Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 25

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Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 1p. 220-226).
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XXV.

Revenons au prétendu commandement, que l’on veut que Dieu avoit fait à Abraham, de lui sacrifier son fils unique : cela, je l’avoue, ne doit pas paroitre fort étrange à nos Christicoles, puisqu’ils croïent bien que ce même Dieu auroit fait commandement à son propre divin Fils, de s’immoler lui-même pour le salut des hommes et qu’ils croïent que ce commandement a été véritablement accompli. Mais dans le fond ce prétendu commandement n’étoit-il pas horrible ; comment est ce qu’un Père et même toute autre personne de bon sens peut s’imaginer qu’une telle inspiration ou qu’un tel commandement puisse venir d’un Dieu, c’est à dire d’un Etre infiniment parfait, infiniment bon et infiniment sage. Cela ne seroit pas concevable, si l’on ne voïoit d’ailleurs que la superstition est capable d’inspirer aux hommes les sentimens les plus cruels et les plus inhumains et qu’il n’y a rien qu’ils ne soient capables de faire aveuglément, sous ce vain, sous ce faux et sous ce malheureux prétexte de religion, puisqu’en faisant les actions mêmes les plus blâmables et les plus détestables, ils s’imaginent faire encore en cela les actions les plus louables et les plus excellentes vertus. En voici un exemple dans cet Abraham même, qui sans consulter et sans hésiter sur un tel songe ou sur une telle vision, si l’on veut, se proposa incontinent d’exécuter ce prétendu commandement, en donnant adroitement, ou plutôt sotement et indiscretement, un spécieux tour de piété, à une action qui auroit dû lui faire horreur.

Voici comme on tient qu’il parla sur ce sujet à son fils Isaac, après avoir tout disposé pour le sacrifice[1]. Mon fils, lui dit-il, je vous ai demandé à Dieu par d’instantes prières, il n’y a point de soins que je n’aie pris de vous depuis que vous êtes venu au monde, et je considérois comme le comble de mes voeux, de vous voir arriver à un âge parfait, et de vous laisser en mourant l’héritier de tout ce que je possède, mais puisque Dieu, après vous avoir donné à moi, veut maintenant que je vous perde, souffrez généreusement que je vous offre à lui en sacrifice ; rendez lui, mon fils, cette obéissance et cet honneur, pour lui témoigner notre gratitude des faveurs, qu’il nous a faites pendant la paix, et de l’assistance qu’il nous a donnée pendant la guerre. Comme vous n’êtes né que pour mourir, quelle fin vous peut être plus glorieuse que d’être offert en sacrifice par votre propre père au souverain Maître de l’Univers, qui, au lieu de terminer votre vie par une maladie dans un lit, ou par une blessure dans la guerre, ou par quelqu’autre de tant d’accidens, auxquels les hommes sont sujets, vous juge digne de rendre votre ame entre ses mains au milieu des prières et des sacrifices, pour être à jamais à lui ? Ce sera alors que vous consolerez ma vieillesse en me procurant l’assistance de Dieu, au lieu de celle que je devois recevoir de vous, après vous avoir élevé avec tant de soins. Isaac, qui étoit un si digne fils d’un si admirable Père, écouta ce discours non seulement sans s’étonner, mais même avec joie et lui répondit qu’il auroit été indigne de naitre s’il réfusoit d’obéir à sa volonté, principalement lorsqu’elle se trouvoit conforme à celle de Dieu. En achevant ces paroles, il s’élança sur l’Autel pour être immolé, et ce grand sacrifice, dit Joseph, Historien Juif, alloit s’accomplir, si Dieu ne l’eut empêché.

Voilà certainement une assez belle et assez favorable interprétation ; voilà un assez beau et assez favorable prétexte pour éxécuter religieusement et pieusement un commandement et une action de cette nature ; mais voilà aussi comme les ignorans et les simples d’esprit se laissent facilement tromper et prennent le mal pour le bien, lorsqu’il est revêtu de quelques aparences trompeuses de vertu et de piété. C’est ainsi que nos pieux Christicoles couvrent des plus belles aparences de piété toutes les vaines et superstitieuses pratiques et cérémonies de leur Religion, c’est par de semblables discours de piété vaine et trompeuse, qu’ils exaltent par dessus tout la prétendue sainteté de leurs mistères et de leurs sacremens. C’est par de semblables interprétations vaines et ridicules, qu’ils tournent comme ils veulent leurs prétenduës Ecritures saintes, qu’ils leur donnent tel sens qu’ils veulent ; qu’ils font trouver des mistères là où il n’y en a point, qu’ils font trouver blanc ce qui est noir et noir ce qui est blanc ; et c’est ce qu’ils font principalement par la subtile invention de leur sens mistique et figuré, et dont ils font comme une selle à tous chevaux, ou comme une chaussure à tous piés, comme étoit le soulier de Theramnes : car par cette subtile invention de leur sens spirituel et mystique, ils donnent, comme je viens de dire, tel sens qu’ils veulent à leurs prétenduës Ecritures saintes, et leur font dire allégoriquement et figurativement tout ce qu’ils veulent, semblables en cela aux enfans qui font dire aux cloches tout ce qu’ils veulent, quand ils les entendent sonner.

Mais comme ce seroit sotise à des hommes faits de vouloir serieusement s’arrêter à ce que des enfans font dire aux cloches quand elles sonnent, où à ce qu’ils disent, quand ils badinent et qu’ils jouent ensemble, de même ce seroit sotise à des hommes sages et éclairés, de s’arrêter sérieusement aux vaines explications et aux vaines interprétations, que nos Christicoles font mistiquement, allégoriquement et figurativement de leurs prétendues Ecritures saintes, puisque ces sortes d’explications et d’interprétations ne sont, dans le fond, que des fictions de leur esprit et des imaginations creuses.

