Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 18

La bibliothèque libre.
Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 1p. 117-137).
◄  XVII.
XIX.  ►

XVIII.

Mais ce qui fait encore d’autant plus clairement voir que ces sortes de livres ne peuvent venir d’aucune inspiration divine, c’est qu’outre la grossiéreté et la bassesse du stile dont ces Evangiles sont composés, outre le défaut d’ordre et de suite qu’il y a dans la narration des faits particuliers qui y sont raportés et qui y sont bien mal circonstanciés, on ne voit point que les auteurs s’accordent bien les uns avec les autres, puisque les uns raportent leurs histoires d’une façon, les autres d’une autre. On voit même qu’ils se contredisent manifestement les uns les autres en plusieurs choses, ce qui manifestement fait voir qu’ils n’étoient pas inspirés de Dieu et qu’ils n’avoient pas même assez de lumière ni assez de talens naturels pour bien rédiger une histoire.

Voici quelques exemples des contrariétés et des contradictions qui se trouvent entr’eux. L’Evangeliste S. Mathieu fait descendre Jesus-Christ du Roi David par son fils Salomon, et par tous les Descendans du dit Salomon jusqu’à Joseph, père au moins putatif de Jesus-Christ. Et l’Evangeliste S. Luc le fait descendre du même David par son fils Nathan et par tous les descendans du dit Nathan jusqu’à Joseph ; en quoi il y a contrarieté et erreur manifeste ; car il est certain et évident que si ce Joseph et Jesus-Christ sont descendus de David par son fils Salomon et par tous les Descendans du dit Salomon, ils ne peuvent être descendus encore du même David pas son autre fils Nathan et par tous les Descendans du dit Nathan qui sont manifestement tous autres que les Descendans de Salomon. D’ailleurs de quoi sert à ces Evangelistes de faire la Généalogie de ce Joseph et de le faire descendre de ce David pour montrer que leur Christ seroit fils de David, puisque leur Christ n’est pas véritablement fils de Joseph qui pouroit être descendu de David ? Il est manifeste que ni l’un ni l’autre de ces Evangelistes ne peut prouver que le Christ auroit été fils de David qu’autant qu’il auroit été fils de ce Joseph, qu’ils font descendre de ce David quoique par différentes voies. Or nos Christicoles ne veulent pas que leur Christ ait été fils de ce Joseph ; ainsi ce seroit mal à propos que ces Evangelistes auroient fait la généalogie de ce Joseph pour montrer faussement que Jesus-Christ auroit été fils de David, ou si l’un ou l’autre de ces Evangiles prouve qu’il ait été véritablement fils de David, il faut reconnoitre aussi qu’il étoit véritablement fils de ce Joseph ; en quoi il paroit manifestement encore qu’il y a de l’erreur de part ou d’autre. Mais quoi que se soit, c’est sans doute de la vanité de ces généalogies-là même que parle leur S. Paul lorsqu’il dit à son disciple Timothée[1] qu’il ne faut point s’arrêter à des fables et à des généalogies qui n’ont point de fin et qui sont plutôt un sujet de dispute que d’édification, et lorsqu’il dit à son autre disciple Tite[2] qu’il faut fuir les questions impertinentes et vaines généalogies, les disputes et les contestations sur la loi comme étant vaines et inutiles.

