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Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 7

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Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 1p. 45-49).
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VII.
Ils croïoient, que les hommes pouvoient devenir des Dieux après leur mort.

Pareillement c’étoit anciennement la coutume des peuples de deïfier ou de mettre au rang des Dieux ceux, qui avoient excellé en quelque rare vertu, ou qui avoient rendu quelque notable service ou fait quelque bien considérable à leur païs. C’est ce qui a donné lieu au Sr. de Montagne de dire fort judicieusement[1], que l’homme est bien insensé : il ne sauroit forger un ciron et il forge des dieux à douxaines, et non-seulement les forge à douxaine, mais il les forge même promtement à milliers et marque jusqu’où s’étend leur puissance. Qui de ces dieux ou de ces saints si plaisamment forgés par l’antiquité sont vieux et cassés, dit-il, qui sont mariés, qui ne le sont point, qui sont jeunes et vigoureux[2], qui guérit les chevaux, qui les hommes, qui la peste, qui la teigne, qui la toux, qui une sorte de galle, qui une autre, qui fait naître les raisins, qui les aulx, qui a la charge de la paillardise, qui de la marchandise : a chaque race d’artisans un Dieu… il en est de si chétifs et populaires (car le nombre en étoit autrefois si grand, qu’il montoit bien au moins jusqu’à 36 mille), qu’ils en entassoient bien 5 à 6 mille à produire un seul épic de bled, ils en mettoient 3 à une porte, un à l’ais, un aux gonds et un au seuil, 4 à un enfant, un qu’ils faisoient protecteur de son maillot, un autre de son boire, un autre de son manger et un autre de son tette lesquels étoient tous adorés par diverses sortes d’adorations. De sorte que c’est pitié, dit le Sr. de Montagne, de voir que les hommes se pipent eux-mêmes de leurs propres singeries et inventions, comme les enfans, dit-il, qui s’effraïent de ce même visage, qu’ils ont barbouillé et noirci à leur compagnon.

Il n’y a chose, dit Pline[3] qui démontre plus l’imbécilité des hommes que de vouloir assigner quelqu’image ou effigie à la divinité. C’est grande folie, dit-il, de croire qu’il y en ait, et encore plus grand rage d’établir des Dieux selon les vertus et les vices des hommes, comme chasteté, concorde, courage, espérance, honneur, clémence, foi etc., mais toutes ces déités viennent, ajoutent-ils, de ce que les hommes fragiles et chargés de travaux aïant devant les yeux leur pauvreté et infirmités, adoroient respectivement les choses dont ils avoient plus de besoin. De là vient, continue-t-il, que les Dieux commencèrent à changer de nom, selon la dévotion des régions, et qu’en une même région, on trouvoit une infinité de Dieux, entre lesquels même on mettoit les Dieux infernaux, les maladies et toutes sortes de pestes, de la crainte que l’on en avoit. De ces superstitions, dit le même auteur, sont sortis les temples de la fièvre, qui fut fondé et consacré au Palais, et celui d’Orbona qui faisoit mourir les petits enfans. Auprès du temple des genies et esprits familiers, continue-t-il, est le temple de mauvaise fortune, qui est sur le mont Esquilin : et par ainsi ce n’est pas merveille si l’on trouve plus de Dieux au ciel que d’hommes sur la terre, attendu, dit-il, que chacun forge autant de Dieux que sa fantaisie lui porte et que les hommes prennent et choisissent pour patrons plusieurs Dieux auxquels ils donnent les noms et titres de Jupiter, de Saturne, de Junon, de Mars et de quantité d’autres : car anciennement, dit ce même auteur, on avoit coutume de colloquer au rang des dieux ceux ou celles, qui s’adonnoient particulièrement à bien vivre au monde, en signe de reconnoissance de leurs bienfaits. Et de là sont venus tous les différens noms des dieux et des déesses, que les Romains ont adorés sous les noms de Saturne, de Jupiter, de Mars, de Mercure, d’Apollon, d’Esculape etc., et sous ces autres noms de déesses, qu’ils adoroient sous les noms de Junon, de Diane, de Pallas, de Minerve, de Vénus, de Céres ; car il est certain que toutes ces belles divinités-là ne sont que des productions de la vanité et de la sotise des hommes, et il s’est trouvé même des nations si prodigieusement aveuglées dans la superstition, qu’ils ont attribué la divinité à de vilaines et sales bêtes, comme à des chiens, à des chats, à des moutons, à des bœufs, à des serpens etc., et même à des choses inanimées, comme au feu, au soleil, à la lune, aux étoiles, aux pierres, au bois etc., et de toutes ces vaines opinions-là le Sr. de Montagne n’en trouvoit pas, disoit-il, de plus folle et de plus ridicule, que celle qui attribue la divinité à l’homme ; par quoi, disoit-il, de faire de nous des dieux comme l’ancienneté a fait[4] ; cela surpasse l’extrême foiblesse de discours. J’eusse, disoit-il, encore plutôt suivi ceux, qui adoroient le serpent, le chien et le bœuf : d’autant que leur nature et leur être nous est moins connu, et avons plus de loi d’imaginer ce qu’il nous plait de ces bêtes-là et leur attribuer des facultés extraordinaires. Mais d’avoir fait des dieux, dit-il, de notre chétive condition de laquelle nous devons connoître l’imperfection, leur avoir attribué le désir, la colère, les vengeances, les mariages, les générations et les parenteles, l’amour et la jalousie, nos membres et nos os, nos fièvres, nos plaisirs, nos morts et nos sépultures, comme aussi d’avoir attribué la divinité non-seulement à la foi, à la vertu, à l’honneur, à la paix, à la concorde, à la liberté etc., mais aussi à la volupté, fraude, mort, envie, vieillesse, misère, à la peur, à la fièvre, à la malfortune et autres misères de notre vie frêle et caduque, il faut, dit-il, que cela soit parti d’une merveilleuse yvresse de l’entendement humain.

C’est de quoi Agesilaus, surnommé le grand, roi de Thessalie se moquoit assez plaisamment, car les Thessaliens lui étant venu dire un jour qu’en reconnoissance des bienfaits qu’ils avoient reçus de lui, ils l’avoient canonisés et mis au rang des Dieux[5]. Votre nation, leur dit-il, a-t’-elle ce pouvoir de faire Dieu qui bon lui semble ? Si cela est, faites-en pour voir l’un d’entre vous, et puis quand j’aurai vû comme il s’en sera trouvé, je vous dirai grand merci de votre offre[6]. Les Égyptiens défendoient sur peine de la hart que nul eut à dire que Sérapis et Isis, qui étoient leurs Dieux, eussent autrefois été Hommes : et nul n’ignoroit qu’ils ne l’eussent été. Et leur effigie représentée le doigt sur la bouche signifioit, dit Varron, cette ordonnance mistérieuse à leurs Prêtres de taire leur origine mortelle, comme par raison nécessaire, afin de ne point anéantir leur vénération[7].


  1. Ess. de Montag. p. 498.
  2. Ibid. p. 502.
  3. Pline, Liv. 2, 7.
  4. Essai de Montagne, pag. 484.
  5. Ess. de Montag. pag. 498.
  6. Ess. de Montag. pag. 485.
  7. Les Chrétiens sont dans des sentimens bien contraires ; ils font gloire de prêcher la naissance et la mort de leur Dieu Christ.