Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 22

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Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 1p. 187-197).
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TROISIÈME PREUVE.

Venons aux pretenduës Visions et Révélations divines, sur lesquelles nos Christicoles prétendent encore fonder et établir la vérité et la certitude de leur Religion. Pour donner une juste et véritable idée de ces Visions et Révélations divines, je ne crois pas que l’on puisse mieux faire que de dire en général qu’elles sont telles, que si quelques-uns osoient maintenant se vanter d’avoir de telles ou de telles Visions et Révélations divines, et qu’ils voulussent s’en prévaloir, on les regarderoit infailliblement tous, tant qu’ils seroient, comme des fous, comme des visionnaires et comme des insensés fanatiques. Voïez quelles furent ces prétendues visions et révélations divines. Dieu, disent les prétendus Sts. Livres, dont j’ai ci-devant parlé, s’étant pour la première fois aparu à Abraham, il lui dit ceci[1] : Sortez de votre païs (c’étoit en Chaldée qu’il étoit), quittez la maison de votre père, et allez-vous en au Païs que je vous montrerai ; cet Abraham y étant allé, Dieu, dit l’Histoire, s’aparut une seconde fois à lui, et lui dit : je donnerai tout ce païs-ci où vous êtes à votre Posterité : et en reconnoissance de cette gracieuse promesse, Abraham lui dressa un Autel[2]. Quelque tems après, Dieu lui aparut encore dans une vision, pendant la nuit ;[3] il lui sembloit voir un four d’où sortoit une grande fumée[4]. Alors Dieu faisant alliance avec cet Abraham, il lui dit : je donnerai tout ce païs-ci à votre Posterité depuis le fleuve d’Egypte, jusques au grand fleuve de l’Euphrate[5]. Abraham, étant âgé de 99 ans, Dieu s’aparut encore à lui et lui dit : je suis le Dieu tout-puissant, marchez droit devant moi et soyez parfait[6], car je mettrai mon alliance avec vous, et je multiplierai grandement votre semence[7], vous serez le père de beaucoup de nations[8]. Vous ne vous apellerez plus Abram, comme ci-devant, mais vous vous apellerez Abraham, parceque je vous ai établi Père de beaucoup de nations[9]. Je ferai avec vous et avec votre semence une alliance éternelle, afin que je sois votre Dieu, le Dieu de votre Posterité après vous[10]. Voici l’alliance que je ferai avec vous et avec tous vos Descendans : vous circoncirez, lui dit Dieu, la prépuce de tous vos enfans mâles[11]. Ce sera là, lui dit-il, la marque de mon alliance perpétuelle avec vous[12]. Tout enfant mâle sera circonci au huitième jour,[13] car je veux que vous portiez la marque de mon alliance dans votre chair[14]. Sur quoi cet Abraham commença à se circoncire lui-même et à circoncire tous les mâles de sa maison[15]. Après cela Dieu, dit l’histoire, voulant tenter cet Abraham, pour voir s’il seroit obéissant à ce qu’il lui ordonnait, s’aparut à lui et lui dit[16]. Prenez votre fils unique, Isaac, que vous aimez et allez-vous en l’offrir vous-même en sacrifice en l’endroit que je vous montrerai[17]. Aussitôt et la nuit même Abraham partit avec son fils Isaac, pour l’aller sacrifier[18]. Et étant au troisième jour parvenu à l’endroit où il devoit l’offrir en sacrifice, Abraham aïant tout disposé pour le sacrifice, prit son épée, et comme il tendoit le bras pour donner à son fils le coup de la mort, il entendit une voix du ciel, qui lui dit, Abraham, Abraham, ne frappez pas votre fils et ne lui faites aucun mal, je connois maintenant que vous n’auriez pas pardonné à votre fils pour l’amour de moi, et maintenant puisque vous avez fait cela et que vous ne lui auriez point pardonné, afin d’obéir à ma parole, je vous jure par moi-même que je vous bénirai, que je multiplierai votre posterité comme les Etoiles du Ciel, et comme les grains