2o. Il y a contrariété et contradictions dans ce qu’ils disent touchant ce qui arriva, ou touchant ce qui se fit peu de tems après la naissance de ce Christ, car l’Evangeliste S. Mathieu dit qu’aussitôt après sa naissance le bruit s’étant répandu dans Jerusalem qu’il étoit né un nouveau Roi des Juifs et que des Magiciens l’étant venus chercher pour l’adorer, le Roi Herodes craignant que ce prétendu nouveau Roi ne lui ôtât quelque jour la couronne, fit égorger et massacrer tous les Enfans nouvellement nés depuis deux ans dans tous les environs de Bethleem où on lui avoit dit que ce prétendu nouveau Roi devoit naitre et que Joseph et la Mère de Jesus aïant été avertis en songe par un Ange de ce mauvais dessein que le Roi Herodes avoit de faire mourir les Enfans, ils s’enfuirent incontinent en Égypte où ils demeurèrent, dit cet Evangeliste, jusques à la mort du Roi Herodes qui n’arriva que plusieurs années après. Au contraire de cela l’Evangeliste S. Luc marque que Joseph et la mère de Jesus demeurèrent paisiblement durant six Semaines dans l’endroit où leur Enfant Jésus fut né, qu’il y fut circoncis, suivant la Loi des Juifs huit jours après sa naissance, et que lorsque le tems prescrit par la Loi pour la purification de sa mère fut arrivé, elle et Joseph son Mari le portèrent à Jerusalem pour le presenter à Dieu dans son temple, et pour offrir en même tems en sacrifice ce qui étoit ordonné par la susdite loi de Dieu ; après quoi, suivant ce que dit ce même Evangeliste Joseph et Marie, mère de Jesus, s’en retournèrent en Galilée dans leur ville de Nazareth où leur Enfant Jesus croissoit tous les jours en âge et en sagesse et en grace et que son Père et sa Mère alloient tous les ans à Jerusalem au jour solemnel de leur fête de Pâque. Si bien que cet Evangeliste ne fait nulle mention de leur fuite en Égypte ni de la susdite cruauté de Herodes envers les Enfans de la Province de Bethleem. Par où il est clair et évident qu’il y a de la contrarieté et de la contradiction dans ce que disent ces deux Evangelistes, et non seulement en ce que l’un dit de la cruauté d’Herodes et de la fuite de Joseph et Marie en Égypte avec leur enfant Jesus, et dont l’autre ne parle aucunement, mais aussi parcequ’il faut nécessairement que l’une ou l’autre de ces deux narrations soit fausse puisqu’il ne se peut faire que Joseph et Marie soient retournés si paisiblement en leur ville de Nazareth et qu’ils soient allés tous les ans à Jerusalem à la Fête solemnelle de Pâques comme l’un dit, et qu’ils aient été obligés de s’enfuir en Égypte et d’y faire un si long séjour, comme l’autre le dit. À l’égard de la cruauté d’Hérodes envers les Enfans de Bethleem et des environs comme les Historiens de ce tems-là n’en parlent point, que Joseph même, Historien juif, qui décrit la vie et les méchancetés de cet Herodes n’en parle point, et que les autres Evangelistes n’en parlent non plus dans leurs Evangiles, il y a toute aparence de croire que ce qui en est raporté dans l’Evangile de S. Mathieu n’est qu’une imposture, et que ce qu’il est dit de la fuite en Égypte n’est qu’un mensonge : car il n’est pas croïable que Joseph, Historien juif qui a blâmé et décrit les vices et les méchancetés de ce Roi eut passé sous silence une action si noire et si détestable que celle de faire massacrer inhumainement tant de petits innocens, si ce que cet Evangeliste en dit eut été véritable.

