuse d’avoir sa vie et ses actions par écrit. Ce que l’on ne peut nullement dire de J. C. ni de ceux qui ont écrit sa vie, car ils n’étoient, comme je viens de dire que des ignorans, des gens de la lie du peuple, de pauvres mercenaires et de pauvres pécheurs qui n’avoient pas seulement l’esprit de raconter de suite et par ordre les faits dont ils parlent, et qui se contredisent même assez souvent dans le récit qu’ils en font. Et à l’égard de celui dont ils décrivent la vie et les Actions, s’il avoit véritablement fait tous les miracles qu’ils disent, il se seroit infailliblement rendu recommandable et illustre par toutes ses belles Actions, et n’auroit pas manqué de s’attirer par là l’admiration des Peuples, comme ont fait tous les Grands Hommes, et notamment comme ont fait cet Apollonius et ce Simon dont je viens de parler, que l’on regardoit dans leur tems comme des Hommes tous divins, et auxquels on érigeoit des Statuës, comme à des Dieux. Mais au lieu de cela le Christ des Chrétiens n’a été regardé pendant sa vie que comme un homme de néant, comme un homme méprisable, comme un insensé fanatique, et enfin comme un miserable Pendart : quelle aparence donc de croire qu’il ait véritablement fait tant de si beaux miracles ! Il y a au contraire bien plus d’aparence de croire qu’il n’étoit véritablement qu’un insensé fanatique, et ainsi que le Christianisme n’étoit dans son commencement qu’un pur fanatisme ; c’est ce que j’ai dessein aussi de faire plus amplement voir dans la suite.

Secondement on leur répondra que les mêmes livres qui parlent par exemple des miracles de Moïse, parlent aussi des miracles des Magiciens de Pharaon, et disent expressément que les Magiciens faisoient les mêmes miracles, c’est à dire les mêmes choses que faisoit Moïse, feceruntque similiter etc. Cela étant, nos Christicoles ne sauroient nier que ces prétendus miracles ne se fassent aussi bien par les méchans que par les bons, et qu’ils ne se fassent aussitôt en faveur du vice et du mensonge, qu’en faveur de la vérité et de la vertu, et par conséquent il est clair et évident que ces prétendus motifs de crédibilité ne sont point des preuves ni des témoignages assurés de la vérité. Il ne serviroit de rien de dire, comme ils font ordinairement, que les Magiciens de Pharaon furent enfin vaincus par Moïse et qu’ils ne purent plus lui résister, cela pouroit bien être ; mais il ne s’en suit pas de-là, comme j’ai dit, que son pouvoir ait été plus surnaturel et divin que celui des Magiciens, puisqu’il y a dans toutes sortes d’Arts et de Sciences des ouvriers plus habiles et plus subtils les uns que les autres. Et d’ailleurs si Moïse dans cette occasion a vaincu les Magiciens, il auroit peut-être pû être lui-même vaincu par eux dans une autre, ou vaincu par quelques autres Magiciens plus habiles que lui s’ils se fussent trouvés dans la même occasion ; et ainsi la preuve qui se tire de ces prétendus miracles est une foible preuve de la vérité, et elle est d’autant plus foible qu’il n’y a pas même lieu d’ajouter prudemment foi à ce que les auteurs en disent. C’est pourquoi Joseph lui même faux Historien des Juifs, après avoir parlé des plus grands miracles que l’on disoit et que l’on croïoit avoir été faits en faveur de sa Nation et de sa Religion, il en diminue aussitôt la croïance et la rend suspecte en disant qu’il laisse à chacun la liberté d’en croire ce qu’il voudra, marque bien certaine qu’il n’ajoutoit pas beaucoup de foi lui-même à ce qu’on en disoit ; et c’est aussi ce qui donne lieu aux plus judicieux de regarder les Histoires qui parlent de ces sortes de choses comme des narrations fabuleuses qui ne méritent pas qu’on y ajoute aucune foi. Voici comme l’Auteur de l’Apologie des grands hommes en parle : « ce seroit, dit il, perdre le tems à credit que de couper des branches au lieu de la racine ; il faut, dit-il, commencer par icelle la ruine de toutes les fabuleuses narrations et montrer que tout ce que l’on dit de la Magie et des Démons ne se peut prouver ni par raison, ni par expérience, et quant à ce qui est des extases, évocations et autres miracles de certains personnages[2], dont on parle, on ne doit pas prendre la peine de les réfuter parce qu’elles se détruisent assez d’elles-mêmes par les absurdités qui les accompagnent, et par le doute que fait Eunapius d’être pris pour un imposteur en nous les racontant. Des faux miracles, des fausses possessions et des fausses résurrections qui se font parmi les Schismatiques Grecs, il faut voir la relation des Missionnaires de l’Isle de Santerini, il y a trois chapitres de suite sur cette belle matière.”