de sable de la Mer, vos descendans seront victorieux de tous leurs ennemis et toutes les nations de la terre seront bénites dans votre semence, parce que vous avez obéi à ma voix[19]. Après la mort de cet, Abraham Dieu s’aparut pendant la nuit à son fils Isaac et lui dit : Je suis le Dieu de votre Père Abraham, ne craignez rien parce que je suis avec vous pour vous bénir. Je multiplierai votre Posterité pour l’amour de mon serviteur Abraham[20] en reconnoissance de quoi Isaac dressa là un Autel à Dieu, qui lui étoit aparu. Après la mort de cet Isaac, Jacob, son fils, allant un jour en Mésopotamie pour chercher une femme qui lui seroit convenable, après avoir marché tout le jour, se sentant fatigué du chemin, il voulut se reposer sur le soir, et s’étant couché par terre, et aïant mis sa tête sur quelques pierres pour s’y reposer, il s’y endormit, et pendant qu’il dormoit, il vit en songe une échelle, dressée sur sa tête, dont l’extrémité alloit toucher jusqu’au Ciel, et il lui sembloit voir que les Anges de Dieu montoient et descendoient par cette échelle et qu’il voïoit Dieu lui même qui s’apuïoit sur le plus haut bout de cette échelle, qui lui disoit : je suis le seigneur, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac votre père, je vous donnerai à vous et à votre Posterité tout le païs où vous demeurez, votre Posterité sera aussi nombreuse que la poussière de dessus la terre, elle s’étendra depuis l’Orient jusqu’à l’Occident et depuis le Septemtrion jusqu’au Midi et toutes les nations de la terre seront bénites à cause de vous et de votre Posterité. Je serai votre protecteur partout où vous irez, je vous ramenerai sain et sauf de cette terre, je ne vous abandonnerai point, que je n’aie accompli tout ce que je vous ai promis. Jacob s’étant éveillé dans ce songe, il fut saisi de crainte et dit : Quoi ! Dieu est vraiment ici, et je n’en savois rien, ah, dit-il, que ce lieu est terrible, puisque ce n’est autre chose que la main de Dieu et la porte du Ciel[21]. Puis s’étant levé, il dressa une pierre, sur laquelle il répandit de l’huile, en mémoire de ce qui lui étoit arrivé là, et fit en même tems un voeu à Dieu que, s’il revenoit sain et sauf, il lui offriroit la dixième de tout ce qu’il auroit. Voici encore une belle vision qu’il eut quelques années après, comme il s’étoit mis à garder les troupeaux de son beau-père Laban et qu’il étoit convenu avec lui, qu’il auroit pour récompense de son service, tout ce que les brebis produiroient d’agneaux de diverses couleurs. Etant grandement desireux de son profit, comme il est assez naturel, il souhaitoit passionnément que ses brebis fissent beaucoup d’agneaux de diverses couleurs, aïant donc passionnément ce desir à coeur, il songe agréablement une nuit qu’il voïoit[22] les mâles sauter sur les femelles et qu’elles lui produisoient toutes des agneaux de diverses couleurs. Ravi qu’il étoit dans un si beau songe, Dieu lui aparut et lui dit : regardez et voyez comme les mâles montent sur les femelles et comme ils sont de diverses couleurs, car j’ai vû, lui dit-il, la tromperie et l’injustice que vous fait Laban votre beau-père ; levez-vous donc maintenant, lui dit Dieu, sortez de ce païs-ci et retournez en votre païs. Comme il s’en retournoit en son païs, avec toute sa Famille et avec tout ce qu’il avoit gagné chez son Beau-père, il eut, dit l’Histoire, (ou la fable) pendant la nuit en rencontre un Homme inconnu, contre lequel il lui fallut combattre toute la nuit jusqu’au point du jour ; et cet homme ne l’aïant pû vaincre, il lui demanda, qui il étoit, et Jacob lui dit son nom ; alors cet inconnu lui dit, vous ne serez plus apellé Jacob, mais Israël, car puisque vous avez été fort en combattant contre Dieu, à plus forte raison, lui dit-il, serez vous fort en combattant contre les hommes[23].

