Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 3

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Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 1p. 30-33).
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III.
Toutes les religions ne sont qu’erreurs, illussions et impostures.

Sachez donc, mes chers amis, que tout ce qui se débite et que tout ce qui se pratique dans le monde, pour le culte et l’adoration des dieux, n’est qu’erreur, abus, illusion, mensonge et imposture ; que toutes les loix et les ordonnances, qui se publient sous le nom et l’autorité de Dieu ou des dieux ne sont véritablement que des inventions humaines, non plus que tous ces beaux spectacles de fêtes et de sacrifices, et que toutes les autres pratiques de religion et de dévotion, qui se font en leur honneur. Toutes ces choses, dis-je, ne sont que des inventions humaines, qui ont été, comme j’ai déjà marqué, inventées par de fins et rusés politiques, puis cultivées et multipliées par de faux prophêtes, par des séducteurs et par des imposteurs ; ensuite reçues aveuglement par des ignorans, et enfin maintenuës et autorisées par les loix des princes et des grands de la terre, qui se sont servis de ces sortes d’inventions, pour tenir plus facilement par ce moïen-là, le commun des hommes en bride et faire tout ce qu’ils voudroient ; car dans le fond toutes ces inventions-là ne sont que des brides à veaux, comme disoit le Sr. de Montagne[1], mais elles ne servent qu’à brider l’esprit des ignorans et des simples. Les sages ne s’en brident point, et ne s’en laissent point brider ; parce qu’il n’apartient en effet qu’à des ignorans et à des simples d’y ajouter foi, et de se laisser conduire par-là. Et ce que je dis ici en général de la vanité et de la fausseté des religions du monde, je ne le dis pas seulement des religions païennes et étrangères, que vous regardez déjà comme fausses, mais je le dis également de votre religion chrétienne, que vous apellez catholique, apostolique et romaine, parce qu’en effet elle n’est pas moins vaine ni fausse qu’aucune autre ; parce qu’il n’y en a peut-être point de si ridicule, de si absurde dans ses principes et dans ses principaux points que celle-là, ni qui soit si contraire à la nature même et à la droite raison. C’est ce que je vous dis, mes chers amis, afin que vous ne vous laissiez pas tromper davantage par les belles promesses, qu’elle vous fait des récompenses éternelles d’un paradis, qui n’est qu’imaginaire ; et que vous mettiez aussi votre esprit et votre cœur en repos contre toutes les vaines craintes, qu’elle vous donne des châtimens effroïables d’un enfer qui n’est point. Car tout ce que l’on vous dit de si beau et de si magnifique de l’un, et de si terrible et de si effroïable de l’autre, n’est que fable. Il n’y a plus aucun bien à espérer, ni aucun mal à craindre après la mort. Profitez donc sagement du tems en vivant bien, et en jouissant sobrement, paisiblement et joïeusement, si vous pouvez, des biens de la vie, et des fruits de vos travaux, car c’est le meilleur parti que vous puissiez prendre, puisque la mort mettant fin à la vie, met également fin à toute connoissance et à tout sentiment de bien et de mal.

Mais comme ce n’est point le libertinage, comme l’on pourrait penser, qui m’a fait entrer dans ces sentimens-là, et que je ne demande pas et que je ne voudrois pas même que personne de vous ni aucun autre me crut seulement sur ma parole en chose, qui seroit de si grande importance, et que je désire au contraire de vous faire connoître à vous-même la vérité de tout ce que je viens de dire, par des raisons et par des preuves claires et convaincantes, je vais vous en proposer ici d’aussi claires et d’aussi convaincantes, qu’il en puisse avoir en aucun genre de science. Je tâcherai de vous les rendre si évidentes et si intelligibles que, pour peu que vous aïez de bon sens, vous comprendrez aisément que vous êtes dans l’erreur, et que l’on vous en impose grandement au sujet de la religion, et que tout ce qu’on vous oblige de croire, comme par foi divine, ne mérite seulement pas que vous y ajoutiez aucune foi humaine. Voici la première de mes raisons et de mes preuves.


  1. Essai de Montagne, Livr. II, Ch. VI, pag. 345.