Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 19

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Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 1p. 138-167).
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XIX.

J’ai dit encore que les prétendus miracles qui sont raportés dans ces prétendus saints Livres ne s’accordent pas avec ce que l’on devoit penser de la grandeur, de la sagesse et de la justice d’un Etre infiniment parfait et par conséquent que ces prétendus miracles n’étoient pas croïables en eux-mêmes. C’est ce que je vais faire voir assez clairement par ce raisonnement-ci. Il ne faut penser de la grandeur, de la bonté, de la sagesse et de la justice d’un Etre qui seroit infiniment parfait que ce qui seroit convenable à toutes ces divines perfections-là. Or seroit-il par exemple convenable à une souveraine bonté, à une souveraine sagesse et à une souveraine justice de vouloir se repaître de chair et de sang par de cruels et sanglans sacrifices ? Leur seroit-il convenable de vouloir faire une injuste et odieuse acception de personnes ni même aucune injuste et odieuse acception des peuples ? Leur seroit-il convenable à ces divines Perfections de vouloir de sangfroid et de propos déliberé détruire les uns et les accabler de misères pour favoriser les autres sans aucun merite et les accabler heureusement de tous biens ? Non, sans doute, car ces Livres-là, dont je parle et qui passent pour saints et divins parmi nos Christicoles défendent expressément toute injustice, toute iniquité et notamment toutes sortes d’injustes acceptions des personnes. Vous n’aurez point d’égard dit la Loi[1] à l’aparence de la personne en jugement, mais vous écouterez également le petit comme le grand. Et dans un autre endroit il est dit[2] : Vous ne pervertirez point le droit et n’aurez point d’égard à l’aparence des personnes et ne prendrez aucun présent, parce que les présens aveuglent les yeux des sages et renversent les paroles des justes. Et dans le Levitique[3] il est dit vous ne ferez point d’iniquité en jugement, vous n’aurez point d’égard à la personne du pauvre, ni à la personne du riche et du grand, mais vous jugerez justement votre prochain. Les mêmes Livres témoignent et disent en plusieurs endroits qu’il n’y a point d’iniquité en Dieu, qu’il ne fait acception de personnes et qu’il ne considére point les présens, c’est ce qui est expressement marqué dans les susdits livres. Gardez soigneusement les commandemens de votre Dieu, dit la Loi[4] parce que le Seigneur votre Dieu est le Seigneur des Seigneurs, le Dieu des Dieux, le Dieu très-grand, très-fort, très-puissant et terrible, lequel n’a point d’égard à l’aparence de personne et ne reçoit point de présent. La même chose est marquée en plusieurs autres endroits des susdits livres, comme dans les Proverbes 19 : 7[5], Eccles. 35 : 15, Act. 10 : 34, Rom. 2 : 11, Gal. 2 : 6, Eph. 6 : 9, Colloss, 3 : 24 ; ils disent, ces mêmes saints et sacrés livres[6], que Dieu ne craint point les Grands et qu’il ne méprise point les Petits, mais qu’il a un soin égal des uns comme des autres. Ils disent qu’il aime toutes ses créatures, et qu’il ne hait rien de tout ce qu’il a fait[7].

En effèt si Dieu étoit Dieu, c’est à dire, s’il y avoit véritablement un Dieu, comme nos Christicoles l’entendent et le disent, il seroit également l’auteur de toutes les créatures, également l’auteur de tous les Hommes et de tous les Peuples ; il ne seroit pas seulement le Dieu des Juifs ou des Grecs, mais aussi le Dieu de tous les Peuples et de toutes les Nations de la Terre, et partout il seroit également le Protecteur de tous et leur Bienfaiteur.

Or les prétendus miracles qui sont raportés dans ces prétendus Sts et sacrés Livres et particuliérement ceux qui sont raportés dans les livres du vieux Testament, n’auroient été faits, suivant leur raport, que pour marquer de la part de Dieu une injuste et odieuse acception de peuples et de personnes, et pour détruire et accabler de maux et de miséres — comme de sang froid et de propos déliberé les uns, et pour favoriser tout particuliérement les autres : car cette acception de peuples et de personnes préférablement des uns aux autres se voit manifestement dans les susdits livres du vieux Testament, et notamment dans ceux qui raportent la vocation et le choix qu’ils disent que Dieu fit des Patriarches Abraham, Isaac et Jacob pour de leur postérité se faire tout particuliérement un peuple qu’il sanctifieroit et béniroit par dessus tous les autres peuples de la Terre[8], car ces livres marquent expressément que Dieu apella le premier de ces Patriarches, qu’il lui commanda de sortir de son Païs, de quiter tous ses parens et amis et de s’en aller dans un autre Païs, qu’il lui montreroit, lui promettant en même tems de multiplier et de bénir à tout jamais sa postérité. Il s’aparut une seconde et troisième fois à lui, disent ces mêmes livres, et lui dit : je suis le Seigneur Dieu tout-puissant, marchez droit devant moi et soïez parfait, car je mettrai mon alliance entre moi et vous, je multiplierai amplement votre Postérité, je la rendrai aussi nombreuse que les grains de poussiére qui sont sur la Terre[9]. Voïez, lui dit-il, si quelqu’un peut compter les grains de poussiére qui sont sur la Terre, ce sera de même de votre Postérité, car celle-ci sera aussi nombreuse que la poussiére de la Terre. Vous serez, lui dit-il, le Père de beaucoup de Nations, vous ne vous apellerez plus Abram, mais Abraham, parceque je vous ai établi Pere de beaucoup de Nations, et même des Rois sortiront de votre sang. Je mettrai mon Alliance entre moi et vous et votre Postérité après vous pour être une Alliance perpetuelle, afin que je sois votre Dieu et le Dieu de vos Descendans après vous, et voici, lui dit-il, l’alliance que je ferai avec vous, et que vous garderez vous et votre postérité après vous :[10] vous circoncirez entre vous tous vos Enfans mâles, vous circoncirez le prépuce de votre chair, ce sera la marque éternelle de mon alliance avec vous et avec votre Postérité[11]. Tout enfant mâle sera circonci au huitiéme jour. Je vous donnerai, lui dit-il, encore à vous et à vos descendans la terre où vous êtes comme étranger,[12] je vous donnerai toute la terre de Chanaan et vous posséderez tout le païs qui est depuis le fleuve d’Egypte jusqu’au grand fleuve de l’Euphrate, et toute la terre qui est depuis une mer jusqu’à l’autre[13]. Levez vous, lui dit-il encore, parcourez tout ce païs, voïez-en la longueur et la largeur, car je vous le donnerai pour vous et pour vos Descendans pour en jouir à tout jamais, car je serai éternellement leur Dieu. Dieu réitera ces mêmes promesses aux deux autres Patriarches Isaac et Jacob, qui étoient les prémiers Descendans de cet Abraham et leur dit,[14] suivant qu’il est marqué dans les susdits livres, qu’il rendroit leur postérité aussi nombreuse que le sont les Etoiles du Ciel et que le sont les grains de sable de la Mer, il leur dit qu’il béniroit ceux qui leur seroient amis, qu’il maudiroit ceux qui seroient leurs ennemis, et qu’en leur considération il béniroit toutes les Nations de la Terre, lesquelles promesses leur furent faites plusieurs fois de la part de lui-même, comme il est marqué dans les susdits livres. Genese 12 : 1, 2, 3 ; 18 : 18 ; 26 : 4 ; 22 :17 ; 28 :14.