C’est merveille, dit le Sr de Montagne[3] de combien vains commencemens et frivoles causes naissent ordinairement si fameuses impressions que celles de la croïance des miracles… Notre vuë, dit-il, représente aussi souvent de loin des images étranges qui s’évanouissent en s’aprochant. Plus jusqu’à cette heure tous ces miracles et événemens étranges se cachent. Plus, dit-il, devant moi[4] j’ai vù, dit-il, la naissance de plusieurs miracles de mon tems. Encore qu’ils s’étouffent en naissant, nous ne laissons pas de voir le train qu’ils eussent pris s’ils eussent vécu leur âge. Car, il n’est, dit-il, que de trouver le bout du fil, on en dévuide autant qu’on veut. Et y a plus loin de rien à la plus petite chose du monde, qu’il n’y a de celle-là jusqu’à la plus grande. Or les prémiers qui sont abreuvés de ce commencement d’étrangeté, venant, dit-il, à semer leur Histoire, sentent par les opositions qu’on leur fait, où loge la difficulté de la persuasion et vont calfeutrant ces endroits de quelques pieces fausses. Outre que nous faisons nouvellement conscience de rendre ce qu’on nous a prêté sous quelque usure et accession de notre crû. L’erreur particulière fait prémiérement l’erreur publique : et à son tour après, l’erreur publique fait l’erreur particulière. Ainsi va tout ce bâtiment s’étouffant et formant de main en main, de maniére que le plus éloigné témoin en est mieux instruit que le plus voisin ; et le dernier informé mieux persuadé que le premier. C’est, dit-il, un progrès naturel[5]. Il n’est rien, continue-t-il, à quoi communément les hommes soient plus tendus qu’à donner cours à leurs opinions. Où le moïen ordinaire nous faut, nous y ajoutons le commandement, la force, le fer et le feu. Il y a du malheur d’en être-là, que la meilleure touche de la vérité, ce soit la multitude des Croïans, en une presse, où les fous surpassent de tant les sages en nombre. Pour moi, ajoute-t-il, de ce que je n’en croirai pas un, je n’en croirai pas cent même. Et ne juge pas, dit-il[6] les opinions par les ans. L’imposture se tapit plus aisément sous le voile de la pieté. Il s’engendre beaucoup plus d’abus au monde ou pour dire plus hardiment tous les abus du monde s’engendrent de ce qu’on nous aprend à craindre, à faire profession de notre ignorance, et sommes tenus d’accepter tout ce que nous ne pouvons réfuter.

Tous ces exemples et ces raisons que je viens de joindre, nous font clairement voir que les prétendus miracles se peuvent également faire, comme j’ai dit, par des méchans et par des bons aussi bien en faveur de l’erreur et du mensonge, qu’en faveur de la justice et de la vérité et par conséquent qu’il ne faut pas les regarder comme des preuves ou comme des témoignages certains et assurés de vérité.