3o Il a contrariété et contradiction entre les susdits Evangelistes sur la durée du tems de la vie publique de Jesus-Christ, car, suivant ce que disent les trois prémiers Evangelistes, il ne paroit y avoir eu guéres plus de trois mois depuis son Baptême jusqu’à sa mort, en suposant qu’il avoit 30 ans ou près de 30 ans lorsqu’il fut baptisé par S. Jean, comme il est marqué dans l’Evangile de S. Luc[3] et qui’il ait été né le 25e Décembre, suivant l’opinion communément reçue par nos Deichristicoles. Car depuis ce Baptême qui fut l’an XV de l’Empire de Tibere Caesar et l’année qu’Anne et Caiphe étoient Grands-Prêtres, jusqu’au moi de Mars, il n’y avoit qu’environ trois mois ; et suivant ce que disent les trois premiers Evangelistes, il fut crucifié la veille du prémier Pâques suivant après son baptême et la prémiére fois qu’il vint à Jerusalem avec ses disciples comme il est marqué dans les susdits Evangelistes. Car tout ce qu’ils disent de son baptême, de ses voïages, de ses prédications, de ses miracles et de sa mort et passion se doit nécessairement raporter à la même année de son baptême, puisque ces Evangelistes ne parlent d’aucune autre année suivante, et qu’il parroit même par la narration qu’ils font de ses actions, qu’il les a toutes faites immediatement après son baptême et consécutivement les unes après les autres et en fort peu de tems, pendant lequel tems on ne voit qu’un seul interval de six jours avant sa transfiguration, pendant lesquels six jours, on ne voit pas ce qu’il a fait, ni qu’il ait fait aucune chose[4]. Par où l’on voit clairement qu’il n’auroit vécu après son baptême qu’environs trois mois, desquels trois mois si on veut en retrancher six semaines de 40 jours et de 40 nuits qu’il passa dans le desert immédiatement après son baptême, il s’en suivra que le tems de sa vie publique depuis ses prémiéres prédications jusqu’à sa mort, n’aura duré qu’environs six semaines. Et suivant ce que Jean l’Evangeliste marque, il auroit, comme on le prétend duré au moins trois ans et trois mois, puisqu’il paroit par la lecture de l’Evangile de cet Apotre, qu’il auroit été pendant le cours de sa vie publique trois ou même 4 fois à Jerusalem à la fête solemnelle de Pâques, qui n’arrivoit cependant qu’une seule fois l’an, en quoi il est constant qu’il y a contrariété et contradiction visible. Car s’il est vrai, comme les autres Evangelistes le marquent, qu’il a été crucifié la veille du prémier Pâques après son Baptême qui étoit, comme ils marquent l’an 15 de l’empire de Tibere-Cesar, et l’année qu’Anne et Caïphe étoient Souverains Sacrificateurs, il est faux qu’il ait été trois ou 4 fois depuis son Baptême à Jerusalem à la Fête solemnelle de Pâques, puisque cette Fête n’arrivoit, comme je viens de dire qu’une seule fois l’an, ou s’il est vrai qu’il y ait été 3 ou 4 fois depuis son baptême comme Jean l’Evangeliste[5] semble le témoigner, et comme nos Christicoles le prétendent ordinairement, il est faux qu’il n’ait vecu que 3 mois après son Baptême et qu’il ait été crucifié la prémiére fois qu’il fut à Jerusalem après son Baptême, comme les trois prémiers Evangelistes le témoignent. Si on dit que ces trois prémiers Evangelistes ne parlent effectivement que d’une seule année, mais qu’ils ne marquent pas distinctement les autres années qui se sont écoulées depuis son Baptême, ou que Jean l’Evangeliste n’entend véritablement parler que d’une seule Pâques, quoiqu’il semble qu’il parle de plusieurs, et que ce n’est que par anticipation qu’il dit et qu’il répète plusieurs fois que la Fête de Pâques des Juifs étoit proche, et que Jesus alla à Jerusalem ; et par conséquent qu’il n’y a qu’une contrariété et une contradiction seulement aparente sur ce sujèt entre les sus-dits Evangelistes, je le veux bien. Mais il est constant que cette contrariété et contradiction aparente ne viendroient que de ce qu’ils ne s’expliquent pas bien et qu’ils ne marqueroient pas suffisamment toutes les circonstances qui seroient ou qui auroient été à remarquer dans le récit qu’ils font de leurs Histoires. Mais soit qu’ils se contredisent ou soit qu’ils ne s’expliquent pas assez bien dans le récit de leur Histoire ; il y a toujours lieu de tirer cette conséquence qui est qu’ils n’étoient donc pas inspirés de Dieu lorsq’ils ont écrit leurs Histoires : car s’ils eussent été pour lors véritablement inspirés de Dieu, ils ne se seroient pas contredit les uns les autres, et ils auroient eu tous assez d’esprit et assez de lumière pour bien s’expliquer, et pour marquer suffissamment de suite et par ordre toutes les circonstances et toutes les particularités de leurs Histoires sans en omettre aucune des principales et sans en confondre et pervertir l’ordre comme ils ont fait en plusieurs rencontres. On ne peut nier même qu’ils ne se contredisent encore en plusieurs autres occasions.

1o. Ils se contredisent d’abord sur la première chose que J. C. fait incontinent après son Baptême, car les trois prémiers Evangelistes[6] disent qu’il fut aussitot après son Baptême transporté par l’esprit de Dieu dans un Desert où il jeûna pendant 40 jours et 40 nuits et où il fut par plusieurs fois tenté par le Diable et suivant ce que dit S. Jean[7] l’Evangeliste il partit deux jours après son Baptême pour aller en Galilée à plus de 30 lieuës de-là où il étoit et 3 jours après il se trouva à des noces qui se faisoient en Cana de Galilée, où il fit, dit-il son prémier miracle en y changeant l’eau en vin. Voilà une contrarieté et une contradiction assez manifeste, car s’il jeunoit véritablement dans un desert, il n’est pas à croire qu’il auroit été en même tems à 30 lieuës de là dans un festin de nôces ; ou s’il étoit véritablement dans ce Festin de nôces, il n’est pas à croire qu’il auroit été en même tems à plus de 30 lieuës de-là dans un desert.

2o. Ils se contredisent sur le lieu de sa prémière retraite après sa sortie du desert. Car Mathieu[8] l’Evangeliste dit qu’il s’envint en Galilee et que laissant la ville de Nazareth, il vint demeurer à Capharnaum, ville maritime ; et Luc[9] l’Evangeliste dit qu’il vint d’abord à Nazareth et qu’ensuite il vint à Capharnaum.

