Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 5

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Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 1p. 38-42).
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V.
Raisons pourquoi les politiques se servent des erreurs et des abus des religions.

Et conformément à cela le grand cardinal de Richelieu remarque dans ses réflexions politiques que les princes ne sont en rien plus industrieux qu’à trouver des prétextes, qui rendent leurs demandes plausibles, et comme celui de la religion, dit-il, fait plus d’impression sur les esprits que les autres ; ils pensent avoir beaucoup avancé lorsqu’ils en peuvent couvrir leurs desseins. C’est sous ce masque, dit-il, qu’ils ont souvent caché leurs plus ambitieuses prétentions (il auroit pu ajouter encore et leurs plus détestables actions) et à l’égard de la conduite particulière que Numa Pompilius tint envers ses peuples, il dit, que ce roi n’eut point de meilleure invention pour faire agréer ses loix et ses actions aux peuples romains que de leur dire qu’il les faisoit toutes par le conseil de la nymphe Egerie, qui lui communiquoit la volonté des Dieux. Il est remarqué dans l’histoire romaine que les principaux de la ville de Rome après avoir emploïé inutilement toutes sortes d’artifices, pour empêcher que le peuple ne fut élevé aux magistratures, eurent enfin recours aux prétextes de la religion, et firent accroire aux peuples qu’aïant consulté les Dieux sur cette affaire, ils avoient témoigné que c’étoit prophaner les honneurs de la république que de les communiquer à la populace ; et que cela étant ils les suplioient instamment de renoncer à cette prétention, feignant le desirer ainsi, plutôt pour la satisfaction des Dieux, que pour leur intérêt particulier. Et la raison pourquoi tous les grands politiques en usent ainsi envers les peuples, c’est, suivant leur dire, après celui de Scevola, grand pontife, et après celui de Varron, grand theologien en leur tems, c’est parce qu’il est besoin, disent-ils, que le peuple ignore beaucoup de choses vraïes et en croïe beaucoup de fausses[1]. Et le divin Platon lui-même, parlant sur ce sujet, dit tout détroussément en sa République que pour le profit des hommes, il est souvent besoin de les piper, comme le remarque le Sr. de Montagne[2]. Il semble néanmoins que les premiers inventeurs de ces saintes et pieuses fourberies avoient encore au moins quelque reste de pudeur et de modestie ou qu’ils ne savoient pas encore porter leur ambition si haut, qu’ils auroient pu la porter, puisqu’ils se contentoient pour lors de s’attribuer seulement l’honneur d’être les dépositaires et les interprêtes des volontés des Dieux, sans s’attribuer de plus grandes prérogatives. Mais plusieurs de ceux qui sont venus ensuite, ont porté bien plus haut leur ambition ; ç’auroit été trop peu pour eux de dire seulement qu’ils auroient été envoïés ou inspirés des Dieux mêmes. Ils sont venus jusqu’à cet excès de folie et de présomption que de vouloir se faire regarder et honorer comme des Dieux.

C’est ce qui étoit autrefois assez ordinaires aux empereurs romains, et entr’autres il est marqué dans l’histoire romaine que l’empereur Heliogabale, qui étoit le plus dissolu, le plus licentieux, le plus infame et le plus éxécrable qui fut jamais, osa bien néanmoins se faire mettre au rang des Dieux dès son vivant même, ordonnant que parmi les noms des autres Dieux, que les magistrats invoquoient en leurs sacrifices, ils reclamassent aussi Heliogabale, qui étoit un nouveau Dieu que Rome n’avoit jamais connu. L’empereur Domitien eut la même ambition ; il voulut que le senat lui fit ériger des statuës toutes d’or, et commanda aussi par ordonnances publiques, qu’en toutes lettres et mandemens on le publia seigneur Dieu. L’empereur Caligula qui fut aussi l’un des plus méchans, des plus infames et des plus détestables tyrans qui aïent jamais été, voulut aussi être adoré comme un Dieu, fit mettre ses statues devant celles de Jupiter, et ôter la tête à plusieurs d’icelles pour y mettre la sienne, et même envoïa sa statuë pour être colloquée au temple de Jerusalem. L’empereur Commodus voulut être apellé Hercule, fils de Jupiter, le plus grand des Dieux, et pour cela il se vêtoit souvent de la peau d’un lion et tenant en ses mains une massuë, il contrefaisoit Hercule, et en cet équipage alloit rodant tant de jour que de nuit et tuant plusieurs personnes.

Il s’est trouvé non seulement des empereurs, mais aussi plusieurs autres de moindre qualité, et même des hommes de basse naissance et de basse fortune qui ont eu cette folle vanité et cette folle ambition de vouloir se faire croire et se faire estimer Dieux ; et entr’autres on dit d’un certain Psaphon Libien, homme inconnu et de basse naissance, qu’aïant voulu passer pour un Dieu, il s’avisa de cette ruse : il amassa plusieurs oiseaux de diverses contrées auxquels il aprit avec grand soin de répéter souvent ces paroles-ci : Psaphon est un grand Dieu, Psaphon est un grand Dieu. Puis aïant laché et mis ces oiseaux en liberté, ils se dispersèrent dans toutes les provinces et lieux circonvoisins, les uns d’un côté et les autres d’un autre, et se mirent à dire et à répéter souvent dans leur ramage Psaphon est un grand Dieu, Psaphon est un grand Dieu. De sorte que ces peuples entendant ainsi parler ces sortes d’oiseaux et ignorant la fourbe, commencèrent à adorer ce nouveau Dieu et à lui offrir des sacrifices, jusqu’à ce qu’enfin ils découvrirent la fourberie et cessèrent d’adorer ce Dieu. On dit aussi qu’un certain Annon Carthaginois voulut pour la même fin, se servir d’une pareille ruse, mais qu’il ne lui réussit pas de même qu’à Psaphon, parce que ses oiseaux à qui il avoit apris à répéter ces mots : Annon est un grand Dieu, oublièrent incontinent après qu’ils furent lachés, les paroles qu’ils avoient aprises. Le cardinal du Perron parle, si je ne me trompe, de deux certains docteurs en theologie dont il dit, que l’un se croïoit être le pere éternel, et que l’autre se croïoit être le fils de Dieu éternel. On pouroit citer plusieurs autres exemples de ceux qui ont été ainsi frapés de semblables folies, ou de semblables témérités, et il y a aparence que le premier commencement de la croïance des Dieux, ne vient que de ce que les hommes vains et présomptueux, se sont voulu aussi attribuer la qualité de Dieu : ce qui est bien conforme à ce qui est raporté dans le Livre de la Sagesse touchant le commencement du règne de l’idolatrie[3].


  1. Essai de Montagne, p. 503.
  2. Idem, p. 479.
  3. Voïez le 14 chap. du Livre de la Sagesse.