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Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 13

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Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 1p. 79-84).
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XIII.

2o. Il est évident que c’est une erreur de prendre pour témoignages assurés de la verité et de la sainteté d’une Religion des signes ou des effets qui peuvent venir également du vice comme de la vertu, ou de l’erreur comme de la vérité, ou qui peuvent avoir été aussitot faits par des imposteurs et des trompeurs, comme par des personnes de piété et de probité. C’est ce qu’il est facile de prouver evidemment tant par les exemples de ceux que l’on dit avoir été faits autrefois dans les fausses Religions que par le temoignage de ce que nos Christicoles apellent la parole de Dieu, et par le témoignage même de celui qu’ils adorent comme leur Dieu et leur Sauveur : lesquels témoignages nous marquent expressément que ces sortes de signes et de prétendus miracles ont été faits, et qu’ils peuvent encore se faire en faveur de l’erreur et du mensonge par de faux prophetes et par des imposteurs. 1o. Pour ce qui est des exemples de ces prétendus miracles on en voit, si on veut les croire, presque une infinité dans les fausses Religions du Paganisme : on en voit pour ainsi dire un million dans les métamorphoses d’Ovide et dans toutes les autres fables des Païens ; on en voit quantité qui sont raportés par Philostrate dans la vie d’Apollonius de Thiane ville de Capadoce. On voit dans les Actes des Apotres que Simon surnommé le Magicien faisoit dans la ville de Samarie des œuvres si merveilleuses que chacun disoit de lui qu’il étoit la grande vertu de Dieu. Pareillement il fit à Rome, comme j’ai déjà remarqué, tant de prodiges et de miracles qu’on lui dressa une statue avec cette inscription : à Simon Dieu saint. Tite-Live raporte que Tuccia vierge vestale aïant été accusée d’inceste, fit preuve de sa chasteté en portant du Tibre au Temple de la Déesse Vesta un crible plein d’eau. Ovide[1] raporte pareillement que Claudia, autre vierge vestale, pour faire preuve de sa virginité fit voguer avec son simple ceinturon le vaisseau ou étoit le simulacre de la Déesse Cybele qui étoit si fortement ancré au quai, que plusieurs milliers de personnes n’avoient pû le faire voguer. Tacite raporte[2] que l’Empereur Vespasien étant à Alexandrie guérit un aveugle en un instant en lui touchant seulement les yeux, et qu’il guérit aussi un manchot en le touchant seulement de la plante du pié. Ælius Spartianus dit que l’Empereur Adrien guérit aussi un Aveugle né en lui touchant seulement les yeux. On dit que l’Empereur Aurelien a fait aussi de semblables cures merveilleuses par son simple attouchement. Pyrrus[3], Roi des Epirotes, guérissoit, dit Plutarque, tous les Rateleux en leur touchant seulement la rate avec le gros doigt de son pié droit ; et il ajoute que son corps aïant été brûlé après sa mort, le dit gros doigt de son pié fut trouvé encore tout entier sans avoir aucunement été endommagé par le feu. Strabon dit que ceux qui sacrifioient à la Déesse Féronie marchoient piés nuds sur des charbons ardens sans se brûler ; il en dit autant des Religieux de la Déesse Diane.

Coelius raporte que le Dieu Bacchus donna aux Enfans d’Anius Grand Prêtre d’Apollon le pouvoir de changer tout ce qu’ils voudroient en bled, vin, huile etc. par leur seul attouchement. Ovide[4] dans ses Fastes, Diodore Sicilien[5] et Strabon[6] raportent que Jupiter donna aux Nymphes qui l’avoient nourri, une corne de la chevre qui l’avoit alaité ; laquelle corne avoit cette proprieté qu’elle leur fournissoit abondamment tout ce qu’elles avoient à souhait, laquelle fut pour ce sujèt apellée Corne d’abondance.