3o. Ils se contredisent sur le tems et la manière dont ses Apôtres se mirent à sa suite, car les trois prémiers Evangelistes[10] disent que Jesus-Christ passant sur la Mer de la Galilée, il vit Simon et André, son Frère qui pêchoient sur la dite Mer, et qu’un peu plus loin il vit Jacques et Jean son Frère avec leur Père Zébédéé qui racommodoient leurs filèts parce qu’ils étoient aussi pêcheurs, et que les aïant apellés, ils laissèrent incontinent leurs filèts et le suivirent Et Jean[11] l’Evangeliste au contraire dit que ce fut André, frère de Simon Pierre qui se joignit prémierément à Jesus avec un autre disciple de Jean Baptiste, l’aïant vu passer devant eux lorsqu’ils étoient avec leur Maitre sur les bords du Jourdain et qu’ils se joignirent à lui sur ce que Jean, leur Maitre, leur dit, voïant passer Jesus devant eux : Voilà l’Agneau de Dieu, voilà celui qui ôte les péchés du monde et qu’André aïant ensuite trouvé son frère Simon il l’amména à Jesus, et que ensuite Jesus voulant aller en Galilée, il trouva Philippe et puis Nathanael qui vinrent à lui : en quoi il y a contrariété et contradiction, car si ces disciples de Jesus-Christ se sont joins à lui de la manière que Jean l’Evangeliste le dit, ils ne se sont pas joins à lui de la manière que les autres Evangelistes le disent.

4o. Ils se contredisent sur le récit qu’ils font dans la dernière cène que Jesus-Christ fit avec ses Apôtres ; car les trois prémiers Evangelistes marquent qu’il fit dans cette derniere cène l’institution du sacrement de son corps et de son sang sous les espèces et aparences du pain et du vin, comme parlent nos Deicatholiques Romains ; et Jean[12] l’Evangeliste dit qu’après cette cène Jésus lava les piés à ses Apôtres, qu’il leur recommanda expressément de faire les uns et les autres la même chose, et raporte un long discours qu’il dit que Jesus leur fit dans le même tems. Mais les autres Evangelistes ne parlent aucunement de ce lavement de piés ni d’aucun long discours qu’il leur fit pour lors. Au contraire ils témoignent qu’incontinent après cette cène il s’en alla avec ses Apôtres sur la montagne des olives, que là s’étant un peu éloigné de ses Apôtres, il se mit tout seul en prières, qu’il abandonna son Ame à la tristesse et qu’enfin il tomba en agonie pendant que ses Apôtres dormoient un peu plus loin : en quoi il y a contrariété et contradiction : car si ce que ces trois Evangelistes marquent est véritable, il n’y a point d’aparence qu’il leur eut lavé les piés, ni qu’il auroit eu le tems de leur faire pour lors un si long discours puisqu’il étoit déjà nuit avant qu’ils eussent achevé la cérémonie de leur cène, comme il est marqué dans S. Jean 13 : 30 en qu’ils s’en allérent aussitôt après les graces dites, sur la montagne des Oliviers[13] comme Math.  et Marc. le disent. Il n’y a pas d’aparence non plus qu’il leur ait fait un si long discours sur la dite Montagne, puisqu’étant-là il se retira d’eux pour se mettre en prières, et qu’il y fut abattu de tristesse pendant que les disciples y étoient d’un autre côté abattus de sommeil, comme les autres Evangelistes le marquent. Mais comment est ce que S. Jean l’Evangeliste se seroit si bien souvenu après un si grand nombre d’années d’un si grand nombre de paroles qui sont raportées dans ce discours, lui qui ne fait point mention de plusieurs autres choses beaucoup plus rémarquables, non plus que de plusieurs discours paraboliques, qu’il auroit du lui avoir oui dire, aussi bien que les autres Evangelistes ? D’où vient une si grande diversité entre les uns et les autres ? Si ce n’est que ce n’est point l’esprit de vérité qui les conduisoit, mais l’esprit d’erreur et de mensonge. En effet on voit bien que le stile même de leurs narrations n’est qu’un stile de fables, et même de fables mal conçues, mal suivies et mal raportées.