Elles furent même confirmées par jurement et par serment de la part de Dieu, comme il est marqué aussi dans les susdits livres Gen. 22 : 16 ; Psal 89 :4 ; Eccl. 44 : 22 ; Hebr. 6 : 13, 14 ; et c’est en conséquence de toutes ces belles prétendues Promesses divines que le peuple juif, autrement dit le peuple d’Israël, qui étoit descendu de ces trois Patriarches est apellé en plusieurs endroits des susdits livres le Peuple choisi, le Peuple de Dieu, le Peuple saint et le Peuple bénit[15]. Si vous obéïssez à la loi de Dieu, disoit Moïse à ce Peuple et si vous gardez fidèlement l’alliance, qu’il a faite avec vous, vous serez de tous les peuples le plus aimé, le plus choisi et le plus favorisé de Dieu ; vous lui serez comme un Roïaume de Sacrificateurs et comme une Nation sainte ; il vous envoïera, leur disoit-il, son ange afin qu’il vous préserve de tout danger et qu’il vous conduise heureusement au lieu qu’il vous a préparé, il bénira vos travaux, il n’y aura point de stérilité dans votre païs ni de maladie contagieuse parmi vous et il accomplira favorablement le nombre de vos jours[16] il se déclarera l’Ennemi de ceux qui seront contre vous ; il jettera la terreur et l’épouvante parmi vos ennemis, et leur fera honteusement tourner le dos pour prendre la fuite devant vous. Vous ne ferez point d’alliance ni de société avec les autres Peuples, leur disoit-il encore et vous ne leur ferez aucune grace, au contraire vous les détruirez, vous briserez leurs images et leurs idoles, parce que vous êtes un peuple saint à votre Dieu qui vous a choisi afin que vous lui soïez un peuple plus précieux que tous les autres peuples de la Terre. Ce n’est pas, leur disoit-il,[17] parceque vous étiez le plus fort ou en plus grand nombre que tous les autres peuples qu’il vous a choisi, puisque vous êtes le plus petit en nombre, mais parce qu’il vous a aimé et qu’il vous garde le serment qu’il a fait à vos Pères de vous prendre tous sous sa divine protection et de vous bénir par dessus tous les peuples de la Terre ; ne mangez rien d’impur, leur disoit-il encore[18], parce que vous êtes un peuple saint et un peuple que Dieu s’est choisi entre tous les Peuples de la Terre afin que vous lui soïez un peuple précieux ; enfin, leur disoit-il, encore dans une autre occasion :[19] Dieu vous a choisi afin que vous soïez tout particuliérement son peuple et afin que vous observiez tous ses commandemens[20], il vous élevera en honneur, en renommée et en gloire par dessus toutes les nations de la terre, afin que vous lui soïez un peuple saint, ainsi qu’il l’a promis à vos Pères. On ne peut nier qu’il n’y ait eu dans un tel choix une veritable acception de peuple de la part de Dieu, puisqu’il n’en choisissoit qu’un seul préférablement à tous les autres ; et on ne peut nier qu’il n’y ait de l’injustice dans une telle acception de peuple et de personnes, puisqu’elle se faisoit seulement par faveur et sans avoir égard au mérite des uns ni des autres ; et enfin on ne peut nier qu’une telle acception de peuples et de personnes n’ait été odieuse à tous les autres peuples, puisqu’elle se faisoit à leur prejudice, et ne tendoit qu’à leur ruine.

Comme donc il ne seroit pas convenable à une souveraine bonté, ni à une souveraine sagesse et justice de vouloir faire aucune injuste et odieuse acception de personnes ou de peuples, il ne faut pas penser qu’un Dieu infiniment bon, infiniment sage et infiniment juste auroit jamais voulu faire une telle acception du peuple juif au préjudice de tous les autres peuples de la Terre, ni qu’il auroit voulu si particuliérement emploïer sa toute-puissance pour favoriser et confirmer une telle acception de peuples et de personnes : et par cette raison il paroit encore assez manifestement que les prétendus miracles que l’on dit avoir été faits pour ce sujèt, ne sont nullement croïables. Que l’on ne prétende pas dire ici qu’il n’y auroit aucune injustice en Dieu de se choisir ainsi des personnes ou quelques peuples entiers préférablement aux autres, parce que Dieu étant le Maitre absolu de ses Graces et de ses Bienfaits, il peut les accorder à qui il lui plait, sans que personne ait droit de s’en plaindre, et sans que personne puisse lui en faire aucun reproche, ni l’accuser d’aucune injustice ; que l’on ne prétende pas, dis-je, alléguer une si vaine raison ; car si Dieu est véritablement l’auteur de la nature, s’il est véritablement l’auteur et le Père de tous les Hommes et de tous les Peuples, comme le disent nos Christicoles et tous les Deicoles, il doit également les aimer tous comme ses propres ouvrages et par conséquent il doit être également aussi leur Protecteur et leur Bienfaiteur. Car celui qui donne l’être, doit donner aussi, suivant la maxime qui est véritable, les conséquences et les suites nésessaires pour le bien-être. Qui dat esse, debet consequentia adesse, si ce n’est que nos Christicoles veuillent dire que leur Dieu voudroit faire exprès des créatures pour les rendre misérables et malheureuses : ce qu’il seroit certainement encore indigne de penser d’un être qui seroit infiniment bon. Et par conséquent si ce Dieu a donné l’être à tous les Hommes et à tous les Peuples, il doit pareillement aussi leur donner également à tous le bien-être et par conséquent aussi il doit les favoriser également tous de sa divine bienveillance et de ses bonnes graces sans faire aucune injuste et odieuse acception de personnes ni de peuples, comme celle qu’on prétend qu’il a faite en faveur d’Abraham, d’Isaac et de Jacob et de leur Postérité qui se trouve dans le peuple juif.

