Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 39

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Le Testament
Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 2p. 109-113).
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XXXIX.

Passons à d’autres erreurs. La Religion Chrétienne enseigne et oblige de croire, que Dieu avoit créé le premier homme et la prémière femme dans un état de perfection, quant au corps et quant à l’âme, c’est-à-dire dans une parfaite santé, dans une parfaite raison et dans une parfaite innocence, exemts de toutes les infirmités du corps et de tous les vices de l’âme ; qu’il les avoit mis dans un lieu de délices et de félicité, qu’ils apelloient un Paradis terrestre, où ils auroient vécu, eux et toute leur postérité, dans un parfait contentement, s’ils eussent toujours demeuré fidèls et obéissans à leur Dieu ; mais qu’aïant, par l’instigation d’un serpent, indiscrètement mangé d’un fruit, que Dieu leur avoit défendu de manger, ils méritèrent, pour cette faute, d’être incontinent chassés de ce paradis terrestre, et d’être, eux et toute leur postérité, c’est-à-dire tout le genre humain, assujétis à toutes les misères de cette vie ; et non seulement à toutes les misères de cette vie, mais encore à une réprobation et à une damnation éternelle, qui consiste, suivant la doctrine de cette Religion Chrétienne, à être éternellement rejetté de Dieu, à être éternellement les objets de sa colère et de son indignation, et à souffrir éternellement dans des enfers les suplices et les tourments les plus cruels et les plus effroïables, que l’on puisse imaginer : laquelle damnation éternelle et lesquels suplices tous les hommes généralement, sans exception d’aucun, auroient été obligés de souffrir éternellement, si ce même Dieu, comme disent nos Christicoles, n’eut bien voulu avoir pitié d’eux et avoir la bonté de leur donner un Rédempteur pour les en délivrer, lequel prétendu Rédempteur est, selon nos Christicoles, leur Jésus-Christ, qui étoit un homme juif de nation, fils d’un charpentier, nommé Joseph et d’une femme, nommée Marie, laquelle néanmoins nos Christicoles disent avoir toujours été vierge, aussi bien après que devant son enfantement, lequel Jésus-Christ, après avoir parcouru toute la Galilée, comme un fanatique, en prêchant une nouvelle doctrine de la venue prochaine d’un prétendu Roïaume du ciel, fut enfin crucifié à Jerusalem, comme un séducteur de peuple et comme un séditieux, nonobstant quoi nos Christicoles ne laissant pas que de le reconnoitre et de l’adorer comme un homme tout divin et divinement descendu du ciel, dans le sein de la susdite prétendue vierge[1] intacta nesciens virum verbo concepit filium, où s’étant fait homme, en prenant un corps et une âme pour le salut du monde, ils disent qu’il s’est volontairement soumis à la mort et même à la mort honteuse de la croix, pour sauver tous les hommes, pour expier leurs péchés, et pour satisfaire, par sa mort et par l’effusion de son sang, à la justice de Dieu, son père, qui avoit été indignement offensé par les péchés des hommes, et notamment par la désobéissance de ce premier homme, qu’il avoit créé, au moïen de laquelle satisfaction, qui étoit, disent nos Christicoles, d’un mérite infini, ils prétendent qu’il a racheté tous les hommes de la dammation éternelle et des suplices éternels de l’enfer. C’est pourquoi aussi ils l’apellent, comme j’ai déjà dit, leur divin Sauveur et leur divin Rédempteur ; voilà quelle est la doctrine et la croïance de nos Christicoles sur ce sujét, c’est leur Religion, qui leur enseigne cette belle doctrine, et qui les oblige de la croire, sous peine de damnation, de réprobation et de malédiction éternelle.

Mais comme cet erreur renferme plusieurs choses ridicules et absurdes, il faut tâcher d’en faire manifestement voir la ridiculité et l’absurdité : je ne m’arrêterai cependant point ici à réfuter en particulier cette fable de la prétendue création du prémier homme et d’une prémière femme, ni cette fable d’un jardin, ou d’un Paradis terrestre, ou Dieu les auroit mis ; ni celle d’un prétendu fruit de l’arbre de la science du bien et du mal, qu’il leur auroit défendu de manger, ni celle d’une prétendue séduction de ce prémier homme et de cette prémiére femme, causée par les discours trompeurs d’un serpent, qui auroit été plus fin et plus rusé que l’homme même, avec toute sa prétendue perfection, dans laquelle il auroit été créé ; ni celle de la prétendue punition particulière de ces deux prémiers chèfs du genre humain, non plus que de la prétendue punition de ce serpent, ni enfin celle d’une prétendue vierge, qui auroit divinement enfantée un fils. Je ne m’arrêterai point, dis-je, à réfuter en particulier toutes ces fables là, ni plusieurs autres semblables, il y auroit trop de choses à dire sur ces sortes de sujets et cela me mèneroit trop loin, il suffira ici de remarquer seulement trois principaux points de la susdite doctrine, et d’en faire manifestement voir la fausseté, la ridiculité et l’absurdité.

Prémièrement elle est fausse, ridicule et absurde en ce qu’elle enseigne, que les vices et les péchés des hommes offensent griévement Dieu et qu’ils irritent sa colère et son indignation. 2o. Elle est fausse, ridicule et absurde, en ce qu’elle enseigne et assure, que Dieu punit les péchés des hommes, non seulement par des châtimens temporels dans cette vie, mais aussi par des châtimens éternels dans une autre vie, et même par des châtimens les plus terribles que l’on puisse imaginer. 3o. Elle est fausse, ridicule et absurde, en ce qu’elle enseigne et oblige de croire, que Dieu lui-même se seroit fait homme et qu’il se seroit livré lui-même à la mort et au supplice honteux de la croix, pour racheter des hommes, qui l’auroient si griévement offensé et qui auroient mérité par leurs péchés la damnation éternelle. Tout cela, dis-je est faux, ridicule et absurde ; c’est ce qu’il faut un peu plus amplement faire évidemment voir.




  1. Combien, dit le Sr. de Montagne, y-a t-’il ès histoires de pareils cocuages, procurés par les Dieux contre les pauvres humains ? En la Religion de Mahomed il se trouve, par la croïance de ce peuple, assez de Merlins, c’est-à-dire des enfans sans pères, nés divinement au ventre des pucelles. Essai pag. 500.