5o. Ils se contredisent eux-mêmes sur le jour qu’ils disent qu’il fit cette cène ; car d’un côté ils marquent qu’il la fit le soir de la veille de Pâques, c’est à dire le soir du prémier jour des azimes ou de l’usage des pains sans levain[14] lorsqu’il falloit, suivant la Loi des Juifs, manger l’Agneau pascal. Car c’étoit le soir de la veille de cette grande Fête de Pâques qu’ils devoient manger l’Agneau pascal et le pain sans levain comme il est marqué dans l’Exode 12 : 18 ; Lev. 23 : 5 ; Num. 28 : 16 et d’un autre côté ils marquent qu’il fut crucifié le lendemain du jour qu’il fit cette cène vers l’heure du midi après que les Juifs lui eurent fait son procès toute la nuit et le matin. Or suivant leur dire le lendemain qu’il fit cette cène[15], n’auroit pas dû être le lendemain de Pâques, mais le jour même de la grande Fête de Pâques : donc s’il est mort la veille de Pâques vers le midi ce n’étoit point le soir de la veille de cette Fête qu’il fit cette cène, et s’il a fait cette cène la veille de cette Fête, ce n’a point été la veille de cette Fête qu’il a été crucifié, mais le jour même de cette Fête, en quoi il est manifeste qu’il y a de l’erreur de part ou d’autre, c’est à dire qu’il n’a pas fait la cène la veille de cette Fête ou même qu’il n’a pas fait la cène la veille de cette fête, qui étoit le jour qu’il la falloit faire et qu’il fut crucifié le lendemain qu’il le fit ; et c’est en quoi aussi ces Evangelistes se coupent et se contredisent.

6o. Ils se contredisent sur ce qu’ils raportent des Femmes qui avoient suivi Jesus depuis la Galilée, car les trois prémiers Evangelistes disent[16] que ces femmes et tous ceux de sa connoissance, entre les en quelles étoit Marie Magdelaine, Marie mère de Jaques et de Joseph et la mère des Enfans de Zébédée qui regardoient de loin ce qui se passoit lorsqu’il étoit pendu et attaché à la croix, et Jean[17] l’Evangeliste dit au contraire que la mère de Jesus et la sœur de sa mère et Marie Magdelaine étoient debout auprès de la croix avec Jean son Apôtre, que Jesus voïant sa mère et auprès d’elle le disciple qu’il aimoit, il dit à sa mère : Femme voilà votre fils, et qu’il dit à son Disciple : voilà votre mère, en quoi il y a contrariété et contradiction : car si ces femmes et ce disciple étoient proche de lui comme dit Jean l’Evangeliste, ils n’étoient donc pas éloignés, comme disent les autres, ou s’ils en étoient éloignés, comme ces trois le disent, ils n’en étoient proche comme ce dernier le dit.

7o. Ils se contredisent sur les prétenduës aparitions qu’ils raportent de Jesus-Christ après sa prétendue resurrection ; car Mathieu[18] ne parle que de deux aparitions, l’une lorsqu’il s’aparut à Marie Magdelaine et à une autre femme nommée aussi Marie, l’autre lorsqu’il s’aparut à ses onze disciples qui s’étoient rendus en Galilée sur la Montagne qu’il leur avoit marqué pour le voir[19]. Marc. parle de trois aparitions ; la première lorsqu’il aparut à Marie Magdelaine, la deuxième lorsqu’il aparut à deux de ses Disciples lorsqu’ils alloient à Emmaüs et la troisième et dernière lorsqu’il aparut à ses onze Disciples, auxquels il fit reproche de leur incrédulité. Luc[20] ne parle que de deux aparitions, savoir de celle qu’il fit à deux de ses diciples qui alloient à Emmaus, et de celle qu’il fit à ses 11 disciples et plusieurs autres qui étoient assemblés avec eux dans la ville de Jérusalem. Et Jean[21] l’Evangeliste parle de 4 aparitions, savoir de la prémière qu’il fit à Marie Magdelaine, d’une deuxième qu’il fit à ses onze disciples qui étoient assemblés à Jerusalem dans une maison dont ils avoient fermé les portes, d’une troisième aparition qu’il fit 8 jours après aux mêmes disciples assemblés encore de la même manière dans une maison dont ils avoient fermés les portes, et enfin d’une quatrième aparition qu’il fit à 7 ou 8 de ses Disciples qui pechoient sur la mer de Tybériade[22].

8o. Ils se contredisent encore sur les lieux de ces pretenduës aparitions, car Mathieu[23] dit que ce fut en Galilée que ses disciples le virent, savoir sur une Montagne où il leur avoit dit de se rendre pour le voir. Marc[24] dit qu’il s’aparut à eux losqu’ils étoient à table. Luc[25] dit qu’il les mena hors de la ville de Jerusalem et qu’il les mena jusques en Béthanie où il les quitta en s’élevant au ciel : et Jean[26] dit que ce fut dans la ville de Jérusalem qu’il s’aparut à eux dans une maison dont ils avoient fermé les portes, et une autre fois sur la Mer de Tybériade.