C’est ce que je vais prouver encore evidemment par le témoignage de ce que nos Christicoles mêmes apellent la parole de Dieu et par le témoignage même de celui qu’ils adorent comme leur Dieu et comme leur Sauveur. Car les livres qu’ils disent contenir la parole de Dieu et le Christ lui-même qu’ils adorent comme un Dieu fait Homme, nous marquent et nous montrent expressément qu’il y a non seulement de faux Prophêtes, c’est à dire des imposteurs, qui se disent faussement envoïés de Dieu et qui parlent faussement en son nom ; mais ils nous marquent encore expressément qu’ils font et qu’ils feront des signes et si prodigieux miracles que peu s’en faudra que les justes n’en soient séduits. Ne vous laissez pas séduire, car plusieurs[7], leur disoit-il, viendront en mon nom, qui diront : je suis le Christ, et qui séduiront beaucoup de gens et feront de si grands prodiges que les Elus mêmes, s’il se pouvoit, en seroient séduits. Le fameux Paul dit dans une de ses Epitres que Dieu lui-même envoïera un Esprit d’erreur qui, par de puissantes impostures persuadera le mensonge à ceux qui n’auront pas voulu recevoir la vérité de sa religion, et il dit[8] que des impies séducteurs viendront et feront toutes sortes de prodiges, de signes et de miracles trompeurs afin d’engager par toutes sortes de séductions les Enfans de perdition à l’injustice. Voilà des témoignages clairs et évidens ; nos Christicoles ne sauroient les récuser, puisqu’ils sont formellement tirés de la parole même de leur Christ, et de la parole d’un de ses principaux Apôtres. Il faut donc nécessairement qu’ils reconnoissent que ces prétendus miracles et prodiges se peuvent faire en faveur de l’erreur et du mensonge, aussi bien qu’en faveur de la justice et de la vérité, et par conséquent ils doivent reconnoitre qu’ils ne sont pas des témoignages certains de la vérité. Et ce qu’il y a de particulier à remarquer encore en cette occasion, est que tous ces prétendus faiseurs de miracles veulent que l’on ajoute foi à leurs prétendus miracles, et qu’on n’en ajoute aucune à ceux que font les autres, qui sont d’un Parti contraire oposé au leur. Pareillement tous les prétendus Prophêtes veulent que l’on ajoute foi à leur parole, et ils veulent que l’on regarde tous les autres qui leur sont oposés comme des faux Prophêtes et comme des imposteurs, et par-là on voit manifestement qu’ils se condamnent et détruisent les uns les autres ; et ainsi c’est folie d’ajouter foi ni aux uns ni aux autres. Un jour un de ces prétendus Prophêtes, c’étoit un nommé Sedecias, se voïant contredit par un autre prétendu Prophête qui se nommoit Michée et qui étoit d’un sentiment contraire au sien, lui donna un souflet et lui dit plaisamment ces paroles[9] par quelle voïe l’esprit de Dieu a t’il passé de moi pour aller à toi ? Per quam viam transivit spiritus domini a me, ut loqueretur tibi ? Les Prophêtes de Samarie, qui étoient Prophêtes du Dieu Baal, ne s’accordoient point avec les Prophêtes de Judée et de Jerusalem qui se disoient pareillement les Prophêtes du Seigneur Dieu ; et si Jezabel[10] fit mourir les Prophêtes du Seigneur, Elie pour se venger, fit mourir 450 Prophêtes de Baal. Le Christ des Chrestiens vouloit que chacun crut à sa parole, et ajouta foi à ses prétendus miracles ; mais il ne vouloit pas que l’on crut d’autres que lui, ni que l’on ajoutât foi aux miracles de ceux qui lui seroient contraires. Moïse de même vouloit que son peuple crut à sa parole et à ses miracles, mais il ne vouloit pas qu’il en crut d’autres que lui, ni qu’il se laissât séduire par les miracles des autres, qu’il leur commandoit de regarder comme de faux Prophêtes et comme des Séducteurs. Aaron cependant et sa sœur Marie ne prétendoient pas cela et vouloient faire entendre que Dieu leur parloit aussi bien qu’à Moïse num per solum Moïsem locutus est Dominus ? Nonne et nobis similiter est locutus ? Voilà donc nos prétendus Prophêtes et nos prétendus faiseurs de miracles qui se contredisent et qui se condamnent manifestement les uns les autres, et c’est par là-même qu’ils se confondent et qu’ils se détruisent les uns les autres, marque certaine et évidente que leurs prétendus miracles ne sont point des œuvres ni des témoignages assurés de vérité, et par conséquent que ce n’est point par ces motifs de crédibilité qu’il faut juger de la vérité d’une Religion.