Voilà quelles furent les prémiéres de ces belles prétendues visions et révélations divines ; il ne faut point juger autrement des autres que de celle-ci. Or, quelle aparence y a-t’-il de Divinité dans des songes si grossiers et dans des illusions si vaines ? Si quelque homme rustique et grossier, ou si quelque bon homme de berger de la campagne, comme pouvoit être ce Jacob, dont je viens de parler, venoit nous dire qu’il auroit convenu avec un beau-père ou avec quelqu’autre personne de garder seul ses troupeaux à condition que tous les fruits qui en proviendroient et qui seroient de diverses couleurs, seroient pour lui en récompense de son service, et que pour témoignage que Dieu voudroit le favoriser et lui procurer une ample récompense de ses services, il se seroit aparu à lui en songe, lui auroit parlé, et lui auroit dit toutes ces paroles : Je suis le Dieu qui vous a déja aparu en un tel endroit ; j’ai vu la tromperie et l’injustice que l’on vous a faite, vous ne serez point frustré de votre récompense, j’accomplirai vos souhaits ; regardez et voïez comme les mâles de vos troupeaux montent sur les femelles ; elles vous produiront toutes leurs fruits de diverses couleurs, et ainsi votre récompense sera grande, si, dis-je, quelque personne venoit maintenant nous conter telles sornettes, et que ceux qui nous les conteroient, crussent véritablement avoir eu quelques visions et révélations divines de ce qu’ils nous diroient, ne regarderions-nous pas ces gens-là comme des fous, comme des visionnaires ou comme des simples d’esprit ? Nous les regarderions certainement comme tels, et si ces mêmes personnes continuoient encore à nous dire qu’ils auroient eu la nuit, la rencontre des inconnus contre lesquels ils auroient été obligés de combattre toute la nuit, et que ces gens inconnus, ne les aïant pû vaincre, ils leur auroient dit qu’ils auroient combattu contre Dieu ou contre des Dieux, et si sur une telle vision, ces personnes-là regardoient ces victoires imaginaires, comme un présage divin, ou comme une assurance divine de la force victorieuse, avec laquelle ils combattroient quelques jours contre leurs ennemis, ne ririons-nous pas des sottes imaginations de ces pauvres gens-là ? Nous n’en ferions certainement que rire. Pareillement si quelques étrangers, quelques Allemans, par exemple, ou quelque Suisse qui seroient venus dans notre France, et qui auroient vû les plus belles Provinces du Roïaume, venoient à dire que Dieu leur seroit aparu dans leur Païs, qu’il leur auroit dit de venir ou de s’en aller en France et qu’il leur donneroit à eux et à leurs descendans toutes les belles Terres, Seigneuries et Provinces du Roïaume, qui sont depuis les grands fleuves du Rhin et du Rhone, jusqu’à la Mer Océane, qu’il feroit une éternelle Alliance avec eux et avec leurs Descendans, qu’il multiplieroit leurs races, qu’il rendroit leur postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que les grains de sable de la mer, et qu’enfin ce seroit avec eux que Dieu béniroit toutes les Nations de la terre, et que, pour marque de son Alliance avec eux, il leur aurait ordonné de se circoncire eux-mêmes et de circoncire tous leurs Enfans mâles, qui naitroient d’eux et de leurs Descendans, etc. Qui est-ce encore qui ne riroit de telles sotises et qui ne regarderait ces Étrangers comme des fous, comme des visionnaires et comme des insensés fanatiques ? Il n’y a certainement personne, qui ne riroit et ne se moqueroit de toutes ces belles visions et de toutes ces belles prétenduës révélations divines.