Si l’on dit que Dieu aimeroit et favoriseroit également tous les Peuples et tous les Hommes, s’ils méritoient également d’être aimés et d’être également favorisés de ses graces et de ses bienfaits, mais que comme ils ne méritent pas tous cette faveur, et qu’au contraire la plûpart des Hommes et des Peuples s’attirent à eux-mêmes par leurs vices et par leurs méchancetés la disgrace et les châtimens de Dieu, il ne faut pas s’étonner, dira-t’-on, si Dieu aime les uns plus que les autres, et s’il choisit plutot les uns que les autres pour leur communiquer plus particuliérement ses faveurs, n’y aïant aucune injustice dans une telle acception de peuple préférablement à tous les autres. À cela il est facile de répondre que tous les Hommes et tous les Peuples étant également l’ouvrage de Dieu comme on le supose, ils seroient tous tels qu’il les auroit fait et qu’il les auroit voulu faire, et pourtant n’auroient ni les uns ni les autres qu’autant de vertu, qu’autant de mérite et qu’autant de perfections qu’il leur en auroit voulu donner, de sorte que s’il avoit voulu donner aux uns plus de vertu, plus de mérite et plus de perfections qu’aux autres, afin de les favoriser plus particuliérement de ses graces et de son amitié, ou comme dit S. Paul, afin de faire paroitre sur eux les richesses de sa grandeur et de sa miséricorde, comme sur des vaisseaux de prédestinations et de bénédictions qu’il auroit voulu destiner à sa gloire et qu’il auroit au contraire voulu donner aux autres moins de vertu, moins de mérite et moins de perfections, et même les priver entiérement de tous ces avantages-là afin de les exclure de son amitié et de ses bonnes graces, ou, comme dit le même St. Paul, afin de montrer en eux les effets de sa colère et de sa puissance, comme sur des vases d’abjection et de réprobation qu’il auroit destiné à être éternellement malheureux ; il est évident qu’il y auroit toujours en cela-même une injuste et odieuse acception de personnes. Et comme il n’est pas convenable d’attribuer à un Etre infiniment parfait une si injuste et si odieuse acception de personnes, il s’ensuit evidemment que les miracles que l’on supose avoir été faits en conséquence et en faveur d’une telle acception de personnes, ne s’acordent point avec ce que l’on doit penser de la Grandeur, de la Bonté, de la Sagesse et de la Justice d’un Etre infiniment parfait et par conséquent que ces prétendus miracles ne sont nullement croïables en eux-mêmes.

D’ailleurs, puisqu’il ne faut, comme j’ai dit, penser de la Grandeur, de la Bonté, de la Justice et de la Sagesse d’un Etre infiniment parfait, que ce qui seroit convenable à ces divines perfections-là, il ne faut point penser qu’un Dieu qui seroit infiniment parfait, auroit voulu si particuliérement emploïer sa Toute-puissance à faire des miracles dans de légères occasions et pour des sujèts de légère conséquence et qu’il n’auroit pas voulu s’emploïer de même dans des occasions qui étoient beaucoup plus considérables, ni pour des sujèts qui étoient de beaucoup plus grande importance. Car il ne seroit pas convenable à une souveraine Sagesse de s’apliquer à de petites choses et de négliger les grandes, il ne seroit pas convenable à une souveraine Sagesse de pourvoir plus particuliérement à l’accessoire qu’au principal d’une chose. Il ne seroit pas convenable à une souveraine Justice de punir sévèrement des fautes légères et de laisser de grands et d’abominables crimes impunis. Et enfin il ne seroit pas convenable à une souveraine Bonté et une souveraine Sagesse de ne pas vouloir être aussi bonne et aussi bienfaisante aux hommes dans leurs plus pressans besoins, comme elle témoigneroit l’être dans les moindres. Je dis au moins parce que c’est dans les plus pressans besoins que la Bonté se doit plutôt manifester ; de sorte qu’une souveraine Bonté qui seroit accompagnée d’une souveraine Sagesse et d’une souveraine Puissance, comme seroit la Bonté souveraine d’un Dieu Tout-puissant et infiniment sage, elle ne pouroit manquer de se rendre ni de se montrer du moins aussi bonne et aussi bienfaisante aux hommes dans leurs plus pressans que dans leurs moindres besoins.

Or si les miracles qui sont raportés dans les susdits prétendus saints et divins Livres tant du vieux que du nouveau Testament, étoient véritables, on pouroit dire que Dieu auroit plus particuliérement emploïé sa Toute-puissance et sa Sagesse en de petites choses qu’il n’auroit fait en de plus grandes et de plus importantes ; on pouroit véritablement dire qu’il auroit eu plus de soin de pourvoir au moindre bien des Hommes que de pourvoir à leur plus grand et principal bien : on pouroit véritablement dire qu’il auroit voulu plus sévèrement punir dans certaines personnes des fautes légères, qu’il n’auroit puni dans d’autres de très-grands et de très-méchans vices ou crimes. Et enfin on pouroit véritablement dire qu’il n’auroit pas voulu se rendre ni se montrer aussi bienfaisant aux hommes dans leurs plus pressans besoins, comme il auroit voulu témoigner l’être dans les moindres de leurs besoins. C’est ce qu’il est facile de faire voir tant par les miracles que l’on prétend qu’il a fait, que par ceux qu’il n’a pas fait, et qu’il auroit néanmoins bien certainement fait plutôt qu’aucuns autres, s’il étoit vrai qu’il en eut fait aucun.