Si un homme, par exemple, se mettoit aujourd’hui dans l’esprit que Dieu lui auroit fait un commandement exprès, semblable à celui qu’on prétend qu’il fit à cet Abraham, dont je viens de parler, c’est à dire de lui sacrifier un fils, qu’il auroit et qu’il consultât là-dessus nos plus religieux Christicoles, je m’assure qu’il n’y en auroit pas un qui ne regardât avec horreur une telle imagination et qui ne la regardât comme une illusion, comme une tentation du Démon et une pensée damnable, qu’il diroit à cet homme de rejetter bien loin et dont il l’avertiroit bien soigneusement de se donner de garde. Et si, nonobstant cet avertissement, cet homme étoit assez mal avisé que de faire effectivement, ce qu’il croiroit que ce prétendu commandement de Dieu lui auroit ordonné, je laisse à penser ce que l’on diroit de cet homme-là et ce que la justice en feroit : que l’on juge par-là si l’on doit regarder comme des révélations divines, celles qui ordonnent de faire des sacrifices de cette nature. Que si maintenant nos Christicoles mêmes obligeoient absolument de regarder une telle vision, une telle imagination ou une telle révélation comme une illusion et comme une tentation du Diable, et qu’ils regarderoient eux-mêmes comme une chose abominable et comme un crime digne de punition exemplaire dans un Père, qui seroit assez fou que d’égorger son enfant, sous prétexte de l’offrir à Dieu en sacrifice et sous prétexte que Dieu lui en auroit fait un commandement exprès, comment peuvent ils regarder dans cet Abraham, comme une véritable révélation divine, le commandement, qu’il prétendoit lui avoir été fait de la part de Dieu de lui sacrifier son fils ! Et comment peuvent-ils regarder son obeïssance aveugle, en ce point, comme l’action de la plus grande et la plus héroïque vertu, et par conséquent comme l’action la plus digne des graces et des bénédictions de Dieu ? Cela se confond et se détruit de soi-même, et il ne seroit pas besoin d’en dire davantage, pour faire voir la fausseté de ces prétenduës révélations divines, vu d’ailleurs, qu’il est marqué dans plusieurs de ces susdits prétendus saints livres des Prophètes, que Dieu commençoit à réprouver ces sortes de sacrifices cruels et sanglans : témoin ce qui est dit dans le prophète Esaie, qui parloit aux Juifs, comme si c’étoit Dieu lui-même, qui leur parlât. Qu’ai-je à faire, leur disoit-il de la part de Dieu, qu’ai-je à faire de la multitude de vos victimes ? Je suis saoul de vos holocaustes, je suis dégouté de la graisse et du sang de vos boeufs, de vos moutons, de vos veaux, de vos agneaux et de vos boucs[2]. Ne m’offrez plus en vain de tels sacrifices ; vos encens me sont en abomination ; je haïs vos fêtes et vos solemnités et je ne saurois plus les suporter. La même chose se trouve, presque dans les mêmes termes, dans le prophète Jeremie[3] et dans le prophète Amos[4], et dans le Pseaume du Roi David, que nos Christicoles chantent tous les jours dans leurs Églises, il est dit que Dieu parloit au même Peuple en cette sorte : pensez-vous, leur disoit-il, que je mangerai la chair des taureaux et que je boirai leur sang ? Comme s’il leur eut dit, se pouroit-il faire que vous eussiez une opinion si grossière d’un Dieu, que de croire qu’il mangerait la chair des taureaux et des boucs, et qu’il boiroit leur sang ? Sacrifiez, leur dit-il, sacrifiez louanges à Dieu, et rendez fidèlement vos vœux au Seigneur, et m’invoquez au jour de votre affliction, alors vous me glorifierez, leur disoit-il, et je vous secourerai dans vos besoins. Voilà certainement des Révélations prétenduës divines, qui seroient bien contraires à celles que Dieu auroit fait à Abraham et à Moïse, puisqu’il condamneroit et rejetteroit par celle-ci, ce qu’il auroit établi par les autres. D’où viendroit un tel changement dans un Être immuable et infiniment parfait ? Se seroit-il avisé, après un millier d’années, de vouloir réformer ce qu’il auroit mal établi ? Dira-t-’on de Lui, ce que l’on dit ordinairement d’un homme léger et inconstant : qu’il fait, qu’il défait et qu’il reprend ce qu’il a laissé, destruit, repetit, quod nuper amisit ? Que nos Christicoles le pensent, s’ils veulent, passons leur cette folie, si bon leur semble, ou si cela ne leur plaît pas, qu’ils reconnoissent avec nous la vanité et la fausseté des susdites révélations divines, puisqu’elles se contredisent et se détruisent elles-mêmes les unes les autres, et qu’elles sont si peu convenables à la souveraine Majesté et à l’infinie perfection d’un Dieu. Bien plus sagement fit Numa Pompilius, second Roi des Romains[5], qui, pour amuser paisiblement et agréablement son peuple, n’institua que des sacrifices de vin, de lait, de farine et autres pareilles choses légères, accompagnées de danses et de chansons récréatives.


  1. Joseph, Histoire des Juifs, Tom. 1, Ch. 13.
  2. Isaïe 1. 11.
  3. Jérémie 6. 20.
  4. Amos 5. 21, 22.
  5. Apol. des Gr. hommes, pag. 192.