Voilà bien de la contradiction dans le recit de ces prétendues aparitions ; elles ne peuvent être toutes véritables ; car s’il est vrai, comme dit Jean l’Evangeliste qu’il aparut le soir du jour même de sa resurrection à ses disciples assemblés à Jerusalem dans une maison dont ils avoient fermé les portes, comment pouroit être vrai ce que dit Mathieu que ce fut en Galilée que ses Apotres le virent sur une Montagne, où il leur avoit ordonné de se rendre pour ce sujèt et qu’ils y allèrent effectivement aussitôt après que les femmes leur eurent dit qu’il étoit ressuscité ; si c’étoit à Jerusalem qu’il vouloit se montrer à eux le soir du jour même qu’il ressuscita, comme Jean l’Evangeliste dit qu’il fit effectivement, qu’étoit-il nécessaire qu’il les envoïât si promtement à 30 lieuës de-là pour le voir ? Et pourquoi leur faisoit-il dire que ce seroit-là qu’ils le verroient et qu’il seroit même avant eux au lieu où il leur avoit dit de se rendre comme Mathieu le raporte. Car puisque c’étoit à Jerusalem même qu’il devoit se montrer ce jour-là à eux, il n’avoit que faire de les envoïer pour cela en Galilée à 30 lieuës de Jerusalem : ou si au contraire ce n’étoit qu’en Galilée qu’il devoit se montrer à eux et qu’ils partirent aussitôt après sa Résurrection pour se rendre à l’endroit qu’il leur avoit marqué, comme Mathieu le raporte, comment se montra-t’-il à eux dans Jerusalem ? puisque s’ils étoient partis pour aller en Galilée, comme le même Mathieu le raporte, il est visible qu’il y a de la contradiction en cela, et il faudroit multiplier ici des miracles pour accorder cela. Mais comment est ce que Mathieu lui-même qui étoit un des onze Apôtres et qui auroit par conséquent été avec les autres Apôtres dans la même maison à Jerusalem et lorsque Jesus-Christ vint et se montra au milieu d’eux les portes étant fermées, comment est-ce, dis-je que cet Apôtre qui auroit été témoin de cette aparition auroit pu dire et marquer dans son Evangile que c’étoit en Galilée qu’ils le devoient voir et qu’ils partirent promtement pour se rendre au lieu qu’il leur avoit marqué sans faire mention qu’ils l’auroient vû le jour même au soir dans Jerusalem ? Et il n’y a point d’aparence que cet Apôtre auroit pû dire cela sans faire mention de cette prétendue aparition faite à Jerusalem si elle eut été véritable. Pareillement comment est ce que S. Jean l’Evangéliste qui étoit aussi un des onze Apôtres et qui par conséquent auroit aussi été avec les autres Apôtres en Galilée, et qui auroit vû comme les autres Jesus-Christ ressuscité, comment est-ce, dis je, qu’il y auroit été et qu’il auroit vû Jesus-Christ ressuscité sans faire mention de ce voïage ni de cette aparition qui détruit la vérité de celle qu’il raporte dans le récit qu’il fait de son Histoire. Il n’y a certainement point d’aparence qu’il auroit fait ce voïage et qu’il auroit vû son Maitre sans en faire mention dans son Evangile, si ce voïage et si cette aparition eussent été veritables, ainsi il faut qu’il y ait de l’erreur ou du mensonge de part ou d’autre.

9o. Ils se contredisent encore au sujet de sa prétendue Ascension dans le Ciel, car les Evangelistes Luc et Marc disent positivement qu’il monta au Ciel en présence de ses onze Apôtres : mais ni Mathieu ni Jean ne font aucune mention de cette prétendue Ascension. Bien plus Mathieu l’Evangeliste témoigne assez clairement qu’il n’est point monté au Ciel, puisqu’il dit positivement que Jesus-Christ assura ses Apôtres dans cette Aparition qu’il dit qu’il leur fit qu’il seroit et qu’il demeureroit toujours avec eux jusqu’à la fin des siècles. Allez donc, leur dit-il, dans cette prétendue aparition, allez enseigner toutes les Nations, et soïez assurés que je serai toujours avec vous jusqu’à la fin des siècles[27]. Et Luc se contredit lui-même sur ce sujet, car dans son Evangile il dit que ce fut en Bethanie[28] qu’il monta au Ciel en présence de ses Apôtres, et dans ses Actes des Apôtres[29], suposé qu’il en soit l’Auteur, comme on le dit, il dit que ce fut sur la montagne des Oliviers. Il se contredit encore lui-même sur une autre circonstance de cette Ascension, car il témoigne dans son Evangile[30] que ce fut le jour même de sa resurrection ou la prémière nuit suivante qu’il monta au Ciel, et dans ses Actes des Apôtres[31] il dit que ce fut 40 jours après sa Résurrection : ce qui ne s’accorde certainement pas.