Premiérement pour ce qui est des miracles que l’on prétend qu’il a fait par l’entremise de Moyse son Prophète, en quoi consistoient-ils ? À changer, par exemple, son bâton en serpent et ce serpent en bâton ; à changer des eaux en sang, et à faire venir une quantité de grenouilles, de sauterelles, de mouches etc., et autres vilains et mauvais insectes dans tout un Roïaume ; à faire venir des maladies contagieuses sur les animaux ; à faire venir de vilains ulcères sur le corps des hommes et des bêtes ; à désoler, si on le veut croire, un Roïaume entier par des grèles et par des tempêtes furieuses, et tout cela pour l’amour et en faveur d’un seul vil et misérable petit peuple d’Israël ! En quoi consistent-ils encore ? à diviser les eaux de la Mer pour faire passage à ce vil petit peuple qui fuïoit ; et pour engloutir un autre peuple qui le poursuivoit ; à faire tomber la manne du Ciel pour nourrir ce peuple qui fut pendant 40 ans vagabond dans un désert ; à faire sortir de l’eau d’un Rocher pour rassasier ce peuple qui étoit altéré, à faire venir de de-là les mers une multitude prodigieuse de cailles pour contenter la gourmandise et la sensualité de ce peuple, qui désiroit de manger de la chair ; à empêcher miraculeusement que les habits et les souliers ne s’usassent pendant les susdites 40 années ; et enfin du tems de Josué de faire[21] tomber par terre les murailles de quelques villes par le son des cors, et à[22] arrêter le cours du soleil pendant un jour entier, afin de donner à ce peuple le tems de combattre et de vaincre ses Ennemis. Voilà une bonne partie de ces grands miracles du vieux Testament que l’on affecte de tant vanter. Mais à quoi tendoient tous ces beaux miracles ? Et pour quel fin pretend-t-’on que Dieu les ait faits ? Ce n’étoit que pour délivrer ce peuple de la servitude, où l’on supose qu’il étoit en Égypte, et pour le faire entrer dans la possession d’un Païs que l’on prétend que Dieu avoit promis à leurs Pères de leur donner. Il est marqué dans les susdits livres que Dieu envoïa un Ange dans un désert pour consoler et reconforter la servante d’Abraham,[23] que sa femme Sara auroit congédiée de sa maison par un motif de jalousie. Il est marqué dans ce livre que Dieu lui-même aparut à Abimelech[24], Roi de Géraris pour l’avertir de ne point toucher la femme qu’il avoit prise, parce qu’elle étoit la femme de cet Abraham et lui dit qu’il l’avoit empêché de pécher avec elle, afin qu’il ne l’offensât point. Il est dit dans ce même livre que Dieu envoïa deux Anges[25] exprès pour sauver Loth et ses enfans de l’embrazement de Sodome. Il est marqué que Dieu envoïa un Ange au Père et à la Mère de Samson[26] pour les avertir qu’ils auroient un fils, et qu’il ne boiroit ni vin ni bière, parce qu’il seroit Nasaréen du Seigneur, dès son enfance. Il est dit dans un autre endroit que Dieu envoïa un Ange[27], qui tua dans une nuit 185 mille hommes de l’armée de Sennacherib, qui assiégeoit la ville de Jerusalem. Il est dit que plus de 50 mille moissonneurs, qui moissonnoient dans leur champ de Bethsames furent, par punition de Dieu, tués, parce qu’ils avoient regardé l’Arche d’Alliance[28] que des vaches menoient à l’avanture sur un chariot sans savoir où elles alloient. Il y est marqué que Dieu fut un jour tellement irrité de ce que le Roi David[29] avoit fait nombrer son peuple par un motif de vaine gloire, qu’il fit mourir plus de 70 mille personnes de son peuple par une peste qu’il envoïa exprès pour punir cette faute, et plusieurs autres semblables exemples qu’il seroit trop long de raporter.

Il est facile de voir par tous ces exemples et par tous les miracles que je viens de raporter que Dieu auroit effectivement dans ces occasions-là plus particuliérement emploïé sa puissance à faire du mal qu’à faire du bien, puisque les miracles que je viens de citer, ne tendoient qu’à affliger des peuples, qu’à ravager des Provinces, des Villes et des Roïaumes, et à détruire des peuples et des armées entiéres : il est facile de voir par ces exemples et par ces miracles qu’il auroit eu plus de soin de pourvoir au bien corporel du peuple juif qu’à sa véritable perfection, qui auroit été son plus grand bien ; puisque tous ces miracles d’Egypte ne se croïent faits que pour les mettre en possession d’un Païs étranger, sans rendre pour cela ce peuple plus sage ni plus parfait. Car ce peuple pour avoir été en cela plus favorisé de Dieu que tous les autres peuples, n’en devint pas pour cela plus sage, ni plus parfait, ni plus reconnoissant envers son bienfaiteur, comme ces mêmes livres le témoignent par ce reproche qu’ils disent que Moïse leur en faisoit. Vous avez vû, leur disoit-il, tous les miracles et les prodiges que Dieu a opérés en votre faveur dans l’Egypte et devant Pharaon ; vous avez vû toutes les victoires qu’il vous a fait remporter sur vos Ennemis et tous les autres bienfaits dont il vous a comblés : cependant il ne vous a pas donné l’esprit d’entendement pour comprendre la grandeur des merveilles qu’il a faites pour vous, ni l’esprit de sagesse pour en savoir bien user[30]. Et non dedit vobis Dominus cor intelligens et oculos videntes et aures quae possunt audire usque in praesentem diem. Il est facile de voir par ces exemples et par ces miracles qu’il auroit effectivement puni plus sevérement dans certaines personnes et mêmes dans des innocens, des fautes légères et même des fautes qu’ils n’auroient pas commises, qu’il n’auroit puni dans des méchans de très-grands vices et de très grands crimes puisqu’il auroit si sévérement puni dans un peuple la faute légère qu’un Roi pouroit avoir commise en faisant faire par curiosité ou par vaine gloire le dénombrement de ses sujèts, et qu’il auroit si sévérement puni les Bethsamites pour une si légère faute, pendant qu’il souffroit d’ailleurs et qu’il souffriroit encore présentement et tous les jours que quantité de très méchans crimes demeurassent impunis. Enfin il est facile de voir par ces exemples et par ces miracles qu’il se serait rendu et montré plus bienfaisant dans de légères occasions qu’il ne fait et qu’il ne feroit dans une infinité d’autres occasions incomparablement plus pressantes et plus importantes, puisqu’il auroit eu d’un côté la complaisance d’envoïer un Ange pour consoler et secourir une simple servante pendant qu’il auroit laissé et qu’il laisse encore tous les jours languir et mourir de misères une infinité d’innocens malheureux, sans secours et sans assistance de personnes dans leurs besoins, et d’un autre côté il auroit eu si bon soin de conserver miraculeusement des habits et des souliers dans leur entier, pendant qu’il auroit laissé et qu’il laisse encore tous les jours perdre malheureusement tant de si grands biens et tant de si grandes Richesses par des incendies et par des naufrages ou par d’autres accidens facheux qui arrivent si souvent dans le monde.