Mais comment ces prétendus miracles seroient-ils des preuves et des témoignages assurés de la vérité d’une Religion, puisqu’il n’est pas certain, qu’ils aïent veritablement été faits, et qu’il n’y a pas de certitude dans les recits que l’on en fait : car pour qu’il y ait quelque certitude dans les récits que l’on en fait, il faudroit savoir 1o. si ceux que l’on dit ou que l’on croit être les premiers auteurs de ces sortes de narrations, en sont véritablement les auteurs : car il est sûr que fort souvent, on attribue faussement à des personnes bien des choses qu’elles n’ont ni dites ni faites, et bien souvent de mauvais auteurs se couvrent du nom de quelque fameux personnage pour donner crédit à leurs mensonges et à leurs impostures. 2o. Il faudroit savoir si ceux qui sont ou qui ont été véritablement les prémiers auteurs de ces sortes de narrations, étoient des personnes de probité et dignes de foi, s’ils étoient sages et éclairés, et s’ils n’étoient point prévenus en faveur de ceux dont ils parlent si avantageusement : car il est sûr que s’ils n’étoient pas gens de probité, il ne faudroit ajouter aucune foi à ce qu’ils disent. Pareillement si ce n’étoient point des personnes sages et éclairées, ils ne seroient pas non plus dignes de foi, parce que n’aïant pas toutes les lumiéres ni toute la prudence requise pour juger sainement des choses, ils peuvent trop facilement se laisser tromper : de même s’ils étoient prévenus en faveur de ceux dont ils parlent, il ne faudroit pas encore ajouter beaucoup de foi à ce qu’ils disent, empêchés de juger sainement des choses et portés même fort souvent à dire ou à faire et à tourner par flatterie et par faveurs les choses autrement qu’elle ne sont. C’est que l’on voit tous les jours par expérience et c’est ce que l’on pouroit prouver s’il étoit besoin par une infinité d’exemples. 3o. Il faudroit savoir si ceux qui raportent ces prétendus miracles ont bien examiné toutes les circonstances des faits qu’ils raportent, s’ils les ont bien connus, et s’ils les raportent toutes comme elles sont : car il est certain que pour peu que l’on change, soit par dessein, soit par erreur les circonstances particuliéres d’un fait, pour peu que l’on en retranche ou que l’on y ajoute quelque circonstance qui n’y soit point, on le fait paroitre tout autre qu’il n’est en lui-même. C’est ce qui fait que l’on admire souvent des choses que l’on cesseroit incontinent d’admirer, si on savoit véritablement ce qui en est. Les miracles, dit fort judicieusement le Sr. de Montagne[11] sont, selon l’ignorance en quoi nous sommes de la nature, non selon l’être de la nature. C’est merveille, dit-il, de combien vains commencemens et frivoles causes naissent ordinairement si fameuses impressions, que celle de la croïance des miracles[12]. Notre vûë, dit-il, nous représente souvent de loin des images étranges qui s’évanouissent en s’aprochant. 4o. Il faudroit savoir si les Livres ou les Histoires anciennes qui raportent tous ces grands et prodigieux miracles que l’on prétend avoir été faits au tems passé, n’ont pas été falsifiés et corrompus dans la suite du tems comme quantité d’autres Livres ou Histoires qui ont été indubitablement falsifiés et corrompus, et l’on en falsifie encore tous les jours dans le siècle où nous sommes.

Or il est constant qu’il n’y a aucune certitude que ces prétendus miracles aïent été véritablement faits, il n’y a aucune certitude de la probité et de la sincérité de ceux qui les raportent, ou qui disent les avoir vûs ; il n’y a aucune certitude qu’ils en aïent bien connu et bien remarqué toutes les circonstances ; il n’y a point de certitude que les histoires que l’on en voit soient véritablement de ceux-là mêmes à qui on les attribue ; et enfin il n’y a point de certitude que ces histoires n’aïent point été falsifiées et corrompuës comme on en voit tant d’autres qui l’ont été ; il n’y a, dis-je, aucune certitude sur tous ces différens points-là, car quand on sauroit par exemple le nom de Moïse on ne connoit pas certainement pour cela qu’il étoit homme de probité et qu’il n’auroit pas voulu écrire des fables