Si tous les Apôtres avoient certainement vû leur Maitre monter glorieusement au Ciel, comment est ce que Mathieu et Jean l’Evangeliste qui l’auroient vû comme les autres, auroient pû passer sous silence un si glorieux mistère et ne point parler d’une chose si glorieuse et si avantageuse à leur Maitre ; vû d’ailleurs qu’ils raportent quantité d’autres circonstances de sa vie et de ses actions qui sont beaucoup moins considérables que celle-ci, et notamment encore comment Mathieu auroit-il pû dire, comme il a fait dans son Evangile, que Jesus-Christ assura ses Apôtres lorsqu’il s’aparut à eux qu’il seroit avec eux jusqu’à la fin des siècles ; s’il étoit vrai qu’il l’eut vû monter au Ciel : car s’il l’eut vû monter au Ciel, il auroit dû, comme Historien fidèle, faire mention expresse de cette prétendue Ascension, et non seulement en faire mention expresse, mais aussi expliquer clairement de quelle maniere il demeureroit toujours avec eux, quoiqu’il les quittât visiblement pour monter au Ciel parcequ’il n’étoit pas facile de comprendre par quel secret il demeureroit avec eux qu’il quittoit : cependant cet Evangeliste ne fait ni l’un ni l’autre : c’est ce qui fait manifestement voir qu’il y a de l’erreur, de la contrarieté et de la contradiction dans leurs prétenduës histoires et que ce ne sont que fables. Je passe sous silence quantité d’autres semblables contradictions qui se trouvent dans ces prétendus saints et divins livres, parce qu’il seroit trop long de les raporter toutes : mais ce que je viens de dire suffit pour faire clairement voir que ces livres ne viennent d’aucune inspiration divine, ni même d’aucune sagesse humaine et par consequent qu’ils ne méritent pas qu’on y ajoute foi.

Mais encore par quel privilège ces 4 Evangelistes-ci et quelques autres semblables Livres passent-ils pour Sts et divins plutôt que plusieurs autres qui portent comme ceux-ci le titre d’Evangile, ou qui ont été autrefois, comme ceux-ci, publiés sous le nom de quelques autres Apôtres, comme je l’ai déjà remarqué. Il y a plusieurs autres Evangiles et autres Ecrits que l’on a voulu faire passer autrefois pour canoniques, je veux dire pour des livres Sts et divinement inspirés, comme sont par exemple l’Evangile qui est selon les Apôtres et dont parle S. Augustin Liv. I contre Adimante ch. 17 lequel Evangile étoit reçu des Manichéens, un autre des Nazaréens, qui étoit selon St Pierre et dont parle Theodoret Liv. 2 des fables des Hérétiques, un autre qui étoit selon l’Apôtre André, un autre qui étoit selon S. Jacques Apôtre, un autre selon St Thomas, un autre selon St Mathias dont parle S. Innocent Ep. 3 et S. Ambroise sur la préface de l’Evangile selon S. Luc. Un autre selon les Egyptiens dont Clément Alexandrin s’est servi, comme il le témoigne lui même Liv. 7 des Tapis ch. 7. Un autre selon les Hebreux dont parle encore Theodoret. Un autre selon Judas Iscariote dont le même Theodoret parle Liv. I des Fables des Hérétiques. Un autre selon S. Philippe l’apôtre. Un autre selon S. Barthelemi, et enfin un autre selon S. Basilide dont parle S. Ambroise et plusieurs autres semblables livres que l’on vouloit faire passer autrefois pour canoniques et divins ; par quel privilège, dis je, les 4 Evangelistes cidessus nommés ont-ils été préferés à tous ces autres ? Par quelle règle, par quel endroit et par quel témoignage sait-on, que Mathieu, que Marc, que Luc et que Jean l’Evangeliste étoient véritablement inspirés de Dieu lorsqu’ils écrivoient leurs Evangiles et que les autres Apôtres ne l’étoient pas lorsqu’ils écrivoient les leurs.

Si on dit que les Evangiles de ceux-ci sont suposés et qu’ils sont faussement attribués aux Apôtres, on seroit en droit de demander encore par quelle règle, par quel endroit, et par quel témoignage on sait que c’est faussement que les autres Evangiles ont été attribués aux Apôtres et que ces quatre prémiers ne sont pas faussement attribués à ceux dont ils portent le nom ? Certainement si les uns de ces Apôtres se sont vantés faussement d’être inspirés de Dieu lorsqu’ils écrivoient leurs Evangiles, les autres peuvent bien s’en être vantés aussi faussement que leurs compagnons ; et si les uns de tous ces autres Evangiles ont été faussement attribués aux Apôtres, les quatre prémiers pouroient avoir été aussi faussement attribués à ceux dont ils portent les noms ; et enfin si les uns de ces Evangiles ont été falsifiés et corrompus aussi facilement, les autres peuvent-ils l’avoir été moins. Et ainsi il n’y a point de régle, point de preuve, point de témoignage assurés par où l’on puisse discerner en cela les uns d’avec les autres.