Quoi ! une souveraine Bonté, une souveraine Sagesse, un Etre infiniment parfait auroit voulu miraculeusement conserver pendant 40 ans les habits et les chaussons d’un vil et misérable peuple en les empêchant de s’user à leurs piés et à leur dos ; et il n’auroit pas voulu et ne voudroit pas encore maintenant veiller à la conservation naturelle de tant de biens et de tant de richesses qui auroient été ou qui seroient si utiles et si nécessaires pour la subsistance des peuples et qui se sont néanmoins perdus et qui se perdent encore tous les jours par diverses sortes d’accidens facheux ; et il ne préserveroit pas même les plus riches ni les plus précieux ornemens de ses temples ni ses temples mêmes si le feu s’y mettoit. Ces prétendus miracles ne sont nullement croïables. Quoi ! une souveraine Bonté, une souveraine Sagesse, un Etre infiniment parfait auroit envoïé exprès ses Anges pour conserver ou préserver de danger quelques femmes, quelques enfans ou quelques autres personnes particuliéres ! il auroit voulu envoïer à Tobie et à quelques autres particuliers des Anges pour les conduire dans leurs voïages, pour les préserver des dangers et pour leur donner de bons conseils dans le besoin, et il auroit envoïe aux prémiers chèfs du Genre humain, à Adam et Eve, un Démon ou un Diable sous la figure d’un serpent pour les séduire, et pour perdre par ce moïen tout le genre humain ! cela n’est pas croïable. Quoi ! il auroit voulu par une grace spéciale de sa Providence empêcher que le Roi de Geraris ne l’offensât et ne tombât dans une faute légère avec une femme étrangere, faute qui n’auroit cependant eu aucune mauvaise suite et il n’auroit pas voulu emploïer cette même Providence pour empêcher qu’Adam et Eve ne l’offençassent et ne tombassent dans le péché de désobéissance, péché néanmoins qui selon nos Christicoles devoit être si fatal, et attirer, suivant ce qu’ils disent, et causer la perte de tout le genre humain ! Cela n’est pas croïable. Il est dit dans un de ces prétendus saints et divins livres que Dieu conduit le juste dans des voïes droites et par des voïes droites et qu’il lui montre le Roïaume de Dieu, qu’il lui donne la science des saints[31] justum deduxit Deus per vias rectas et ostendit illi Regnum Dei et dedit illi scientiam santorum, honestavit illum in laboribus et complevit labores illius. Quel juste donc auroit-il dû conduire par des voïes droites, si ce n’étoit ces prémiers hommes qu’il auroit, comme disent nos Christicoles, créés dans la justice. Ç’auroit été certainement ces prémiers justes qu’il auroit dû principalement conduire par des voïes droites et auxquels il auroit dû montrer le Roïaume du ciel et leur donner la sagesse des saints, puisque tout le bonheur ou le malheur du Genre humain dépendoit de leur bonne ou mauvaise conduite. Cependant c’est ce que Dieu n’a pas fait, puisque ces prémiers hommes sont sitôt tombés dans le péché.

Quoi encore ! Une souveraine Bonté, une souveraine Sagesse, un Dieu infiniment juste et parfait auroit voulu si sévèrement punir dans les Bethsamites et dans des peuples innocens du tems de David des fautes légères, ou mêmes des fautes qu’ils n’auroient pas commises, pendant qu’il auroit voulu et qu’il voudroit encore laisser sans punition tant de si abominables crimes et tant de si abominables méchancetés qui se sont commises en ce tems-là et qui se commettent encore tous les jours dans le monde ! Cela n’est pas croïable. Quoi ! une souveraine Bonté, et une souveraine Sagesse, un Dieu infiniment juste et parfait auroit voulu se choisir tout particuliérement un Peuple pour le sanctifier, pour le protéger, et pour emploïer tout particuliérement sa toute-puissance en sa faveur, et il ne lui auroit pas voulu donner l’esprit de Bonté, l’esprit d’Entendement et de Sagesse pour savoir se bien conduire et se bien gouverner, ni même pour savoir suffisamment reconnoitre les graces et les faveurs de son Dieu bienfaiteur ! Cela n’est pas croïable. Quoi ! Un Dieu auroit voulu graver avec son doigt les Commandemens de la Loi sur des tables de pierre, et il n’auroit pas voulu les graver intérieurement dans le cœur ni dans l’esprit de ses peuples pour les leur faire observer avec plaisir et avec amour, quoiqu’il eut choisi ces peuples pour les sanctifier et pour les combler de ses graces et de ses bienfaits ! Cela n’est pas croïable. Enfin une souveraine Bonté, une souveraine Sagesse, un Dieu infiniment parfait auroit voulu endurcir le cœur et aveugler l’esprit des Rois et de plusieurs peuples considérables, comme on prétend qu’il a fait, afin d’avoir occasion ou sujet de les perdre et les détruire en faveur d’un misérable petit peuple d’Israël ! Cela n’est pas croïable. Où seroit la Bonté ? Ou seroit la Sagesse ? Et où seroit la Justice d’un Etre infiniment parfait dans une telle conduite ?