ou des mensonges au lieu d’écrire des vérités. Simon le Prophête[13] apelloit le Divin Platon un grand forgeur de miracles, parce qu’il étoit, disoit-il, hardi ouvrier à joindre les opérations et les révélations divines partout ou l’humaine force lui manquoit. Quelle certitude a-t-’on que le faux Moise n’en faisoit pas de même et qu’il n’étoit pas un aussi habile forgeur de miracles que le divin Platon auroit pu l’avoir été ; on n’en a certainement aucune assurance. Bien loin de cela, il paroit au contraire qu’il y auroit beaucoup plus de raison de le regarder comme un insigne brigand et comme un insigne imposteur, que de le regarder comme un véritable Prophête. Voici comme un auteur[14] judicieux parle de lui et de toute sa nation, qui est la nation juive. «Si nous montons, dit-il, plus haut et que nous allions jusqu’à leur origine et jusqu’à leur célèbre sortie hors d’Egypte dont leurs Historiens font tant de bruit, et qu’ils accompagnent de tant de miracles fabuleux, nous trouverons, » dit-il,” que les Auteurs Egyptiens et ceux des autres Nations, gens d’aussi grande autorité que Joseph ou tout autre Historien Juif en ont parlé avec beaucoup de mépris, et ont fait d’eux un portrait peu avantageux. Manethon, dit-il, Prêtre Egyptien, les apelle une troupe de gens sales et lépreux et dit qu’ils furent chassés du Païs par Amenophis qui régnoit alors, et qu’ils s’en allèrent en Sirie sous la conduite de Moïse Prêtre Egyptien. Charemon, auteur célèbre parmi les Grecs raporte à peu près la même chose. Il dit que sous le régne d’Amenophis deux cent cinquante mille lépreux furent bannis d’Égypte et en sortirent sous la conduite de Tisithen et de Pétéseph, c’est à dire Moïse et Aaron[15]. Quoique les autres écrivains varient sur le nom du Roi qui régnoit alors en Égypte, tous néanmoins disent unaninement que les Israëlites étoient un vilain peuple, tout couvert de galles et d’aposthumes infectés et regardés comme l’écume et l’ordure de la nation Egyptienne. Tacite, Historien Romain d’une autorité incontestable ajoûte que Moïse, l’un de ces lépreux exilés, étant un homme d’esprit et qui avoit parmi eux de la réputation, voïant l’accablement et la confusion de ses Frères, les pria d’avoir bon courage et de ne confier ni aux Dieux des Egyptiens ni aux Egyptiens mêmes, mais de se fier seulement en lui et d’obéir à ses conseils, qu’il étoit envoïé du ciel pour être leur conducteur, pour les tirer de la calamité, sous laquelle ils gémissoient, et pour les protéger contre tous leurs ennemis ; sur cela le peuple ne sachant que faire, s’abandonna entiérement à sa conduite. Dès lors il fut leur Capitaine et leur Législateur, il les fit passer par les deserts d’Arabie, ou ils commirent des grands vols et brigandages, passérent au fil de l’épée, les hommes, les femmes et les enfans ; brulérent les villes et ruinérent tous les lieux où ils purent mettre le pié. Que pouroit on dire de pis d’une Troupe de Voleurs et de Bandits. La Magie et l’Astrologie étoient alors les seules sciences à la mode. Et comme Moïse étoit parfaitement bien versé dans tous les mistéres et secrets de la Sagesse des Egyptiens, il ne lui fut pas difficile d’inspirer de la vénération et de l’attachement pour sa personne aux Enfans de Jacob rustiques et ignorans, et de leur faire embrasser, dans l’opression ou ils étoient, la discipline qu’il voulut.” Voilà qui est bien diférent de ce que les Juifs et de ce que nos Christicoles nous en veulent faire accroire. Par quelle règle certaine connoitra-t-’on qu’il faut ajouter foi à ceux-ci plutôt qu’aux autres ? il n’y en a certainement aucune raison vraisemblable.


  1. Dict. Hist.
  2. Apolog. des Gr. Hom. T. 1. p. 244.
  3. Ess. de Montag., pag. 1038.
  4. Ess. de Montag., pag. 1036.
  5. Ess. de Mont., p. 1037.
  6. Ess. de Mont., 1038, 1039.
  7. Matth. 24 :5, 11, 24.
  8. Epit. Thessal. II. 2, 9, 10.
  9. L. Parai. 18, 23.
  10. 1 Reg. 22, 24.
  11. Essai de Montagne, pag. 79.
  12. Ibid. pag. 1038.
  13. Essai de Montagne, p. 601.
  14. Esp. Turc. Tom. 4, Lettre 83.
  15. Chaeremon ne nomme pas ici Aaron, mais bien Joseph. (Josué) R. C.