Mais, dira-t-on, c’est l’Eglise elle-même qui fait ce discernement et qui a levé tout sujèt de doute sur cette matière, en déclarant, comme elle a fait dans ses Conciles quels étoient les livres qui avoient été inspirés de Dieu et quels étoient ceux qui ne l’avoient pas été, recevant les premiers comme autentiques et rejettant les autres comme apocrifes. C’est ce qu’elle a déclaré, dit-on, dans le troisième Concile de Carthage sous le Pape Cirile au canon 49 vers l’an 397, où en les paroles des Pères de ce Concile, il nous a plû d’ordonner qu’on ne liroit dans l’Eglise que les seuls Livres canoniques sous le nom d’Ecritures saintes et divines. Or les Livres canoniques, disent ces Pères sont ceux-ci : le Genese, l’Exode, le Levitique etc. La même chose a été réglée dans le Concile de Trente[32] qui a dressé un Catalogue de tous ces livres que l’Eglise veut que l’on regarde comme divins, prononçant anatheme contre tous ceux qui ne les recevront pas comme tels. Il est vrai que l’Eglise l’a jugé et determiné ainsi ; mais de bonne foi peut on dire et se persuader pour cela que les livres qu’elle s’est ainsi choisis et qu’elle veut que l’on regarde comme saints et divins aïent été véritablement et certainement inspirés de Dieu, vû particulièrement qu’elle n’en aporte d’autre preuve, ni d’autre raison, ni d’autre témoignage que celui de dire il nous plait, il nous a plû de le juger et determiner ainsi. Placuit, Censuit etc. Qui est ce qui ne voit pas que dans toutes les Religions, dans toutes Sectes et dans toutes Societés de personnes, les Hommes pouroient avec la même facilité se faire et se forger des livres prétendus saints et divins ?

Ils le pouroient sans doute, et c’est aussi effectivement ce qu’ils font : mais comme les gens d’esprit savent que les Hommes ne sauroient se faire et se forger que de fausses Divinités comme sont celles qu’ils adorent, ils savent aussi qu’ils ne sauroient se faire ni se forger que faussement des livres inspirés de Dieu comme sont tous ceux que nos Christicoles regardent et qu’ils voudroient faire regarder comme divins. Ainsi c’est en vain qu’ils prétendent tirer avantage de l’autorité qu’ils donnent à ces livres, et c’est en vain qu’ils en prétendent tirer des preuves ou des témoignages assurés de la vérité de leur Religion, puisqu’ils ne portent en eux-mêmes aucun caractère de Divinité, ni même aucune marque extraordinaire de sagesse humaine.


  1. Timothée I. 4
  2. Tit. 3. 9.
  3. Luc. 3 : 21.
  4. Math. 17 : 1. Marc. 9 : 2. Luc, 9 : 28.
  5. Jean : 2: 13 et : 1 et 6: 4 et 7: 2, 10 et 11: 5: et 12: 12.
  6. Math. 4: 1. Marc. I: 12. Luc. 4: 1.
  7. Jean 2: 11.
  8. Math. 4: 13.
  9. Luc. 4: 16, 31.
  10. Math. 4: 18 ; Marc. 1: 16 ; Luc. 5.
  11. Jean 1 : 6, 40, 45.
  12. Jean. 13 : 5.
  13. Math. 26 : 43. Marc. 14 : 37. Luc, 22 : 45.
  14. Non in die festo ne… Matth. 26 : 5.
  15. Math. 26 : 17. Marc, 14 : 12. Luc. 26 : 7.
  16. Math. 27: 55. Marc. 15: 40. Luc. 23: 49.
  17. Jean 19: 25.
  18. Math. 28 : 9, 17.
  19. Marc. 16 : 9, 12, 14.
  20. Luc. 24 : 13, 36.
  21. Joan. 20 : 15, 19, 26.
  22. Joan. 21 : 1.
  23. Math. 28 : 16.
  24. Marc. 16 : 14.
  25. Luc. 24 : 50.
  26. Joan. 20 : 19 et 21 : 1.
  27. Math. 28 : 20.
  28. Luc. 24 : 50.
  29. Act. 1 : 12.
  30. Luc. 24 : 13, 29, 51.
  31. Act. 1 : 3.
  32. Session, 4.