Venons aux prétendus miracles du nouveau Testament. Ils consistent, comme l’on prétend, principalement en ce que Jesus-Christ et ses Apôtres guérissoient miraculeusement et divinement toutes sortes de maladies et d’infirmités, en ce qu’ils rendoient par exemple, quand ils vouloient la vûë aux aveugles, l’ouie aux sourds, la parole aux muèts ; qu’ils faisoient marcher droit les boiteux, qu’ils guérissoient les paralitiques, qu’ils chassoient les Démons des corps des possédés et qu’ils ressuscitoient les morts. On voit plusieurs de ces miracles dans les prétendus saints Evangiles. Mais on en voit beaucoup plus et même quantité d’autres sortes d’oeuvres miraculeuses dans les Livres que nos Christicoles ont fait des vies admirables de leurs saints. Car on voit dans ces beaux Livres, si on les veut croire, presqu’une infinité de choses toutes miraculeuses et divines en toutes sortes de maniéres. On y voit comme ils guérissoient toutes sortes de maladies et d’infirmités et chassoient les Démons presqu’en toutes sortes de rencontres, et ce, au seul nom de Jesus, ou par le seul signe de la croix. Ils commandoient pour ainsi dire aux élemens qui obéissoient à leurs voix, ils n’avoient qu’à dire et tout étoit fait. Dieu les favorisoit si bien de ce souverain pouvoir, qu’il le leur conservoit même jusqu’après leur mort, rendant favorablement la santé à ceux qui alloient ou venoient pieusement honorer leur tombeau, leurs os et leurs cendres. Bien plus, si l’on croïoit tout ce qui en est raporté dans leurs Livres, ce pouvoir de faire ainsi des miracles se seroit communiqué jusques aux moindres de leurs habillemens, et même jusqu’à l’ombre de leurs corps et jusqu’aux instrumens honteux de leur mort et de leurs souffrances. Car il est dit de l’Apôtre S. Pierre, par exemple[32] que l’on aportoit les malades dans les ruës, afin que Pierre venant à passer son ombre couvrit du moins quelqu’un d’eux et qu’ils fussent guéris. Il est dit des chaines dont ce même Apôtre fut enchainé dans la prison à Jerusalem que par leur moïen se sont fait plusieurs miracles. Que n’est-il pas dit du bois de la croix de Jesus-Christ ! Il est dit que cette croix fut miraculeusement retrouvée 300 ans après sa mort, et qu’elle fut reconnue entre les autres croix où des voleurs avoient été crucifiés avec lui par des miracles et même par la résurrection de quelques morts qu’on leur fit toucher. Il est dit que l’on conserve pieusement le Bois de cette Croix que nos Christicoles apellent par excellence la vraïe croix, que l’on en donne, comme de précieuses reliques, quelques morceaux à tous les Pelerins qui vont l’honorer à Jerusalem ; mais que cependant elle ne diminue jamais de rien pour cela, qu’au contraire elle est toujours dans son entier, comme si l’on en eut rien ôté,[33] ce qui est, disent nos Christicoles, tout à fait miraculeux, puisque l’on voit par tout le monde tant de pièces et de morceaux de cette prétendue vraïe croix, que si on les rassembloit on trouveroit suffisamment de quoi faire plusieurs grandes croix. Il est dit que la chaussette de S. Honoré ressuscita un mort au 6 Janvier, que le Bâton de S. Pierre, celui de S. Jacques, celui de S. Bernard opéroient des miracles. On en dit de même de la corde de S. François, du bâton de S. Jean de Dieu et de la ceinture de Ste Mélanie. Il est dit de S. Gracilien qu’il fut divinement instruit de ce qu’il devoit croire et enseigner et qu’il fit par les mérites et la puissance de son oraison réculer une montagne qui l’empêchoit de bâtir une Eglise. Il est dit de St Hommebon qu’il changeoit l’eau en vin et que souvent les portes de l’Eglise s’ouvroient d’elle-mêmes lorsqu’il y alloit. Il est dit du Sépulchre de S. André qu’il en découloit sans cesse une liqueur qui guérissoit toutes sortes de maladies ; que l’ame de St Bénoît fut vûe monter au ciel revêtue d’un précieux manteau et environnée de lampes ardentes ; que St Christophe aïant fiché son bâton en terre, il reverdit et fleurit incontinent comme un arbre ; que S. Clément Pape aïant été jetté à la Mer avec un ancre au col, il y finit sa vie, mais que les Anges lui bâtirent une chapelle au fond de la Mer. S. Jean Damascene aïant eu le poing coupé, il lui fut, dit-on, miraculeusement remis, la nuit suivante en dormant et si bien qu’il n’y paroissoit rien. S. Dominique disoit que Dieu ne l’avoit jamais esconduit des choses qu’il lui eut demandées. Il est dit que les Sts Fercolas ou Ferunins parloient encore après avoir eu la langue coupée ; que S. François commandoit aux Hirondelles et aux cignes et autres oiseaux, et qu’ils lui obéissoient, et que souvent les poissons, les lapins et lièvres se venoient mettre entre ses mains et dans son giron. Que le corps de Ste Editrude fut trouvé entier 100 ans après sa mort. Que celui de Ste Thérese demeure toujours incorruptible ; qu’on l’habilloit, qu’on le déshabilloit comme s’il étoit vivant et qu’il se tenoit debout pour peu qu’on l’apuïat. On en dit de même du corps de Rose de Viterbe. Il est dit que tous ceux qui buvoient de l’eau Ste Godeline fut noïée, étoient guéris de leurs maladies ; que Ste Hedunige étant en prières devant un Crucifix, ce Crucifix leva la main et lui donna sa bénédiction en signe d’assurance qu’il exauçoit sa prière. Que le Docteur angelique St Thomas d’Aquin étant en prières à Naples devant un Crucifix, ce Crucifix lui parla par plusieurs fois, lui disant qu’il avoit bien écrit de lui. Bene scripsisti de me Thoma. Que St Ildefonse Archevêque de Tolede reçut miraculeusement du Ciel une belle chasuble blanche que la vierge Marie lui donna pour avoir bien défendu l’opinion de sa virginité. Que St Antonin reçut pareillement une belle chape du Ciel. On dit de S. Laurent et de plusieurs autres Sts qu’ils guérissoient les aveugles et autres infirmes en faisant sur eux le signe de la croix. Que le corps de St Lucien après avoir eu la tête tranchée, se leva et porta sa tête plus de demie lieuë près de Beauvais, et que son corps fut après miraculeusement retrouvé. Il est dit que l’image de Notre-Dame de Liesse fut miraculeusement faite et envoïée du ciel par les Anges. Que S. Melon ressuscita une bête d’un Troupeau qui avoit été tuée par mégard par un Serviteur, qu’il changea l’eau en vin et un caillou en pain. Que S. Paul et S. Pantalon aïant eu leur tête tranchée, il en sortit du lait au lieu de sang. On lit dans la vie du bienheureux Pierre de Luxembourg, que dans les deux premières années d’après sa mort, 1388, 1389, il fit 2 mille 400 miracles, entre lesquels il y a eu 42 morts ressuscités, non compris plus de 3 000 autres miracles qu’il a fait depuis. Il est dit que les 50 Philosophes, que S. Catherine convertit, aïant été jettés dans un grand feu, leurs corps furent après trouvés entiers, et pas un de leurs cheveux brûlés, — que le corps de la dite S. Catherine fut enlevé par les Anges après sa mort et enterré par eux sur le mont Sinai, — que S. Quentin aïant eu la tête tranchée, on jetta son corps d’un côté de la rivière de Somme, et sa tête de l’autre, lesquels après 50 ans furent miraculeusement retrouvés, et que sa tête se réunit d’elle même à son corps, — que S. Reine aïant eu la tête tranchée, son ame fut portée au ciel par les Anges à la vûe d’un chacun, et qu’un pigeon lui aporta sur sa tête une précieuse couronne, — que S. Vincent Ferrier ressuscita un mort, qui avoit été haché en pièces et dont une partie du corps étoit moitié rotie et moitié cuite, que son manteau avoit la vertu de chasser les diables et de guérir diverses maladies, — que les paniers que faisoit S. Julien, Évêque de Mans, guérissoient aussi les maladies de ceux, qui les manioient, — que S. Yves allant un jour prêcher et trouvant le pont d’une rivière, par où il devoit passer, rompu, il fit le signe de la croix sur les eaux, qui incontinent se divisèrent et se réunirent dès qu’il fut passé, — de S. Julien de Brioude, que des vieillards aïant honorablement enterré son corps, ils recouvrèrent incontinent la force et la vigueur, qu’ils avoient dans leur plus florissante jeunesse, — que le jour de la canonisation de S. Antoine de Padoue toutes les cloches de la ville de Lisbonne sonnèrent d’elles mêmes, sans que l’on sût d’où cela venoit, — que ce St. étant allé un jour sur le bord de la Mer et aïant apellé les poissons pour les prêcher, ils vinrent en foule devant lui, et que, mettant la tête hors de l’eau, ils écoutoient attentivement. Il est écrit aussi que le jour de la translation de S. Isidore, du moment que l’on commençât à ôter la terre qui le couvroit, toutes les cloches de la ville de Madrid sonnèrent d’elles mêmes ; la même chose arriva aussi, dit-on, à la mort de S. Eleasar et à celle de S. Ennemond, laquelle sonnerie continua pendant tout le tems de leur sépulture. Au procès-verbal, qui fut fait pour la canonisation de S. Hyacinthe, il y a près de mille miracles opérés sur des personnes, que l’on prétend avoir reçu la santé par l’intercession de ce Saint, étant atteintes de diverses dangereuses maladies, comme de douleurs de tête, du mal des yeux, des machoires, de la gorge, de dents, des fièvres, de coliques, du mal caduque etc., brèf, il n’y avoit sortes de maladies, dont ce Saint n’auroit fait des cures considérables ; il ressuscita aussi plusieurs morts durant et après sa vie ; les animaux aussi, dit-on, se ressentirent de son intercession ; enfin, disent nos Christicoles, il sembloit que Dieu l’avoit fait Seigneur de la santé et de la maladie, de la vie et de la mort, puisqu’il les obtenoit si facilement par ses prières. Il passoit, disoit-on, sur les eaux comme sur la terre ; et ce qu’il y a de plus particulier est, qu’aïant un jour passé sur le fleuve Céristhenes, les vestiges de ses piés demeurèrent imprimés sur les eaux comme une piste, que l’on voïoit d’un côté de la rivière à l’autre par où il avoit passé. On dit encore qu’une image de la Vierge lui parla. Voïez au long sa vie au 16 Avril. Il est dit que S. François fit presque une infinité de miracles pendant sa vie et après sa mort ; il chassa, dit-on, plusieurs Diables des corps des Possédés, il rendit la vûë aux aveugles, il guérit les boiteux et les affligés, il ressuscita des morts, il donna des enfans aux femmes stériles, le pain que ce Saint bénissoit, les pièces et les morceaux de son habit rapétassé, la corde qui lui servoit de ceinture, l’eau dont il lavoit ses piés et ses mains, brèf tout ce qu’il touchoit, servoit de remèdes aux maladies et adversités, et de soulagement aux travaux ; il parloit familièrement aux animaux comme aux personnes, il les apelloit également ses frères et ses soeurs, témoins la brebis et la cigale qu’il apelloit ses soeurs, qui lui obéissoient à tout ce qu’il leur commandoit ; et ses frères les oiseaux, auxquels il prêchoit comme s’ils eussent eu de l’intelligence de ce qu’il leur disoit. Le corps de ce Saint, dit-on, demeure toujours tout droit sur ses piés sans être apuïé de côté ni d’autre, il a les yeux ouverts comme un homme plein de vie, et un peu tournés vers le ciel. Pareillement on dit que son corps est saint et entier, sans aucune corruption beau et vermeil, comme s’il étoit encore vif. Il est dit encore que Dieu favorisa S. François de Paule d’une si grande abondance de graces, qu’il sembloit, qu’il l’eut fait Seigneur de toutes les créatures qui lui obéissoient entièrement, le feu, l’air, l’eau et la terre, la mort, les animaux, les hommes et les diables étoient sujèts à la volonté de ce S. Personnage, car il délivra, dit-on, plusieurs possédés, rendit la vûë aux aveugles, fit parler les muèts, guérit les maladies incurables, ressuscita les morts, les élemens même lui obéissoient ; le feu perdit sa force envers lui, marchant dessus et le tenant en ses mains sans se brûler. Il entra, dit-on, dans une fournaise ardente et en éteignit les flammes, qui ne l’osérent toucher ; il passa la mer de Calabre jusqu’en Sicile, lui et son compagnon, sur son habit qu’il avoit étendu sur les eaux pour leur servir de barque assurée, et avec cela eut encore le don de Prophétie, et une infinité d’autres semblables miracles, qu’il seroit trop long de raporter ici. Enfin il n’y a sujèt si vain et si frivole et même si ridicule, là où les auteurs de ces vies des saints ne prennent plaisir d’entasser miracles sur miracles, tant ils sont habiles forgeurs de ces beaux mensonges.