Si les eaux de la Mer Rouge se sont séparées et divisées d’elles mêmes pour laisser aux Israëlites un passage libre lorsqu’ils fuïoient devant les Égyptiens qui les poursuivoient, comme il est marqué dans l’Histoire des Juifs, la même chose, dit Joseph Historien juif, est arrivée longtems depuis aux Macedoniens quand ils passèrent la Mer de Pamphilie sous la conduite d’Alexandre, lorsqu’il alloit subjuguer l’Empire des Perses. Enfin les Magiciens de Pharaon dont il est parlé dans les livres de Moïse faisoient devant lui les mêmes miracles que faisoit Moïse. Si Moïse faisoit changer son bâton en serpent, les magiciens en faisoient de même des leurs. Si Moïse fit changer les eaux en sang, les Magiciens en firent autant. Si Moïse eut le pouvoir de faire naitre des grenouilles en quantité, les Magiciens l’eurent aussi. Si Moïse fit venir des vermines et des mouches, autant en firent les Magiciens[7] fecerunt autem et malefici per incantationes suas similiter eduxerunt que ranes super terram Egypti. Et s’il est marqué ensuite que les Magiciens de Pharaon furent enfin vaincus par Moïse dans l’art de faire ces sortes de prodiges, quand cela seroit, il ne faudroit pas s’en étonner ni assurer pour cela que Moïse agissoit par une Puissance surnaturelle et divine puisque l’on voit tous les jours que dans toutes sortes d’Arts et de Sciences, il y a des ouvriers et des docteurs plus habiles, plus savans et plus subtils les uns que les autres. Quand il ne s’agiroit que de danser et de voltiger sur une corde, ou de faire des tours de gibecière, il se trouveroit des hommes plus adroits et plus subtils les uns que les autres à faire ces beaux exercices-là. Et ainsi quand on suposeroit que Moïse aurait effectivement fait ce que les autres Magiciens n’auraient pû faire, il ne s’en suivroit pas de-là, qu’il aurait agi par une Puissance divine, mais seulement qu’il aurait été plus habile, plus savant ou plus adroit, et plus expérimenté dans son art que les autres. On pouroit raporter une infinité d’autres semblables exemples qui prouveraient la même chose, mais il est inutile d’en raporter ici davantage.

Nos Christicoles ne voudroient pas dire que tous ces prétendus miracles des Magiciens de Pharaon aïent été des preuves claires et convaincantes de vérité, ni qu’ils aïent été faits par de saints personnages : il faut donc malgré eux qu’ils reconnoissent que ces sortes de signes et effets peuvent également venir du vice comme de la vertu, de l’erreur comme de la vérité, et qu’ils peuvent se faire comme avoir été faits par des trompeurs et par des imposteurs, aussi bien que par des personnes de probité, et par conséquent qu’ils ne sont point des preuves ni des témoignages certains et assurés de la vérité d’une Religion. S’ils disent que tous ces prétendus miracles faits par les Magiciens de Pharaon, ou ceux qu’on dit avoir été faits dans le paganisme en faveur de l’erreur, ou en faveur de quelque fausse Religion, ne sont que de faux miracles, ou que ce ne sont que des fables et qu’il ne faut pas ajouter foi à ceux qui les raportent, on leur répondra 1o. qu’il est aussi facile d’en dire autant des leurs, et qu’il n’y a pas plus de raison de croire les uns que les autres, ou du moins il est certain qu’on ne sauroit discerner par aucune voïe certaine s’il y a plus de raison de croire les uns que les autres, et on pouroit même dire dans un doute de cette nature qu’il y auroit peut-être moins d’aparence de raison de croire les miracles que l’on dit avoir été faits dans le commencement du Christianisme. Et la raison de cela est que ceux du Paganisme sont pour la plûpart raportés par plusieurs graves Historiens qui ont été connus et estimés dans leur tems ; au lieu que ceux du commencement du Christianisme ne sont raportés que par des gens ignorans, gens de bas aloi, et qui n’étoient ni connus ni estimés dans leur tems et dont on ne connoit encore maintenant que les noms : encore n’est il pas sûr qu’ils portoient pour lors les noms qu’on leur donne.


  1. Ovide au IVme Liv. de ses Fastes.
  2. Tacite. Hist. lib. 4.o No. 81.
  3. Confess. T. V. p. 297.
  4. Ovide. Liv. 5 des Fastes.
  5. Diod. Liv. 4 Ch. 5 et Liv. 6 Ch. 2.
  6. Str. Liv. 10.
  7. Exod. 8: 7.