Le Tour de la France par deux enfants/108
— Mon oncle, dit un jour André à l’oncle Frantz, il y a une chose qui me préoccupe ; lorsque nous avons quitté la Lorraine, le père et la mère Étienne nous ont aidés comme si nous étions leurs enfants, et la bonne mère Étienne, sans rien me dire, a glissé dans ma bourse deux pièces de cinq francs que j’y ai trouvées à Épinal. Cependant ils sont très gênés, car ils ont perdu toutes leurs économies pendant la guerre, et moi, malgré nos peines, j’ai néanmoins en ce moment deux fois plus d’argent qu’en quittant Phalsbourg. Je voudrais bien leur rendre ces deux pièces de cinq francs et leur en montrer ma reconnaissance.
— Je t’approuve, André, dit l’oncle Frantz : il faut toujours, dès qu’on le peut, rendre ce qu’on a reçu et répondre à un bon procédé par un autre. Nous passerons chez la mère Étienne avant d’arriver à Phalsbourg, et nous lui offrirons quelque chose.
— Mon oncle, dit Julien qui avait écouté avec attention, je me rappelle que Mme Étienne nous avait mis la nuit sur notre lit des habits pour nous couvrir, car, disait-elle, elle n’avait plus une seule couverture de laine depuis la guerre.
— En effet, dit André, et malgré cela elle n’a pas hésité à nous donner ses petites économies ! Bonne mère Étienne !
— Eh bien, mes enfants, dit l’oncle Frantz, nous arriverons bientôt à Reims, profitons-en pour acheter une chaude couverture que nous offrirons à la mère Étienne. Reims est la ville des lainages par excellence, et notre bateau va y rester assez de temps pour que nous y puissions faire notre achat.
L’oncle Frantz et les deux enfants parcoururent la belle ville de Reims, la plus peuplée du département de la Marne. Ils visitèrent la superbe cathédrale, et Julien, se rappelant les récits de la mère Gertrude, dit à son oncle que Jeanne Darc avait fait autrefois dans cette cathédrale sacrer le roi Charles VII.
C’était un jour de marché, et partout s’étalaient les produits de la Champagne, qui consistent surtout en lainages, en fers, en vins célèbres.
— Les lainages, dit l’oncle Frantz, sont la plus ancienne des industries françaises et une de celles où la France l’emporte sur ses rivales. On carde et on peigne les laines, puis on les tisse, et les tissus de Reims, ainsi que les draps de Sedan, sont justement renommés.
Tout en causant ainsi, on choisit une bonne couverture, chaude et grande, et on se réjouit par avance du plaisir qu’on aurait à l’offrir à la mère Étienne.
On reprit ensuite le chemin du bateau et on recommença à travailler en songeant qu’on arriverait bientôt en Lorraine.
Julien s’empressa de se remettre lui aussi au travail ; il fit une belle page d’écriture, des problèmes que l’oncle Frantz lui avait donnés à résoudre et qui roulaient sur l’achat et la vente des lainages. Puis il prit son livre d’histoires et lut ce qui s’y trouvait sur la Champagne.