Voici comme un auteur judicieux parle de ces auteurs et de leurs pieuses et fabuleuses histoires de la vie de leurs saints ; et son autorité ne doit pas être suspecte à nos Christicoles, puisqu’il étoit lui-même de leur prétendue sainte Religion, Catholique, Apostolique et Romaine. Voici ce qu’il dit dans son Apologie des Grands Hommes[34] : « Tous les Historiens, dit-il, excepté ceux qui sont parfaitement hérétiques, ne nous représentent jamais les choses pures, mais les inclinent et les marquent selon le visage, qu’ils leur veulent faire prendre, et pour donner crédit à leur jugement et y attirer les autres, prêtent volontiers de ce côté-là à la matière, l’alongent et l’amplifient, la biaisent et la déguisent, suivant qu’ils le jugent à propos. L’expérience, continue-il, nous apprend que presque toutes les histoires depuis 7 ou 800 ans (c’est de même à plus forte raison de celles qui sont plus anciennes) sont si grosses et si boursouflées de mensonges, qu’il semble que leurs tuteurs se soient entrebattus à qui emporteroit le prix d’en forger davantage. Il est constant, dit-il, que tous nos vieux Romans ont pris leur origine des chimères de l’évêque Turpin, la salvation de Trajan, d’un Jean Levite, et l’opinion que Virgile étoit un Magicien, du moine Helivandus. La trop grande facilité ou légereté de croire toutes choses et toutes sortes de mensonges, dit ce même auteur, ont donné lieu à la composition de quantité d’Histoires fabuleuses, qui se succèdent les unes aux autres : car la sotise avec la folie des hommes a passé jusqu’à un tel excès, comme disoit S. Agoar, Évêque de Lyon en 833, qu’il n’y a maintenant si absurde chose et si ridicule qu’elle puisse être, que les Chrétiens ne croïent avec plus de facilité, que n’auroient jamais fait les païens dans les erreurs de l’Idolatrie. Toutes lesquelles histoires, dit notre auteur, furent suivies des Romans, qui commencèrent immédiatement sous le règne de Louis le Débonnaire et se multiplièrent de telle façon parmi l’ignorance du siècle, qui se laissoit très-volontiers charmer à toutes ces faussetés prodigieuses, que tous ceux qui se méloient d’écrire l’histoire de ce tems-là, voulurent aussi pour la rendre plus agréable, y entre mêler beaucoup de semblables narrations ; comme l’a remarqué fort à propos un Docteur en Théologie, qui confesse ingénuëment, que c’étoit la vûë ordinaire des auteurs de ce tems-là de croire qu’ils n’auroient pas assez savamment écrit, ni avec assez d’éloquence et de politique, s’ils n’eussent mêlé parmi leurs discours quantité de fictions des Poëtes. C’est une chose étrange, dit le même Auteur, que Delrio, le Loye, Bodin, de Lavere, Goderman qui ont été et sont encore personnes de crédit et de mérite, aïent écrit avec si peu de circonspection et si passionnement sur le sujèt des Démons, Sorciers et Magiciens, que de n’avoir jamais rebuté aucune histoire quoique fabuleuse et ridicule de tout ce grand nombre de fausses et d’absurdes, qu’ils ont mises pêle-mêle sans distinction parmi les vraïes et légitimes, vû, comme le remarque S. Augustin, que le mêlange des mensonges fait tourner la vérité en fables, et que, suivant le dire de S. Jérome, les menteurs font en sorte qu’on ne les croit point, lors même qu’ils disent la vérité. Témoin ce pasteur d’Esope, qui avoit si souvent crié au loup, lorsqu’il n’en étoit point besoin, qu’il ne fut pas cru ni secouru de personne lorsque cet animal ravageoit son troupeau : ainsi, continue notre auteur, on peut dire que toutes les histoires ridicules, tous les contes forgés à plaisir et les faussetés si manifestes que ces auteurs laissent glisser si facilement dans leurs livres, tournent infailliblement à leur préjudice, et qui pis est, au mépris de la vérité du sujèt qu’ils traitent, quand il prend à fantaisie à quelque Esprit curieux de les examiner avec plus de diligence et de circonspection que ne font pas les auteurs. Tout ainsi, ajoute cet auteur[35], que nous voïons depuis cent ans que les Hérétiques se sont servis de nos propres armes et des contes de Légende dorée, et des vies des Saints, des aparitions de Tundalus, des sermons de Maillard, Menot et Bodette et d’autres semblables pièces écrites non avec moins de superstitions que de simplicité, pour se confirmer en l’opinion qu’ils maintiennent de la nullité et fausseté de nos miracles.»