Or il n’y a aucune raison de juger autrement, ni de penser plus favorablement de tout ce que disent ces grands prétendus saints patriarches Abraham, Isaac et Jacob touchant les visions et les pretenduës Révélations divines qu’ils croïent ou au moins qu’ils disent avoir euës, et ainsi elles ne méritent pas qu’on en fasse plus d’état que de celles de ces étrangers, dont je viens de parler, parce qu’elles n’étoient véritablement qu’erreurs et illusions ou mensonges et impostures, comme seroient celles de ces étrangers, dont je viens de parler ; et il est sûr même, que quand ces trois bons Patriarches reviendraient maintenant nous dire eux-mêmes, qu’ils auraient euës de telles visions et de telles révélations divines, nous n’en ferions encore maintenant que rire et nous ne manquerions certainement pas de regarder toutes ces prétenduës visions et révélations divines autrement, que comme des erreurs et des illusions, ou comme des mensonges et des impostures.

Je dis comme des erreurs et des illusions, si ces personnages nous paroissoient croire véritablement avoir eu de telles visions et de telles révélations ; et en ce cas nous les regarderions eux comme des visionaires et comme des gens, qui auroient l’esprit foible ; mais nous les regarderions comme des menteurs, comme des fourbes et comme des imposteurs, si nous jugions autrement de leurs personnes et de leurs intentions. Mais soit que ces Patriarches aïent eu dessein en cela de tromper les autres, ou soit qu’ils se soient trompés eux-mêmes les premiers, il est facile de concevoir la vanité et la fausseté de toutes leurs prétenduës visions et révélations divines ; elles se découvrent assez manifestement d’elles-mêmes, non seulement par cette injuste et odieuse acception de peuples ou de personnes, dont j’ai ci-devant parlé et en faveur de laquelle on prétend neanmoins que les susdites révélations auroient été faites, parce qu’il n’est pas croïable qu’un Dieu qui seroit infiniment bon, infiniment parfait et infiniment juste auroit jamais voulu, ni ne voudroit jamais faire, ni autoriser une chose si injuste et si odieuse que seroit une telle acception de personnes et de peuple, mais elles se découvrent encore par la vanité et la fausseté des susdites visions et révélations ; elles se découvrent encore assez manifestement par trois autres différens endroits. 1o. Elles se découvrent par cette vile, ridicule et honteuse marque de la prétendue Alliance que Dieu auroit faite avec les hommes ; 2o. par la cruelle et barbare institution des sacrifices sanglans de bêtes innocentes et que Moïse attribue à ce même Dieu, et notamment par ce cruel et barbare commandement, qu’il dit aussi que Dieu dit à Abraham de lui sacrifier son fils, 3o. Par le défaut manifeste d’accomplissement des promesses si belles et si avantageuses qu’il dit pareillement avoir été faites de la part de Dieu aux trois susdits Patriarches. Car la marque de cette prétendue Alliance étant tout-à-fait vile et ridicule, l’institution des sacrifices sanglans de bêtes innocentes, étant cruelle et barbare, aussi bien que le susdit commandement à un père de sacrifier son fils, et enfin les susdites si grandes, si magnifiques promesses prétenduës, faites de la part de Dieu aux susdits Patriarches, se trouvant sans effet et sans accomplissement, sont autant de preuves certaines et évidentes de la vanité et de la fausseté des susdites prétenduës visions et révélations divines.

Prémièrement pour ce qui est de la marque de cette prétendue Alliance de Dieu avec les susdits Patriarches et tous leurs Descendans, elle est manifestement ridicule, puisqu’elle consiste dans un vain et ridicule retranchement de chair ou de peau de la plus honteuse partie du corps humain. Quoi ! Un Dieu tout-puissant et parfaitement sage s’amuseroit ou se seroit amusé à vouloir faire porter à tout un peuple la marque de son Alliance avec lui dans la plus honteuse partie de leur corps ; et il auroit voulu faire consister cette marque dans un si vain et si ridicule retranchement de chair ou de peau ? Cela n’est nullement croïable. Si un Dieu tout-puissant avoit véritablement voulu se choisir tout particuliérement un peuple, et qu’il eut voulu lui faire porter la marque de son alliance sur son corps, il auroit indubitablement choisi une marque plus convenable, plus digne et plus honorable que celle-là, et il l’auroit indubitablement aussi placée dans la partie la plus noble, la plus considérable et la plus aparente du corps, afin de rendre, par cette gratification particulière de sa bonté, son peuple plus beau, plus parfait, plus honorable et plus considérable que tout les autres peuples. Mais qu’il aurait voulu choisir une si vaine et si vile marque de son Alliance que celle que l’on prétend qu’il ait choisie, et qu’il auroit voulu la placer dans la partie la plus honteuse du corps ? Cela est indigne de la grandeur et de la souveraine Majesté d’un Dieu, et il seroit même indigne de penser qu’il l’auroit jamais voulu faire ainsi.


  1. Gen. 12: 1.
  2. Ibid. 12 : 7.
  3. Ibid. 15 : 1.
  4. Ibid. 15 : 17.
  5. Ibid. 15 : 18.
  6. Ibid. 17 : 1.
  7. Ibid. 17 : 2.
  8. Ibid. 17 : 4.
  9. Ibid. 17 : 5.
  10. Ibid. 17 : 7.
  11. Ibid. 17 : 10.
  12. Ibid. 17 : 11.
  13. Ibid. 17 : 12.
  14. Ibid. 17 : 13.
  15. Ibid. 17 : 22, 27.
  16. Ibid. 22 : 1.
  17. Ibid. 22 : 2.
  18. Ibid. 22 : 3.
  19. Gen. 27 : 1.
  20. Gen. 26 : 4, 24.
  21. Gen. 28 : 11, 18.
  22. Ibid. 31 : 12.
  23. Gen. 32 : 25, 28.