Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 6

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Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 1p. 42-45).
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VI.
Les anciens avoient coutume de mettre au rang des Dieux les empereurs et les grands hommes. L’orgueil des grands, la flatterie des uns et l’ignorance des autres ont produit et autorisé cet abus.

Mais s’il s’est trouvé des hommes assez vains et assez présomtueux pour vouloir s’attribuer la qualité de Dieu, il s’en est certainement trouvé encore plus qui ont été assez sots pour vouloir bien la leur attribuer, soit par flatterie, soit par politique ou par lacheté : car ce n’est ordinairement que par flatterie et par politique ou par lacheté, que les hommes se laissent aller à de si basses complaisances. Les flatteurs d’Alexandre le grand vouloient lui persuader qu’il étoit de la race et du sang des Dieux, et qu’il étoit même fils de Jupiter. Après que Romulus premier roi des Romains eût disparu, sans savoir ce qu’il étoit devenu (on a cru néanmoins que les senateurs l’avoient fait mourir, et qu’ils l’avoient mis en piéces parce qu’il s’étoit rendu trop odieux) ils le mirent au rang des Dieux, sous le nom de Quirinus, sur le raport d’un nommé Proculus, qui le disoit s’être aparu à lui tout glorieux et armé à l’avantage. Pareillement le senat mit l’empereur Claudius II au rang des Dieux, et lui fit dresser une statue d’or auprès de celle de Jupiter[1].

Marc Aurèle, l’un des meilleurs empereurs qui furent, fit néanmoins mettre Lucius Antoninus Verus son collègue au rang des Dieux ; il fit bâtir un temple à sa femme Faustine toute impudique qu’elle étoit : et le senat lui aïant même décerné les honneurs divins, il l’en remercia. L’empereur Trajan, qui fut un très bon et très excellent prince, fut, après sa mort, par ordre du senat, mis au rang des Dieux. Mœsa, aïeul de l’empereur Alexandre Severe, fut mis, après sa mort, au rang des Dieux. Antonin le débonnaire, le plus juste et le plus modéré des princes qui aïent jamais tenu l’empire, fut, après sa mort universellement regretté de tout le monde ; le senat lui décerna les honneurs divins, et tout le monde estima dit, l’Hist. Rom. T. 3, pag. 143, que jamais cette gloire n’avoit été adjugée à aucun des Princes de la terre qui l’eut si bien méritée que lui, à cause de sa bonté, de sa pieté, de sa clémence, de son innocence et de sa modération au gouvernement de la république. L’empereur Hadrien suporta avec tant de douleur la mort d’Antinoüs qu’il aimoit tendrement, qu’il fit bâtir une ville, qu’il nomma du nom de ce favori : Antinopolis, lui dédia des autels et des statues comme à un Dieu et emploïa toutes les plumes de la Grèce à célébrer ses louanges ; et même la flatterie passa si avant, que pour lui complaire, les grecs l’aïant mis au rang des Dieux, publièrent qu’il rendoit des oracles dans son temple : et pour comble de vanité osèrent assurer que son ame avoit été changée en une étoile qui s’étoit montrée dans le ciel incontinent après sa mort : à raison de quoi Hadrien qui étoit bien aise de voir flatter sa passion, nomma cette étoile l’astre d’Antinoüs, et aima grandement ceux qui donnèrent cette misérable consolation à sa douleur, Hist. Rom. Tom. 3, pag. 108. Du tems de l’empereur Claude, Simon le Magicien étant venu à Rome, y entra en tel crédit par ses impostures et ses illusions qu’on lui dressa une statue avec cette inscription à Simon Dieu saint. L’empereur Auguste, dit le Sr. de Montagne[2] eut plus de temples que Jupiter et fut servi avec autant de religion et croïance de miracles. Le roi Herode s’étant un jour revêtu de ses habits roïaux, faisant sa harangue à son peuple, étant assis sur son trône, le peuple fut si charmé de son éloquence et de l’éclat de sa majesté qu’il le regardât comme un Dieu et s’écriât en disant : c’est là le discours d’un Dieu et non pas d’un homme, dei voces et non hominis[3]. Enfin c’étoit l’ordinaire des empereurs romains de se faire mettre au rang des Dieux : les plus méchans et les plus détestables s’y faisoient mettre comme il est marqué dans l’Hist. Rom. Tom. 3.


  1. Hist. Rom. Tom. III.
  2. Ess. de Montag. Liv. II, Ch. 12, p. 498.
  3. Act. XII, 21, 22.