  1. Deut. 1 : 17.
  2. Deut. 16 : 19.
  3. Levit. 19 : 15.
  4. Deut. 10 : 17.
  5. Il y a erreur dans la citation de ce texte. b. c.
  6. Sap. 6 : 8.
  7. Ibid. 11 : 25.
  8. Gen. 12 : 1.
  9. Gen. 13 : 16.
  10. Ibid. 17 : 10, 12.
  11. Ibid. 17 : 11.
  12. Ibid 17 : 8.
  13. Gen. 15 : 18.
  14. Gen.
  15. Exod, 19 : 5, 6.
  16. Exod. 23 : 20, 26, 27.
  17. Deut. 7 : 5, 6, 7.
  18. Deut. 7 : 14.
  19. Deut. 14 : 2.
  20. Deut. 26 : 18, 19.
  21. Josué 6 : 4 – 20.
  22. Ibid : 10 : 13.
  23. Gen. 16 : 7, 9.
  24. Gen. 20 : 8.
  25. Gen. 19 :14.
  26. Judic. 13 : 3 – 5.
  27. 4 Reg. 19 : 35.
  28. 1 Reg. 6 : 19.
  29. 2 Reg. 24 : 15.
  30. Deut. 29 : 4.
  31. Sap. 10 : 10.
  32. Act. 5 : 15.
  33. Voïez au 3me Mai la vie des Saints.
  34. Apolog. des Grands Hommes, Tom. 1, pag. 13.
  35. Apologie des Grands Hommes, Tom. 2, pag. 458.